Emmanuel Dongala n’a pas toujours été publié chez Actes Sud. Johnny Chien Méchant était paru au Serpent à plumes il y a une
quinzaine d’années. Mais c’est en « Babel », la collection de poche
de la nouvelle ministre française de la Culture, que reparaît ce roman. L’écrivain
congolais y est accueilli depuis 2010.
C’était avec Photo de
groupe au bord du fleuve, un livre puissant qui remporta plusieurs prix
littéraires, et qui a été suivi, cette année, par La Sonate à Bridgetower. Emmanuel Dongala est donc maintenant comme
chez lui à l’enseigne d’Actes Sud, dont la patronne, Françoise Nyssen, vient d’être nommée à la tête du ministère de la Culture. D’une
certaine manière, elle occupait déjà ce poste à Arles, où la maison d’édition
fondée par son père il y a quarante ans s’était adjoint sous sa direction une
librairie, un cinéma, une salle de concert…
Il est donc plaisant de saluer, à l’occasion d’une réédition
parue ce mercredi, une nomination intervenue le même jour. Sans oublier, bien
entendu, le livre dont on avait l’intention de parler, et auquel on revient
tout de suite.
Ahmadou Kourouma avait donné voix, dans Allah n’est pas obligé, à un de ces enfants soldats que les guerres
africaines consomment sans modération. Avec Johnny
Chien Méchant, Emmanuel Dongala en invente un autre, à peine plus âgé
(seize ans), et lui adjoint en contrepoint une Laokélé, quinze ans, appartenant
au long cortège des réfugiés dans leur propre pays.
On pourrait l’oublier : en principe, une guerre, même
civile, surtout civile, se justifie. Même celle-ci : « Lorsque les combats avaient commencé, nous, on savait seulement
que, comme d’habitude, deux leaders politiques se battaient pour le pouvoir
après des élections que l’un disait truquées et que l’autre disait
démocratiques et transparentes. » Reste à savoir pourquoi s’engager de
l’un ou de l’autre côté. Le hasard joue un rôle presque aussi grand que la
nécessité, les motivations réelles étant loin d’être politiques, loin aussi des
discours officiels pour le peuple et la liberté. Johnny lui-même donne ses
raisons : « Pour nous enrichir.
Pour faire ramper un adulte. Pour avoir toutes les nanas qu’on voulait. Pour la
puissance que donnait un fusil. Pour être maître du monde. »
Dans ce contexte, tout est permis, l’autorité des chefs étant
la seule limite, à moins que ce soit leurs caprices. Johnny relate ses exploits
avec la fièvre de pouvoir qui l’anime, et qui contamine l’écriture de Dongala
pour mieux rendre compte de cette folie.
Comme il faut bien que d’autres la subissent, la population
civile est ballottée selon les avancées de l’un ou l’autre clan. Chaque
victoire étant ponctuée de pillages, Laokélé n’a rien de plus pressé, à
l’annonce de prochaines vicissitudes, que d’enterrer les maigres biens de la
famille, de charger sur une brouette sa mère amputée des deux jambes et de
prendre la route avec son jeune frère.
La route est encombrée d’autres fuyards qui ignorent la
meilleure direction à prendre. Le flot est mouvant, le chaos est total. Dongala
donne l’impression de filmer la foule caméra à l’épaule, dans le tremblé du
reportage saisi sur le vif. On s’y croirait. Et rien n’est drôle, en
particulier pour Laokélé que nous suivons dans les plans rapprochés.
Laokélé est plus mûre que son âge. La résistance aux
événements lui a tanné la peau, sans entamer sa sensibilité. Elle est
impressionnante de maîtrise d’elle-même, et le sera jusqu’au bout, dans une
dernière scène racontée deux fois, des points de vue du jeune garçon et de la
jeune fille puisqu’il fallait bien que l’alternance des voix se conclue par
leur rencontre.
Sur un sujet douloureux, Emmanuel Dongala, que ses précédents livres avaient déjà placé parmi les écrivains africains francophones de premier plan et qui a prouvé depuis celui-ci la constance de son inspiration de haut vol, réussit un roman saisissant de réel. Tout y est, d’une guerre qui ressemble à tant, à trop d’autres et qui implique aussi une communauté internationale parfois bien virtuelle. Johnny Chien Méchant restera, parce qu’il est d’une rare justesse de ton ou de tons, entre les deux personnages principaux, une transposition romanesque exemplaire de l’histoire immédiate.
Sur un sujet douloureux, Emmanuel Dongala, que ses précédents livres avaient déjà placé parmi les écrivains africains francophones de premier plan et qui a prouvé depuis celui-ci la constance de son inspiration de haut vol, réussit un roman saisissant de réel. Tout y est, d’une guerre qui ressemble à tant, à trop d’autres et qui implique aussi une communauté internationale parfois bien virtuelle. Johnny Chien Méchant restera, parce qu’il est d’une rare justesse de ton ou de tons, entre les deux personnages principaux, une transposition romanesque exemplaire de l’histoire immédiate.
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