Près de 450 pages ne suffisent pas à digérer le prénom donné
par Marc Levy à l’héroïne de son roman : La dernière des Stanfield, bien que Donovan par son nom de famille,
s’appelle Eleanor-Rigby. Onze chapitres plus loin, le lecteur rencontre, à la
même époque (octobre 2016) mais au Québec alors qu’on était à Londres,
George-Harrison Collins. Celui-ci subit le ridicule de son prénom depuis
l’école, sans comprendre pourquoi il le porte : « Le plus étrange, c’est que nous n’écoutions même pas les Beatles
à la maison, ma mère était plutôt Rolling Stones. » Echo à la première
page, où Eleanor-Rigby expliquait avec conviction : « dans les années 1960, les fans de musique rock se divisaient en
deux groupes. Rolling Stones ou Beatles ; pour une raison qui m’échappe,
il était inconcevable d’apprécier les deux. » Les notes superflues de
bas de page sont intégrées au texte. Cela ne les rend pas moins superflues. Cela
n’allège pas non plus un style pesant.
Mais un Guillaume Musso ne suffisant pas à faire le
printemps de la librairie, il faut bien qu’après Un appartement à Paris surgisse le nouveau Marc Levy, son alter ego
dans le cœur fragile des lectrices et lecteurs de best-sellers, à chaque fois
remué par l’imagination des deux auteurs à succès, à chaque fois séduit par
l’absence de style qui les caractérise. A propos du style, inutile d’en faire
des tonnes : personne ne lit Marc Levy (ou Guillaume Musso) en espérant y
trouver la quintessence de la littérature d’aujourd’hui. Quelques efforts pour
relever le niveau d’une platitude presque parfaite seraient néanmoins
appréciés.
Tant qu’à faire, l’imagination pourrait être elle aussi mise
au service d’une plus grande vraisemblance. Eleanor-Rigby (non, on ne s’y fait
pas) a reçu, dans le premier chapitre, une lettre manuscrite et anonyme
évoquant les mystères de la vie de sa mère, et le « forfait magistral, commis il y a trente-cinq ans » par
celle-ci. Il faudra attendre le chapitre 14, avant lequel Eleanor-Rigby est la
narratrice de six autres chapitres, pour qu’elle pense à regarder le timbre sur
l’enveloppe. « J’aurais été une
piètre détective ; comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? »
En effet, « comment cela m’avait-il
échappé ? » Le romancier reprend, afin que cela ne nous échappe
pas, à nous qui ne pouvons être aussi piètre détective que son héroïne, mais la
confiance de l’écrivain en son lecteur n’est pas sans failles, les répétitions en
sont la preuve.
Tout cela ne nous dit pas de quoi il retourne, et au fond il
vaut mieux ne pas trop en révéler, le récit étant bien la seule raison pour
laquelle on peut avoir envie d’aller jusqu’au bout de ce livre. Une narration
filandreuse conduit en mouvements paresseux de 2016 aux années 1980 et jusqu’à
la Seconde Guerre mondiale. Les événements s’imbriquent et s’expliquent, les
secrets des meilleures familles ne sont pas plus jolis que ceux des milieux
modestes. Encore qu’il ne faut pas compter sur Marc Levy pour nous expliquer de
quoi ces milieux modestes sont capables, ils n’entrent pas dans son champ de
vision. Chez ceux dont il nous parle, il n’y a pas de maisons, il y a des
demeures. Demeures victimes, parfois, de revers de fortune, mais quel est le
propriétaire qui ne se trouve, un jour ou l’autre, dans la gêne ?
Heureusement, il aura mis de côté des titres ou des toiles de maître
susceptibles de le tirer d’affaire jusqu’au prochain coup gagnant.
Marc Levy joue sur du velours, sous les apparences cossues
dont il reste toujours des traces même lorsque la splendeur s’est évanouie.
Certes, ses personnages contemporains, Eleanor-Rigby et George-Harrison
(prénoms toujours aussi difficiles à écrire), ont des professions
« normales ». Elle est journaliste de voyages, il est menuisier,
vaguement spécialisé dans le faux mobilier ancien. Mais ils agissent comme
s’ils étaient protégés par un passé qui leur fournirait une sorte d’immunité
par rapport aux ennuis communs.
Bon, c’est Marc Levy, pourquoi fait-on mine d’être surpris
par cette médiocrité ?
P.S. Je sais, je sais, un nouveau roman est sorti depuis. Mais une érédition au format de poche est toujours bonne (ou non) à prendre...
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