mercredi 30 mai 2018

14-18, Albert Londres : «C’est le grand duel à mort qui est engagé.»




L’enjeu n’est plus telle ville ou telle position

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front français, 29 mai.
Voilà l’heure où, l’âme tendue, nous devons tous avoir la patience d’attendre. C’est le grand duel à mort qui est engagé. Dans cette nouvelle tempête, les destinées se jouent plus sûrement que le 21 mars.
Il ne s’agit plus d’empêcher de prendre des villes, si chères qu’elles soient à notre douleur, l’affaire est bien plus haute : il s’agit de se rencontrer en champ libre avec une des plus violentes ruées du barbare.
Jadis, une position, une cité, quelques kilomètres bornaient l’ambition des attaques. Les troupes partaient à l’assaut pour enlever tel point défini ; ce point atteint, l’opération était terminée ; ce point manqué, la troupe avait échoué sans recours. Pour vous réjouir ou vous désoler, vous n’aviez qu’une journée, parfois deux, à passer, votre jugement n’avait pas à patienter.
Nous n’en sommes plus là. L’ennemi, formidablement équipé, est parti pour défaire l’armée française ; ce but est son seul objectif ; il tape depuis soixante heures ! Sa tâche est à peine commencée.
Pour l’instant, il n’a fait qu’entamer ce qu’il avait devant lui. Il a bénéficié d’inouïes précautions, de ruses. Il était bien à sept contre un.
Sur les routes, où nous avons roulé pour rallier le champ tragique, tout le long du pays du front, la France accourt.
Voici un tableau :
Cent camions vides attendaient le long d’une route, propres et brillants, derrière eux six voitures découvertes pour les officiers suivaient. Les chauffeurs, propres comme leurs camions, rangés autour d’un de leurs chefs écoutaient. L’officier leur disait : « Je vous ai fait laver, parce que maintenant vous en avez pour longtemps ; je vous ai fait dormir, parce que vous en avez aussi pour longtemps. Il ne s’agit plus désormais que de rouler, que de rouler sans arrêt deux jours, trois jours s’il le faut, c’est pour la France. » Ils crièrent tous dans un grand cri : « Vive la France ! » et ils tournèrent le moteur.
Sans sommeil, dans la poussière et dans l’ordre – l’ordre est saisissant – calme, l’armée va jouer notre sort.
Le Petit Journal, 30 mai 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

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