Hier, le Prix des Libraires 2018 a livré son verdict: Gaëlle Nohant est la lauréate, pour un roman qui s'inspire de la vie de Robert Desnos et dont j'avais eu l'occasion de parler avec elle lors de sa sortie, l'an dernier. Entretien autour de Légende d'un dormeur éveillé.
Après L’ancre des rêves, un premier roman passé presque inaperçu il y a dix ans, Gaëlle Nohant a
connu un grand succès avec La part des
flammes, un fait divers augmenté de passionnante fiction. Le pari consiste
à susciter le même intérêt à partir d’une vie de poète, Robert Desnos
(1900-1945). Sur le plan littéraire, c’est déjà gagné, malgré la complexité
d’un projet dont l’écrivaine nous explique quelques secrets de fabrication, et
son plaisir de l’avoir mené à bien.
Qu’est-ce qui vous a
séduite chez Desnos ?
En premier, l’œuvre.
Un de mes professeurs de français était fou de Desnos et nous avait fait
étudier quelques poèmes. Cette poésie est devenue ma poésie de chevet. Pendant
plus de vingt ans, je ne me promenais pas sans avoir un recueil de Desnos sous
la main.
La découverte de l’homme
est venue ensuite ?
Oui, j’ai appris
rapidement qu’il avait été déporté et, un soir, en 2015, j’ai réalisé que l’anniversaire
de sa mort était passé à peu près inaperçu.
En effet, Desnos est
un peu oublié. N’avez-vous pas craint de faire fuir votre public en le
choisissant comme sujet ?
Je m’inquiétais surtout
devant l’ampleur du défi. Quel que soit le sujet, ce qui importe, c’est la
manière de le traiter. Mon but était de faire un roman accessible au plus grand
nombre, passionnant. Faire revivre Desnos en soi, c’était déjà compliqué, mais
il fallait aussi faire revivre plusieurs époques et tous ses amis.
Il y a beaucoup de
personnages…
Au départ, j’avais
sous-estimé le problème. Comme il a le don de l’amitié, je ne pouvais pas le
faire revivre sans ses amis. Du coup, je me retrouvais avec une espèce de
« hall of fame ». Mais je voulais absolument montrer quel ami il était.
J’ai passé deux ans avec lui et tous ses amis, ça m’a passionnée. C’était
incroyablement enrichissant et je voulais le partager avec les lecteurs, leur
donner l’impression d’y être.
Connaissiez-vous déjà
ce milieu et cette époque ?
J’en avais la connaissance
de quelqu’un qui a lu les surréalistes et qui s’intéresse un peu à cette
époque. Mais rien à voir avec la connaissance nécessaire pour écrire un roman.
J’ai dû lire à peu près deux cents livres. Il y avait aussi des images de l’INA
et la presse pour se replonger dans l’état d’esprit.
Les documents vidéo
aident à rendre les choses plus concrètes ?
Ça aide, notamment
pour tout ce qui est historique. Le problème, c’est que vous avez une
documentation immense, dans laquelle il ne faut pas se perdre, dont il ne faut
garder que ce qui est utile et surtout ne pas en faire un cours d’histoire ou
de littérature. D’un point de vue de romancière, j’avais beaucoup d’ambition.
Je voulais montrer son parcours poétique, ses engagements d’homme. Je voulais
surtout donner le sentiment du temps luxueux passé avec eux, donc laisser
beaucoup de place à leurs conversations, à leurs familles.
Auriez-vous un goût
pour les catastrophes ? Après l’incendie du Bazar de la Charité, voici
l’Europe et le monde à feu et à sang…
Ce n’est pas que
j’aime les catastrophes, mais j’aime bien ce que les personnages révèlent à
travers leurs réactions. Quelle est la marge de liberté par rapport aux
événements, comme se débrouillent-ils pour quand même garder leur liberté au
sein d’un monde où on choisit pour eux sans cesse ? Desnos est un très bel
exemple : il reste libre toute sa vie. Ça fait beaucoup de bien, pour
cette raison, de fréquenter Desnos.
L’amour est un
élément essentiel. D’abord, il donne l’impression d’un homme amoureux de l’amour,
puis il devient amoureux d’une femme. L’avez-vous ressenti ainsi ?
Complètement. Son
amour pour Yvonne George est un amour fantasmé. Il aimait aimer et souffrir de
l’amour. Ça lui a permis d’écrire des poèmes magnifiques. Je rends donc grâce à
Yvonne George, même si elle ne m’est pas du tout sympathique par ailleurs.
Après, on rentre dans une vraie histoire d’amour, avec la dimension charnelle,
avec la dimension de ratage qu’il peut y avoir dans une histoire d’amour et qui
la rend bouleversante. Il a quand même un goût pour les femmes fatales,
difficiles d’accès et très libres. Mais il a cette qualité d’accepter la
liberté de l’autre. Je crois que c’est pour ça que Youki va s’attacher à lui,
très progressivement, non sans réticences. Elle est tombée sur un homme
vraiment têtu et patient.
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