C'est l'autre saison riche de l'académie Goncourt. On en parle moins, on a tort...
Poésie, nouvelle et premier roman trouvent place dans un beau palmarès qui mérite de s'y arrêter un moment.
La poétesse luxembourgeoise Anise Koltz, souvent récompensée par d'autres jurys, reçoit, pour l'ensemble de son oeuvre, le Goncourt de la poésie. A près de 90 ans (elle les aura en juin), il n'était pas trop tard, mais il était temps. Il y a deux ans, la collection Poésie/Gallimard avait publié une anthologie de ses poèmes, sous le beau titre: Somnambule du jour. J'en extrais le début de sa préface:
Dès que j’écris une phrase, je suis désorientée et embarrassée, déjà, j’ai envie de la rejeter pour dire dans la suivante le contraire. C’est que j’ai toujours l’impression que l’essentiel m’échappe. La double face, le côté caché des choses.
Et deux vers sous la simplicité desquels grouille un monde poétique:
Mes poèmes sont des pierres / du mur de lamentation
Le Goncourt de la nouvelle couronne, au premier tour à 6 voix contre 4 pour Hélène Lenoir (Demi-tour, chez Grasset), il aurait pu le faire il y a onze ans pour Microfictions (mais cela avait été, alors le Prix France Culture/Télérama), Régis Jauffret pour Microfictions 2018 (Gallimard), suite (et pas fin?) d'une entreprise gigantesque (étiquetée roman sur la couverture) à travers laquelle l'écrivain entend raconter, par fragments, rien moins que le monde. Un peu plus de mille pages pour moitié moins d'histoires brèves, taillées à l'os, cyniques, sévères, cruelles, et pourtant si tendres.
Je vous confie la chute de la dernière microfiction du volume, en espérant vous donner envie de découvrir tout ce qu'il y a avant:
Installée à la table de la cuisine Karine faisait semblant de corriger le manuscrit pendant que les deux flics me demandaient de les suivre tranquillement pour ne pas les obliger à me passer les menottes devant les enfants.
Le Goncourt du premier roman va, au premier tour à 6 voix contre 4 pour Myriam Leroy (Ariane, chez Don Quichotte), à Mahir Guven pour Grand frère (Philippe Rey), un ouvrage paru lors de la dernière rentrée littéraire d'automne et pas vraiment noyé dans la masse puisqu'il a émergé à la faveur, cette année déjà, des Prix Première, en Belgique, et Régine Deforges, en France. Le début accroche l'attention:
La seule vérité, c’est la mort. Le reste n’est qu’une liste de détails. Quoi qu’il vous arrive dans la vie, toutes les routes mènent à la tombe. Une fois que le constat est fait, faut juste se trouver une raison de vivre. La vie ? J’ai appris à la tutoyer en m’approchant de la mort. Je flirte avec l’une en pensant à l’autre. Tout le temps, depuis que l’autre chien, mon sang, ma chair, mon frère, est parti loin, là-bas, sur la terre des fous et des cinglés. Là où, pour une cigarette grillée, on te sabre la tête. En Terre sainte.
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