À Athènes avant le départ
(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Athènes, 12 juin.
Il est midi passé. L’ultimatum est expiré. Constantin n’est
pas encore parti. « La foule m’en empêche », dit-il. C’est faux. Je
viens de faire le tour du palais ; la foule n’est nullement compacte. Sans
bousculer personne, on peut toucher tant que l’on veut chaque barreau des
grilles. Constantin joue un dernier hasard.
Les Épistrates, et non le peuple, sont groupés devant les
portes du palais ; ce sont eux que le roi appelle « les
Athéniens ». Les Épistrates s’enhardissent ; ils crient
maintenant : « Non, non ! » Trois ministres,
MM. Négris, Demergis et un autre se présentent à cette minute au palais.
Les Épistrates les reconnaissent et les empêchent d’entrer : « Vous
venez de faire partir notre roi, crient-ils, non, non ! » et ils les
forcent à s’en retourner.
Une patrouille de soldats bien triés est envoyée pour faire
la police. Ils font cause avec les réservistes.
Le gouvernement occulte, sans aucun succès d’ailleurs, tente
sa dernière chance.
Avertissement
Deux heures. Le roi est encore à Athènes ; les
torpilleurs attendent à Phalère qu’il veuille bien s’embarquer. Les Épistrates
crient toujours : « Non ! Non ! » Un avion français,
premier avertissement, apparaît sur la ville ; il passe, à cet instant,
au-dessus de l’Acropole.
Nos soldats débarquent
À trois heures, les soldats français mettent pied à terre au
Pirée. Le temps est splendide ; l’Acropole, face à eux, de sa beauté implacable,
les accueille. Le premier détachement s’installe sur les collines et là, sous
le vent, les clairons sonnant, le drapeau tricolore est hissé. Ils sont joyeux,
les poilus. Plus de bled, plus de sales villages, plus de terres labourées,
mais Athènes. Un officier me serre les mains de joie et me dit, alors que je
lui désigne le Parthenon : « Je suis professeur de littérature ;
vous sentez ce que je sens. »
Deux cyclistes précèdent la colonne ; un poste grec de
vingt hommes les voyant apparaître disparaît à grand pas et rentre dans une
maison. Nos poilus passent sur la plage, devant les grands hôtels de Phalère.
Les baigneurs, sur la terrasse ou dans l’eau, les regardent ; les trams
d’Athènes au Pirée circulent ; les voyageurs, tous debout, la tête et les
bras aux fenêtres, agitent leurs mains. Les chemineaux de Sarrail, par la plus
belle lumière du monde, montent vers la victoire.
Ce soir, le Pirée, Phalère et leurs alentours seront occupés
de détachements qui gagneront les portes d’Athènes.
Où est le roi ?
C’est bien le Roi qui, vers cinq heures trente, passa dans
une auto rapide. Mais, depuis, sa piste est perdue. Il est huit heures trente
et il ne s’est encore présenté à aucun des embarcadères. Nos agents, en
observation sur les routes conduisant à la mer, n’ont pas vu sa voiture. Je les
ai battues moi-même ; je n’y ai rencontré que la foule curieuse et les
soldats français.
Toutes les présomptions font croire qu’il s’est rendu au
château de Tatoï. On le recherche, si je puis m’exprimer ainsi.
Le Petit Journal, 15 juin 1917
La Bibliothèque malgache publie une collection numérique, Bibliothèque 1914-1918, dans laquelle Albert Londres aura sa place, le moment venu.
Isabelle Rimbaud y a déjà la sienne, avec Dans les remous de la bataille, le récit des deux premiers mois de la guerre.
Et Georges Ohnet, avec son Journal d'un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914, dont le dix-septième et dernier volume est paru, en même temps que l'intégrale de cette volumineuse chronique - 2176 pages dans l'édition papier.
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