jeudi 24 mai 2018

Quatorze fois Nicolas Le Floch, et la fin...

Jean-François Parot, 71 ans, n'ira pas plus loin que Le prince de Cochinchine, quatorzième volume des enquêtes de Nicolas Le Floch, fin gourmet et commissaire au Châtelet, paru chez Jean-Claude Lattès l'an dernier. A moins qu'avant de mourir hier, il ait eu le temps de terminer un épisode de mieux. J'avais pris l'affaire en route, je ne suis pas allé jusqu'au bout, voici quand même quelques articles brefs - et un plus consistant - sur quatre titres de la série.



Quand Nicolas Le Floch passe à table pour un dîner confortatif, il en oublie son enquête. Et veut connaître, des plats servis, tous les détails qui font venir l’eau à la bouche. Pauses bienvenues dans une affaire sordide qui menace la reine en 1778, après un bal de l’Opéra. On vole des clés et de l’urine. Des libelles et des ouvrages licencieux circulent. Restif de La Bretonne est une mouche – un indicateur de la police. Pas un instant d’ennui dans une époque agitée.


Nicolas Le Floch a vieilli de vingt ans en huit volumes que Jean-François a écrits en moitié moins de temps. En 1780, il est pourtant à peine moins ingambe, apprécie toujours la bonne chère et les plaisirs de la chair. Il a compris que M. de Chamberlin a été assassiné. Avec, peut-être, de lourdes conséquences pour le ministre Sartine, qu’il faudra défendre par fidélité. Malgré l’atmosphère de complot qui règne dans l’entourage du roi. Navigation à vue entre des intérêts divergents.


Jean-François Parot doit écrire les aventures de Nicolas Le Floch en habit, avec sur la table plume, papier, encre, sable et un pain de cire à cacheter qu’il utilise une fois son manuscrit achevé, avant de l’envoyer à son éditeur. Il est tellement plongé dans son 18e siècle qu’il en adopte les pratiques en même temps que le langage. Celui-ci semble, en raison de la distance, légèrement guindé. Mais est-il temps de passer à table, chez Noblecourt ou dans quelque auberge de bonne renommée, que l’écrivain, narines dilatées à la pensée des fumets évoqués, s’empourpre, se libère le col, part corps et âme dans la description d’une cuisine riche et sophistiquée. Puis, les plats avalés avec gourmandise par les protagonistes du roman, le même écrivain se laisse aller à un léger assoupissement, avant de reprendre le flux d’événements tourmentés.
Selon toute vraisemblance, ce tableau ne correspond en rien à la manière dont Jean-François Parot écrit. Mais il nous plaît de l’imaginer ainsi à la tâche, tant il nous projette à l’époque où Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet, chargé des affaires extraordinaires, met son intelligence et sa finesse au service du roi. En particulier quand l’affaire est complexe. Et elle l’est singulièrement dans L’enquête russe, dixième volume d’une série au succès bien mérité.
Nous sommes en 1782, Benjamin Franklin est à Paris où il représente les forces indépendantistes qui cherchent à se dégager de la puissance britannique contre laquelle la France est en guerre. Paul, fils de Catherine II de Russie, voyage incognito en France, sous le nom de comte du Nord – une discrétion toute relative puisque sa présence est très médiatisée, comme ne l’écrit bien sûr pas Jean-François Parot. Et Nicolas Le Floch est chargé d’une mission qui déborde de ses fonctions policières tout en convenant parfaitement à son esprit d’initiative : approcher le prince, gagner sa confiance et s’assurer de la fidélité qu’il manifestera en faveur de la France quand ce sera nécessaire.
Passons sur le plan assez audacieux, et encore plus risqué, mis en place pour obtenir ce résultat. De toute manière, les événements qui surviennent, et au cours desquels s’accumulent les cadavres, obligent Nicolas à improviser. Ce qu’il fera, bien entendu, brillamment, même si, dans la plus grande partie du roman, il ne parvient pas à relier les différents éléments qui se présentent à lui. On serait perplexe à moins. L’auteur a dû travailler l’intrigue autant que l’écriture. De quoi se régaler, en attendant la suite.


Nicolas Le Floch apprend le secret de sa naissance, sauve la vie de Louis XVI et retrouve, en espionne, la mère de son fils. Celui-ci lui demande l’autorisation de se marier. Rien que cela, dans un roman touffu où l’on mange quand même avec goût et appétit entre deux intrigues à la Cour, dont l’affaire du collier n’est pas la moindre. Mais elle se termine, le moment est venu de passer à autre chose, dans la familiarité d’une époque où l’on démolit les constructions sur les ponts de Paris.

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