Les prix littéraires français? Tout le monde le dit, c'est magouilles et compagnie, copains et coquins se partagent le gâteau, laissent parfois tomber quelques miettes sous la table, ceux qui n'ont pas été conviés au banquet se précipitent alors avec l'espoir d'accéder brièvement au paradis des éditeurs et des écrivains...
Vous avez lu et entendu ça des centaines de fois. A une occasion sur deux environ, un commentaire ajoute: c'est tellement plus équilibré, plus objectif ailleurs, en Grande-Bretagne par exemple, avec les jurys tournants, l'absence de magouilles et compagnie.
Il en va des idées reçues comme de tout ce qu'on nous serine à longueur de temps: cela semble vrai... jusqu'au moment où on s'interroge sur la pertinence de ces affirmations.
Prenons donc, vous allez voir à quel point l'exemple est éloquent, la dernière sélection (la shortlist, comme ils disent) du Man Booker International, prix prestigieux réservé à des traductions en anglais de romans parus à l'origine dans d'autres langues. Six ouvrages sont sélectionnés, dont l'un semble introuvable en traduction française: Mirror, Shoulder, Signal, de la Danoise Dorthe Nors.
Restent cinq livres que l'édition française n'a pas manqués. Et dont la plupart ont dû échapper aux maisons coutumières des orgies automnales, suppose-t-on en raison de la vertu des prix littéraires anglo-saxons.
Sauf que non, pas du tout.
L'un est publié en français par Actes Sud, son éditeur original puisque Mathias Enard a écrit Boussole dans cette langue et a reçu, en 2015, le Goncourt, petite récompense entre amis délivrée dans une lointaine province française.
Un autre a été publié au Seuil et a été, depuis, réédité en poche (Points): Un cheval entre dans un bar, de David Grossman, traduit de l'israélien par Nicolas Weill.
Et puis, les trois autres (il est encore temps d'arrêter la lecture de cette note si vous avez décidé de vous accrocher aux idées reçues de son début) sont traduits en français chez... Gallimard, à qui on reproche si souvent de truster, pour des raisons très éloignées de jugements qualitatifs, et avec des moyens que l'on soupçonne être à la limite de la légalité, les prix littéraires parisiens.
Donc, la shortlist du Man Booker International compte aussi:
Judas, d'Amos Oz, traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen, paru en août dernier.
Toxique, de Samanta Schweblin, traduit de l'espagnol (Argentine) par Aurore Touya, à paraître la semaine prochaine.
Les invisibles, de Roy Jacobsen, traduit du norvégien par Alain Gnaedig, à paraître le 11 mai.
Les trois chez Gallimard, pardon, je me répète.
Les complotistes disent déjà, ou ne tarderont pas à dire que cette maison, pour laquelle le déménagement de la rue Sébastien Bottin à la rue Gaston Gallimard n'a pas pesé sur le budget, a proposé des contrats aux cinq jurés: Nick Barley (bien qu'il soit surtout le directeur d'un festival littéraire), Daniel Hahn (bien qu'il soit traducteur), Helen Mort (bien qu'elle soit poète, ce n'est après tout pas rédhibitoire), Eli Shafak (bien qu'elle soit traduite depuis peu chez Flammarion, qui appartient au même groupe, vous voyez bien qu'il y a un signe) et Chika Unigwe (ce qui serait une première traduction en français).
Les autres, j'en suis, iront plutôt voir du côté des livres. Je vous souhaite de faire la même chose, il y a plus de plaisir à prendre ce chemin. En attendant le 14 juin, date de la proclamation du lauréat ou de la lauréate.
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