L’enjeu n’est plus telle ville ou telle
position
(De
l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front français,
29 mai.
Voilà l’heure
où, l’âme tendue, nous devons tous avoir la patience d’attendre. C’est le grand
duel à mort qui est engagé. Dans cette nouvelle tempête, les destinées se
jouent plus sûrement que le 21 mars.
Il ne s’agit
plus d’empêcher de prendre des villes, si chères qu’elles soient à notre
douleur, l’affaire est bien plus haute : il s’agit de se rencontrer en
champ libre avec une des plus violentes ruées du barbare.
Jadis, une
position, une cité, quelques kilomètres bornaient l’ambition des attaques. Les
troupes partaient à l’assaut pour enlever tel point défini ; ce point
atteint, l’opération était terminée ; ce point manqué, la troupe avait
échoué sans recours. Pour vous réjouir ou vous désoler, vous n’aviez qu’une
journée, parfois deux, à passer, votre jugement n’avait pas à patienter.
Nous n’en
sommes plus là. L’ennemi, formidablement équipé, est parti pour défaire l’armée
française ; ce but est son seul objectif ; il tape depuis soixante
heures ! Sa tâche est à peine commencée.
Pour
l’instant, il n’a fait qu’entamer ce qu’il avait devant lui. Il a bénéficié
d’inouïes précautions, de ruses. Il était bien à sept contre un.
Sur les
routes, où nous avons roulé pour rallier le champ tragique, tout le long du
pays du front, la France accourt.
Voici un
tableau :
Cent camions
vides attendaient le long d’une route, propres et brillants, derrière eux six
voitures découvertes pour les officiers suivaient. Les chauffeurs, propres
comme leurs camions, rangés autour d’un de leurs chefs écoutaient. L’officier
leur disait : « Je vous ai fait laver, parce que maintenant vous en
avez pour longtemps ; je vous ai fait dormir, parce que vous en avez aussi
pour longtemps. Il ne s’agit plus désormais que de rouler, que de rouler sans
arrêt deux jours, trois jours s’il le faut, c’est pour la France. » Ils
crièrent tous dans un grand cri : « Vive la France ! » et
ils tournèrent le moteur.
Sans sommeil,
dans la poussière et dans l’ordre – l’ordre est saisissant – calme, l’armée va
jouer notre sort.
Le Petit Journal, 30 mai 1918.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
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