Le 14 juillet 1789 commence le 28 avril. Ou à une autre
date, selon le point de vue, mais celui d’Eric Vuillard est convaincant. Cinq
jours plus tôt, Jean-Baptiste Réveillon, « roi
du papier peint », trouvant que ses ouvriers lui coûtent trop cher,
car on en est déjà à calculer les coûts de revient sur des normes de la
concurrence internationale, demande une baisse des salaires. Il pense, en tout
cas il dit que les ouvriers seront bientôt plus riches que lui. En réalité, la
France crève de faim, il y a eu des émeutes. Celle-ci commence et ne s’éteint
que le 28 avril. On a crié « Mort aux riches ! », on a brûlé
Réveillon et Henriot, fabricant de salpêtre qui avait lui aussi demandé une
baisse des salaires – symboliquement, car on n’a brûlé que les mannequins qui
les représentaient. On a pillé la riche maison de Réveillon, les gendarmes ont
tiré, il y a eu trois cents morts, autant de blessés. « Et on raconte qu’à part celle du 10 août 1792, ce fut
la journée la plus meurtrière de la Révolution. »
En quelques pages, le ton et la manière sont donnés :
dix-huit chapitres brefs et denses se succèdent, dans une écriture emportée
comme par la foule des émeutiers prêts à tout renverser sur leur passage. On
passe ainsi de l’émeute à la Révolution, sous une pluie de papier qui, à la
fin, tombe sur les badauds rassemblés près de la Bastille prise dans la
journée : « On balança en l’air
les archives de l’ordre, registres d’écrou, requêtes demeurées sans réponse,
livres de comptes, que l’on vit planer, voleter, se poser sur les toits, dans
la boue, sur les arbres, dans les fossés crasseux de la forteresse. »
Chaque chapitre est une miniature travaillée dans le détail.
Les détails sont nombreux, des patronymes qui n’ont pas été retenus par la
grande mémoire historique sont fournis, avec quelques éléments biographiques
quand on les connaît – et, quand on ne les connaît pas, on le dit, tout
simplement, mais la présence a été marquée individuellement, pas seulement dans
le grand mouvement de masse. Le lecteur scrute ces miniatures et entre dans
l’image, reconnaît untel, un autre, passés ici, puis à nouveau là-bas. Il n’y a
pas d’anonymes, tous les personnages sont campés dans leur singularité. Eric
Vuillard nous fait entrer dans la foule familière.
Ni journaliste, ni historien, ni tout à fait romancier, et pourtant tout cela à la fois, l’auteur a écrit une fresque qui aurait pu tout aussi bien s’étaler sur un millier de pages. La matière est là. Mais resserrée, condensée à un point qui rend inutiles les prolongements dont se seraient régalés les amateurs de bons gros romans historiques à la Dumas. Chaque phrase plonge le fer brûlant de l'exaltation populaire dans le cœur des hommes. Le résultat est une tragédie à hauteur d’œil, avec des temps forts et des moments de flottement pendant lesquels on ne comprend plus rien. Car la confusion règne quand l’Histoire s’écrit au présent, comme c’est le cas ici. Mais une confusion d’une force étonnante.
Ni journaliste, ni historien, ni tout à fait romancier, et pourtant tout cela à la fois, l’auteur a écrit une fresque qui aurait pu tout aussi bien s’étaler sur un millier de pages. La matière est là. Mais resserrée, condensée à un point qui rend inutiles les prolongements dont se seraient régalés les amateurs de bons gros romans historiques à la Dumas. Chaque phrase plonge le fer brûlant de l'exaltation populaire dans le cœur des hommes. Le résultat est une tragédie à hauteur d’œil, avec des temps forts et des moments de flottement pendant lesquels on ne comprend plus rien. Car la confusion règne quand l’Histoire s’écrit au présent, comme c’est le cas ici. Mais une confusion d’une force étonnante.
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