jeudi 13 juillet 2017

Jean-Claude Fignolé dans l'éternité

Jean-Claude Fignolé, auteur d'une bonne douzaine d'ouvrages, a aussi été une figure active de la vie sociale et politique à Haïti, où il était né en 1941. Il vient de mourir à 76 ans. On se souviendra notamment du dernier livre qu'il avait publié, son sixième roman, Une heure pour l'éternité.
En 1802, le général Leclerc, à qui Bonaparte a donné sa sœur Pauline en mariage, contraint Toussaint-Louverture à se rendre. Saint-Domingue rentre dans le rang. Pas pour longtemps, mais c’est une autre histoire. Jean-Claude Fignolé, écrivain haïtien, au premier rang des intellectuels de son pays, s’arrête dans Une heure pour l’éternité à l’agonie de Leclerc, mort à trente ans l’année même de sa victoire, le 1er novembre. Il a été vaincu par un ennemi plus terrible que les hommes, la fièvre jaune. Sa dernière heure dure plus de quatre cents pages et remonte parfois loin en arrière dans le temps…
Dans son délire, Victor Emmanuel Leclerc tient une longue conversation avec son meilleur ennemi, auquel il a fait face quelques mois auparavant. Toussaint-Louverture n’est pourtant plus là puisqu’il a été exilé en France. Mais son fantôme est bien présent, et capable d’opposer à Leclerc des arguments contradictoires. On suppose que le militaire, qui croyait avoir la confiance de Bonaparte, débat surtout avec lui-même et avec ses démons, ébranlant les certitudes les mieux ancrées dans sa formation et sa carrière.
Tout est relu à la lumière de la mort prochaine. Les erreurs, dont celle d’avoir laissé la vie à Toussaint qui revient le hanter. Les trahisons, dont celle de Bonaparte par rapport aux idéaux révolutionnaires depuis qu’il s’est rallié aux intérêts économiques. Dont celle, surtout, de Pauline. Leclerc la savait volage – le mot est faible –, il la découvre livrant des secrets à l’ennemi.
Pauline est une deuxième narratrice, guère plus lucide que son mari, mais pour de tout autres raisons. Tout entière conduite par la recherche du plaisir, elle est une parfaite libertine qui aime séduire et aller jusqu’au bout de ses désirs. La relation incestueuse avec son frère, Bonaparte en personne, ne l’empêche pas de rester la frondeuse de la famille, une autre forte tête. L’éloigner par peur du scandale a été un des objectifs du Premier Consul en nommant Leclerc à la tête de l’armée qui doit reconquérir Saint-Domingue. Mais elle s’est remise à ses jeux érotiques dès la traversée, et les poursuit sur l’île, découvrant même l’extase dans ses relations avec un Noir. Découvrant, presque en même temps, l’horreur d’une guerre qui ne dit pas tout à fait son nom et dans laquelle tous les moyens sont bons pour écraser l’adversaire. Pas tout à fait lucide mais presque, Pauline prend ainsi la mesure de la cruauté que n’encourage ni ne décourage son époux. Et se met à le détester franchement…
Une troisième narratrice, voix de la raison résignée, a aussi sa place dans le roman : Oriana, souvent appelée Nana, est la camériste de Pauline et la gouvernante de son fils, Dermide. Témoin des frasques de Pauline, qu’elle organise parfois à contrecœur, Oriana est en quelque sorte la gardienne de valeurs disparues, celle qui peut faire, en son for intérieur, tous les commentaires – et celle qui, probablement, se rapproche le plus du romancier.
Car, s’agissant de Leclerc et de Pauline, Jean-Claude Fignolé les laisse à leurs propres obsessions. Ce qui donne à son livre tressé de trois discours parfois contradictoires une sorte de subjectivité éclatée, à travers laquelle apparaît une vérité floue – mais dont il faut bien se contenter. Le privilège du roman est de poser, sur un moment de l’Histoire, une grille de lecture dont chacun fait, en somme, ce qu’il veut. Et c’est très bien ainsi.

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