Les armées en présence
(De
l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front français, 1er mai.
Donnons, sur
la formidable poussée allemande et concernant les effectifs, les chiffres les
plus exacts qui aient été encore arrêtés.
Les Allemands
avaient massé sur le front de France 206 divisions. Sur ces 206 divisions,
140 jusqu’à ce jour ont été engagées. Sur ces 140, plusieurs ont été ramenées
au combat, quelques-unes jusqu’à trois fois, ce qui porte à 186 le nombre des
divisions qui entrèrent dans la lutte. Il reste donc aux Allemands 66 divisions
qui n’ont pas donné. Sur celles-ci, 10 sont mauvaises et incapables de fournir
l’effort qu’exige la bataille.
Au début de
l’offensive, l’ennemi comptait dans ses dépôts de l’avant 200 000 hommes
et dans ses dépôts de l’intérieur 450 000. Dans six mois, en octobre, il
ajoutera à ces réserves sa classe 1920, soit 450 000 hommes.
Voilà la
fortune humaine de l’Allemagne. Quelles sont ses pertes, depuis quarante
jours ? Là, le calcul ne peut être fait qu’avec les données de
l’expérience. Et ce n’est pas, hélas ! ce qui nous manque. On peut
admettre que les Allemands retirent leurs divisions engagées ou arrêtent leur
effort quand elles ont perdu une moyenne de 2 200 hommes environ. Les
140 divisions allemandes de leur première ruée, ayant passé par là, on
pourrait donc écrire sans exagérer que 400 000 de leurs soldats sont hors
combat. Notre état-major, préférant être en dessous de la vérité, ne chiffre
qu’à 350 000 le nombre des pertes.
Les Allemands
ayant plus de réserves qu’ils n’ont eu de déchet peuvent donc, avec autant de
force que le 21 mars, ordonner un nouveau départ.
Mais, car il y
a un mais, mais l’unité de commandement est venue. Le 21 mars, une
véritable ligne, une arête séparait les armées britanniques des armées
françaises. Chacune était chez soi. Il y avait deux champs de bataille. Il
existait bien une entente entre elles, mais au point de vue militaire c’était
insuffisant. Une entente sous deux pouvoirs est un attelage avec deux cochers
qui ne fouetteraient pas leurs deux chevaux liés dans une même direction. C’est
ce qui s’est passé. C’est ce que les Allemands espéraient. Leur but était
gigantesque. Ils visaient l’anéantissement de l’armée anglaise qui, parce que
plus jeune comme soldats et état-major leur paraissait plus facile à détruire.
Cela fait, ils avaient l’espoir d’empêcher l’armée française d’intervenir.
L’armée von Hutier était chargée de ce rôle. Elle devait forcer la gauche
française, qu’elle ne pouvait supposer si leste, à se retirer. La route de
Compiègne et de Paris se serait alors trouvée ouverte, elle y marchait.
La gauche
française ne se laissa pas brimer. Plus l’Allemand voulait l’en séparer plus
elle se colla aux Anglais. Le démembrement ne put pas se faire. L’Allemand
voulait rompre la ligne, le Français, aussi opiniâtre, voulait la reformer. Le
Français eut raison.
À cette
course, le front s’allongea de 85 kilomètres. Les Français n’hésitèrent
pas. Ils prirent ces 85 kilomètres de supplément à leur compte. Ils firent
mieux, ils en prirent encore 10 de plus. Depuis le 21 mars, l’armée
française allongea son front de 95 kilomètres.
Toute
l’extension qui résulte de l’offensive allemande pèse sur eux. Ils ont arrêté
le boche. Ils ont dégonflé ses plans. Ils ont contenu la plus formidable
poussée – plus de deux millions d’hommes – du barbare. Ils ont couvert Amiens.
Ils ont ressoudé la ligne. Ils sont montés dans les Flandres. Ils ont couru à
la bataille de l’Oise, à la bataille de la Somme comme à la bataille d’Ypres.
Ils sont prêts à soutenir les Britanniques dans n’importe quel secteur. À
l’heure qu’il est, le boche peut chercher, il ne trouvera plus un seul front
anglais. Le front est commun. Partout où les Anglais sont, nous sommes. C’est
le commandement unique. Si les Allemands ont 66 divisions en réserve, il
nous en reste davantage.
Cela s’est
fait avec entrain, ardeur, passion. Nos soldats l’ont dit : C’est la vraie
guerre. Ils s’y sont jetés avec toute leur vitalité. On les voulait. On ne les
a pas eus.
Le Petit Journal, 4 mai 1918.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
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Lectures pour une ombre
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Dans les remous de la bataille
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