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jeudi 17 mai 2018

Gaëlle Nohant, Prix des Libraires pour «Légende d'un dormeur éveillé»

Hier, le Prix des Libraires 2018 a livré son verdict: Gaëlle Nohant est la lauréate, pour un roman qui s'inspire de la vie de Robert Desnos et dont j'avais eu l'occasion de parler avec elle lors de sa sortie, l'an dernier. Entretien autour de Légende d'un dormeur éveillé.


Après L’ancre des rêves, un premier roman passé presque inaperçu il y a dix ans, Gaëlle Nohant a connu un grand succès avec La part des flammes, un fait divers augmenté de passionnante fiction. Le pari consiste à susciter le même intérêt à partir d’une vie de poète, Robert Desnos (1900-1945). Sur le plan littéraire, c’est déjà gagné, malgré la complexité d’un projet dont l’écrivaine nous explique quelques secrets de fabrication, et son plaisir de l’avoir mené à bien.
Qu’est-ce qui vous a séduite chez Desnos ?
En premier, l’œuvre. Un de mes professeurs de français était fou de Desnos et nous avait fait étudier quelques poèmes. Cette poésie est devenue ma poésie de chevet. Pendant plus de vingt ans, je ne me promenais pas sans avoir un recueil de Desnos sous la main.
La découverte de l’homme est venue ensuite ?
Oui, j’ai appris rapidement qu’il avait été déporté et, un soir, en 2015, j’ai réalisé que l’anniversaire de sa mort était passé à peu près inaperçu.
En effet, Desnos est un peu oublié. N’avez-vous pas craint de faire fuir votre public en le choisissant comme sujet ?
Je m’inquiétais surtout devant l’ampleur du défi. Quel que soit le sujet, ce qui importe, c’est la manière de le traiter. Mon but était de faire un roman accessible au plus grand nombre, passionnant. Faire revivre Desnos en soi, c’était déjà compliqué, mais il fallait aussi faire revivre plusieurs époques et tous ses amis.
Il y a beaucoup de personnages…
Au départ, j’avais sous-estimé le problème. Comme il a le don de l’amitié, je ne pouvais pas le faire revivre sans ses amis. Du coup, je me retrouvais avec une espèce de « hall of fame ». Mais je voulais absolument montrer quel ami il était. J’ai passé deux ans avec lui et tous ses amis, ça m’a passionnée. C’était incroyablement enrichissant et je voulais le partager avec les lecteurs, leur donner l’impression d’y être.
Connaissiez-vous déjà ce milieu et cette époque ?
J’en avais la connaissance de quelqu’un qui a lu les surréalistes et qui s’intéresse un peu à cette époque. Mais rien à voir avec la connaissance nécessaire pour écrire un roman. J’ai dû lire à peu près deux cents livres. Il y avait aussi des images de l’INA et la presse pour se replonger dans l’état d’esprit.
Les documents vidéo aident à rendre les choses plus concrètes ?
Ça aide, notamment pour tout ce qui est historique. Le problème, c’est que vous avez une documentation immense, dans laquelle il ne faut pas se perdre, dont il ne faut garder que ce qui est utile et surtout ne pas en faire un cours d’histoire ou de littérature. D’un point de vue de romancière, j’avais beaucoup d’ambition. Je voulais montrer son parcours poétique, ses engagements d’homme. Je voulais surtout donner le sentiment du temps luxueux passé avec eux, donc laisser beaucoup de place à leurs conversations, à leurs familles.
Auriez-vous un goût pour les catastrophes ? Après l’incendie du Bazar de la Charité, voici l’Europe et le monde à feu et à sang…
Ce n’est pas que j’aime les catastrophes, mais j’aime bien ce que les personnages révèlent à travers leurs réactions. Quelle est la marge de liberté par rapport aux événements, comme se débrouillent-ils pour quand même garder leur liberté au sein d’un monde où on choisit pour eux sans cesse ? Desnos est un très bel exemple : il reste libre toute sa vie. Ça fait beaucoup de bien, pour cette raison, de fréquenter Desnos.
L’amour est un élément essentiel. D’abord, il donne l’impression d’un homme amoureux de l’amour, puis il devient amoureux d’une femme. L’avez-vous ressenti ainsi ?
Complètement. Son amour pour Yvonne George est un amour fantasmé. Il aimait aimer et souffrir de l’amour. Ça lui a permis d’écrire des poèmes magnifiques. Je rends donc grâce à Yvonne George, même si elle ne m’est pas du tout sympathique par ailleurs. Après, on rentre dans une vraie histoire d’amour, avec la dimension charnelle, avec la dimension de ratage qu’il peut y avoir dans une histoire d’amour et qui la rend bouleversante. Il a quand même un goût pour les femmes fatales, difficiles d’accès et très libres. Mais il a cette qualité d’accepter la liberté de l’autre. Je crois que c’est pour ça que Youki va s’attacher à lui, très progressivement, non sans réticences. Elle est tombée sur un homme vraiment têtu et patient.

