Du passé faisons table rase, et imaginons
que le monde d’aujourd’hui se soit construit autrement, propose Abdourahman A.
Waberi. Envisageons un monde différent, dont l’histoire aurait été écrite, dès
le point de départ, à l’opposé de ce que nous connaissons. Les conséquences
auraient été les mêmes, mais à l’envers puisque tout est vu dans un miroir.
Jusqu’à engendrer des débats houleux entre les uns qui veulent reconduire les
illégaux à la frontière et les autres rappelant que les excédents alimentaires
peuvent nourrir la planète. Rien de nouveau, donc, sous le soleil.
Sinon que ce soleil-là est braqué par
Abdourahman A. Waberi sur une répartition des richesses dont la plus grande
partie appartient à l’Afrique. Et depuis longtemps : « L’homme
d’Afrique s’est senti, très vite, sûr de lui. Il s’est vu sur cette terre comme
un être supérieur, inégalable parce que séparé des autres peuples et des autres
races par une vastitude sans bornes. Il a mis sur pied une échelle de valeurs
où son trône est au sommet. Les autres, les indigènes, les barbares, les
primitifs, les païens, presque tous blancs, sont ravalés au rang de
parias. »
L’écrivain djiboutien nous force à un
salutaire exercice intellectuel : les références de la civilisation du
progrès, de la fortune, etc., sont toutes africaines, pour donner naissance AuxEtats-Unis d’Afrique, puissance mondiale dont la suprématie ne fait aucun
doute puisque tous les déshérités espèrent s’y installer pour une vie
meilleure.
Dans un premier temps, l’effet comique est
irrésistible. Mais notre rire est perverti par l’impossibilité où nous sommes
de croire à ce qui nous est raconté. Puis il s’étrangle dans la gorge au fur et
à mesure que la logique de cette situation devient une mécanique capable de
broyer une partie du monde – la nôtre, c’est-à-dire, quand nous en prenons
enfin conscience, que la puissance occidentale a effectivement contribué, dans
la réalité, à conduire une partie du monde vers la misère.
Le constat est amer, au moins pour ceux qui
ne voulaient pas y penser. Mais, dans ce conte philosophique traité avec
drôlerie, il se fait sans amertume. L’irrésistible entrain du romancier nous
emporte dans sa vision inédite.
D’autant qu’il a pris soin de nous
présenter, avec Maya, un personnage d’entre-deux, une fascinante jeune fille
qui a eu la chance d’échapper à la misérable existence qu’elle aurait dû mener
en Normandie, si son père adoptif, Docteur Papa, en mission humanitaire dans ce
coin déshérité d’Europe, n’était pas passé par là. A Asmara, en Ethiopie, elle
a découvert la profondeur d’une culture qui l’a façonnée à l’africaine. Et son
génie associé à sa beauté en font le symbole d’un avenir possible dans le
miracle d’une réconciliation amoureuse entre les peuples.
Waberi se garde bien de faire la leçon, pas plus qu’il ne délivre aussi clairement de message d’espoir. Et sans doute son livre est-il assez touffu pour que différents lecteurs en dégagent des lignes de force variées. Voici en tout cas un ouvrage d’une rare intelligence qui, sans faire mine de se prendre au sérieux, fournit matière à réflexion. Et de la plus profonde, celle qu’on amène par le sourire.
Waberi se garde bien de faire la leçon, pas plus qu’il ne délivre aussi clairement de message d’espoir. Et sans doute son livre est-il assez touffu pour que différents lecteurs en dégagent des lignes de force variées. Voici en tout cas un ouvrage d’une rare intelligence qui, sans faire mine de se prendre au sérieux, fournit matière à réflexion. Et de la plus profonde, celle qu’on amène par le sourire.
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