mardi 8 avril 2014

Antoine Bello crée un prodige du foot

Déconcertant Antoine Bello. Il avait poussé loin l’art du montage et du trompe-l’œil dans ses ouvrages précédents : le diptyque Les falsificateurs et Les éclaireurs, puis Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet. On se demandait ce qu’il trouverait pour un nouveau tour de piste éblouissant, poudre aux yeux et manipulations au service de la fiction. Et puis… rien. Non, pas rien. Mais un registre plus classique, une construction simple, éloignée de toute recherche formelle. Antoine Bello prouve ainsi qu’il n’a pas besoin d’artifices pour séduire, car Mateo, du nom de son personnage principal, est un livre qu’on ne lâche pas. Même si on ne s’intéresse pas au football, puisqu’il n’est question que de cela. Et, bien sûr, à travers le football comme dans le meilleur de la littérature qui utilise le sport, des relations entre les êtres humains, des valeurs, de la société, etc. De tout ce qui peut nourrir un roman.
Mateo Lemoine est, au moment où il reçu au baccalauréat à dix-huit ans, un grand espoir du football français. Patrick, son parrain et en même temps son agent, lui prépare un bel avenir dans lequel la gloire et la fortune sont destinées à se conjuguer dans un bonheur partagé avec Valentine, la petite amie idéale puisqu’elle est prête à suivre Mateo partout où il ira. Les premières pistes sont solides : quatorze propositions ont été déposées et les trois plus intéressantes ont de quoi faire rêver en début de carrière. Manchester United, le Real Madrid et le Bayern Munich. Avec des offres différentes, dont il faut peser les composantes : le salaire, la durée du contrat, la certitude de jouer les championnats sans se retrouver sur le banc des remplaçants, etc.
Patrick connaît tout cela sur le bout des doigts mais écoute aussi les arguments de Françoise, la mère de Mateo. Tout en maintenant une ligne directrice qu’il expose clairement : « La décision d’aujourd’hui ne doit pas nous faire perdre de vue que l’objectif ultime consiste à installer la marque Lemoine dans le cœur du public. Nous voulons rendre Mateo indispensable sur le terrain, mais aussi dans les plans média des annonceurs. » Françoise bondit : « mon fils n’est pas un homme-sandwich. » Et le débat se poursuit, bien que l’opinion de Patrick soit faite.
Celle de Mateo aussi, à la surprise générale : au lieu de devenir professionnel, il veut gagner le championnat universitaire avec l’équipe de Vernet. Son père entraînait cette équipe jusqu’à sa mort dans un accident de car au cours d’un déplacement. Et c’est en mémoire de lui, pour décrocher le titre qui lui avait échappé, qu’il a pris cette décision mûrement réfléchie.
La scène, au début du roman, détermine la suite. Mateo connaît l’étendue de son talent et le travail qu’il a accompli pour s’améliorer dans tous les secteurs du jeu. Il sait qu’il peut mener Vernet à la victoire. Il ignore encore, cependant, la taille des obstacles à franchir. Pas tellement les équipes concurrentes, mais plutôt le caractère entier d’un entraîneur qui voit d’un mauvais œil arriver une vedette dans un groupe de qualité moyenne. Olivier Fischer, l’entraîneur en question, qui a bien connu le père de Mateo, va faire rentrer celui-ci dans le rang avant de comprendre qu’ils peuvent ensemble, l’un sur le terrain, l’autre à la manœuvre, accomplir de belles choses.
Antoine Bello reste concentré sur Mateo. Mais il s’agit maintenant de Mateo dans un groupe, et de la manière dont s’établissent des rapports de force qui évolueront en complicité. Pour cela, il faudra que tout le monde comprenne à quel point Mateo est prêt à tous les sacrifices en faveur d’un collectif que sa présence transcende. Pour autant, le championnat est loin d’être gagné d’avance et il reste une saison à gérer.
Elle ne suffira d’ailleurs pas, le romancier prenant plaisir à retarder le moment de gloire. Retard qui aura des conséquences multiples sur la vie du joueur et de son entourage, puisque tout est lié. Comme dans la vie.

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