lundi 14 avril 2014

Martin Suter en lutte contre le temps

Suffit-il de ne pas croire au temps pour l’annuler ? De reconstituer dans les moindres détails une journée vieille de 21 ans, « une journée heureuse, où son épouse était encore en vie », pour la revivre ? Knupp le croit, en tout cas, et lui qui est considéré par ses voisins comme un vieil homme méchant réussit à convaincre l’un d’eux, Taler, de participer à son projet. Taler n’a pas la même foi dans l’entreprise. Mais il est prêt à se raccrocher à n’importe quoi dans l’espoir d’effacer le jour où, un an plus tôt, Laure, sa femme, a été abattue devant la porte de chez eux. Il est même prêt à y investir toutes ses économies et, puisqu’elles ne suffisent pas, à détourner des fonds dans la société où il travaille pour payer les factures d’un travail de précision : il faut refaire le jardin à l’identique de ce qu’il était le 11 octobre 1991, trouver les mêmes voitures que celles présentes sur le parking, se soucier de tous les détails dont pas un seul ne doit échapper à l’œil dans la comparaison entre les photos de l’époque et celles d’aujourd’hui.
Tout cela, Martin Suter le présente comme une évidence, alors que le roman repose en réalité sur un mécanisme très subtil. Le temps, le temps fait mine de poser des questions qui dépassent l’entendement, pour mieux ne pas y répondre. Ce n’est d’ailleurs pas nécessaire. L’écrivain suisse impose une logique inhabituelle, et nous l’acceptons sans difficulté. Grâce, notamment, à la tension qui habite un récit sournois dans sa construction, comme un piège dans lequel il est presque impossible de ne pas tomber. Au moins jusqu’à la scène finale qui remettra en question tout ce à quoi nous avions fini par nous faire.
Les deux veufs, Knupp de longue date et Taler plus récemment, ne partagent, au fond, que le sentiment de la perte. Leur association est bancale, Taler s’en doute un peu et ne se laisse pas distraire, malgré son implication dans le rêve de Knupp, de son véritable but : trouver l’assassin de son épouse et se venger en le tuant. Mais sa quête personnelle se heurte à ses propres errements intérieurs, à des convictions fragiles qui le conduisent longtemps sur une fausse piste. Tout se résume pour lui à cette vague impression : quelque chose a changé, mais quoi ? Il refait le repas du soir où Laure est morte, boit la même chose, allume une cigarette qu’il ne fume pas pour retrouver l’odeur qui accompagnait sa femme. Et, dans les interstices, se joue la partie complexe qu’il finira par gagner.

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