jeudi 10 avril 2014

Nicolas d’Estienne d’Orves entre Modiano et Dumas

Le 13 mai 1946, Guillaume Berkeley est condamné à mort pour collaboration. Le public accueille le verdict en injuriant le coupable. Une journaliste conclut : « L’île de Malderney est en deuil, mais la France se porte déjà mieux : un nouveau traître va payer pour ses crimes. » Malderney est une île anglo-normande ajoutée aux cartes géographiques par Nicolas d’Estienne d’Orves. Guillaume Berkeley est un personnage tout aussi imaginaire. Et que la France se porte mieux est une appréciation personnelle (de la journaliste, pas de l’auteur) dont chacun fera ce qu’il voudra. De préférence après avoir lu les sept cent et quelques pages d’un roman touffu et passionnant.
L’argument rejoint celui que Patrick Modiano a exploré dans certains romans situés à la même époque : une ambiguïté fondamentale cultivée en des temps troublés après lesquels on vous demandera dans quel camp vous vous trouviez – et, si vous n’avez pas de réponse, on vous la fournira. Nicolas d’Estienne d’Orves s’éloigne de Modiano par la manière dont il traite le sujet, plus proche d’un Alexandre Dumas capable de tenir un lecteur en haleine le temps nécessaire à aller jusqu’au bout du roman sans relâchement de l’attention.
Au départ, il n’y a guère plus qu’une connerie de jeunes adultes encore adolescents dans leur approche de l’amour. Victor et Guillaume, des frères élevés dans le culte de la littérature française, se disputent leur demi-sœur Pauline dont ils sont amoureux, tandis qu’elle reste dans l’ambiguïté (elle aussi). Guillaume part à Paris au moment de la déclaration de guerre, le 1er septembre 1939. Installé chez son mentor qui séjournait chaque année sur l’île de Malderney, Guillaume hésite bientôt entre sa fidélité à celui-ci, qui est juif, et le monde des plaisirs aussi intellectuels que sensuels dans lequel sa jeunesse et sa vivacité d’esprit font merveille. Il a dix-huit ans, il est prêt à tout pour se frotter aux esprits les plus brillants de son temps, et tant pis s’ils l’entraînent dans une direction que son absence de convictions ne l’aurait pas fait choisir. Il côtoie le « meilleur » de la collaboration intellectuelle, dîne aux tables les plus fines, fréquente les femmes les plus aguichantes…
Alexandre Dumas veille : on côtoie des écrivains et des artistes de renom, saisis dans des moments si peu reluisants de leur biographie qu’on est parfois surpris de les trouver là, et en outre on a droit à plus de rebondissements qu’on n’osait en espérer.

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