samedi 12 mars 2016

Un grand incendie et un paquet d’intrigues

Plus qu’un autre, et pas seulement en raison du nombre des victimes, l’incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897 à Paris, a frappé l’imagination : parmi la bonne centaine de corps identifiés se trouvaient ceux d’un grand nombre de femmes de la bonne société, au premier rang desquelles la duchesse d’Alençon. La plupart étaient là pour leurs bonnes œuvres, occupation habituelle des épouses dans une classe sociale où, bien entendu, elles ne travaillent pas. Une participation au Bazar de la Charité est un signe de supériorité et certaines intriguent pour y trouver une place. Elles sont chères, il y a plus d’appelées que d’élues. Violaine de Raezal et Constance d’Estingel ont toutes les raisons de se réjouir de l’invitation que leur a faite la duchesse d’Alençon. Son comptoir, où elles lui tiennent compagnie, est le plus en vue…
Quand une odeur de fumée surgit à l’intérieur du bâtiment en bois qui abrite l’événement mondain, Gaëlle Nohant a eu le temps d’installer les personnages de son roman. Si La part des flammes repose, comme moment le plus intense du récit, sur l’incendie, le drame lui-même et ses conséquences dans la vie privée des victimes, de leurs familles, il n’est pas un roman-catastrophe. Au contraire des films du genre (d’un genre paresseux) où la fureur des éléments – au choix, l’un des quatre : eau, terre, feu, air – va croissant pendant la plus grande partie et ne s’éteint qu’à la fin, au moment du bilan, La part des flammes tire son charme, auquel ont succombé déjà beaucoup de lectrices et de lecteurs, d’une trame plus serrée.
Les sentiments y occupent une belle place. Le jeune journaliste Laszlo de Nérac, étoile montante de la presse grâce à son talent et son audace, est amoureux de Constance d’Estingel qui, après lui avoir laissé entrevoir des espérances, se refuse pourtant au mariage et rompt leurs fiançailles. Après l’incendie, Laszlo reste attaché à une femme qui se cache pour soigner ses blessures. Tandis que la vie continue et qu’il est accusé d’avoir eu un comportement de lâche au Bazar de la Charité, d’où un duel dans les règles, avec pour adversaire Armand de Raezal, le beau-fils de Violaine. Les deux femmes présentes au comptoir de la duchesse d’Alençon se trouvent ainsi liées, bien que dans des positions très différentes, à Laszlo de Nérac.
Tableau d’une époque, d’une société, La part des flammes nous fait entrer chez les puissants comme chez les faibles, dans les maisons de maître et les quartiers déshérités. Tous les personnages ont leurs grandeurs et leurs faiblesses, la romancière les répartissant habilement pour infléchir leurs relations dans des sens parfois inattendus.
Le livre de Gaëlle Nohant a un parfum venu du temps où il se déroule, jusque dans l’écriture adaptée aux aspects les plus saisissants d’un roman historique. Qui sent le brûlé, c’est somme toute assez normal.