jeudi 29 juillet 2010

Relire Voltaire, ou plutôt le lire

L'hebdomadaire L'Express, cette semaine, est pour moi une madeleine proustienne, qui me renvoie à un autre temps et à un autre climat, à l'époque où je m'étais transformé en graphomane. Vivant, comme on dit, "de ma plume", j'écrivais des livres sur tous les sujets qu'une maison d'édition amie voulait bien porter sur un contrat. Je signais, je me documentais, je fournissais un manuscrit, le livre sortait - j'étais déjà passé à autre chose. Les thèmes abordés n'étaient pas chaque fois ceux sur lesquels j'avais envie de travailler, mais il fallait bien vivre. Il n'empêche que je suis assez fier d'avoir consacré des mois à préparer et à réaliser un petit Aide-mémoire Voltaire pour lequel j'ai lu, je crois, l'intégralité de l'œuvre. L'idée m'amusait - j'ai toujours aimé me placer face à des obligations pour me donner l'occasion de faire ce dont je rêvais. Et lire Voltaire, tout Voltaire, était bien un projet que j'avais longtemps caressé sans savoir comment je pourrais le mener à bien. Écrire ce livre m'en a donné l'occasion. Aujourd'hui encore, j'en éprouve une certaine satisfaction. Certes, l'ouvrage est épuisé depuis longtemps, il me semble d'ailleurs qu'il n'a pas été un succès. Il n'empêche: je suis surpris de le retrouver sur le marché de l'occasion, à des prix qui me semblent excessifs: 11€ à la Librairie du Cardinal à Villenave d'Ornon, 18€ chez Amazon ou même 21€ chez Chapitre.com. Je n'en ai plus un seul exemplaire et probablement n'aurai-je plus jamais l'occasion de le racheter.
Tout ceci pour dire que la couverture de L'Express avec son portrait de Voltaire a tout pour me réjouir. Même si, vous le comprendrez après tout ce que je vous ai raconté (au risque de vous ennuyer), j'ai eu le sourire un peu aigre en lisant, dans la présentation d'un entretien avec Charles Dantzig: "L'auteur du Dictionnaire égoïste de la littérature française (Grasset) a lu les œuvres de Voltaire, que plus personne ne lit." Plus personne? Vraiment? Et moi, alors? Mais, outre que Charles Dantzig n'est pas responsable de cette phrase, il ne dit sur Voltaire que des choses intelligentes - et mieux que moi. Notamment ceci, qui me semble résumer l'image approximative que nous avons de nombreux écrivains connus davantage par ouï-dire que par le rapport entretenu avec leurs textes: "Nous avons sculpté de Voltaire une statue qui ne lui ressemble pas."
Que faire donc pour retrouver un Voltaire authentique? Le lire, pardi! Je conseillerais volontiers de commencer par un de ses livres les plus excitants, et qui vient d'être réédité, son Dictionnaire philosophique, dans lequel j'ai eu le bonheur de replonger il y a peu. Croyez-moi: cela donne envie d'aller plus loin et de retrouver un sacré bonhomme, bien entendu farci de contradictions - le dossier de L'Express ne fait pas l'impasse sur celles-ci - mais susceptible de fournir bien des raisons de penser par soi-même. Le cadeau est inestimable.

mardi 27 juillet 2010

Tour de France: après le vélo, Raymond Dumay

J'ai longtemps cru que Raymond Dumay était l'auteur d'un seul livre, ou presque: un Guide du vin que je vendais par camions au rayon poche de la librairie où je travaillais dans les années soixante-dix. Oh! il avait aussi écrit sur les alcools et les jardins. Mais, n'ayant jamais, à l'époque, ouvert son ouvrage phare dont je me contentais d'encaisser le prix, je n'imaginais pas quelle était la culture de cet homme très fin, et combien je me régalerais plus tard d'autres textes sur lesquels Jean-Claude Pirotte a, ces dernières années, attiré l'attention.
Pour ceux qui seraient, depuis dimanche, orphelins du Tour de France et du duel à fleurets mouchetés que se sont livré Alberto Contador et Andy Schleck, voici quatre livres d'un coup, écrits par un Raymond Dumay qui profitait de ses étés pour courir la province au guidon d'un vélo... moteur baptisé Pégazou. Et, comme l'auteur, natif de Bourgogne.

Ma route de Bourgogne est sa première destination en 1948. Il connaît le coin, mais il est toujours prêt à se laisser aller au hasard des rencontres, à faire un détour pour fouiner dans les archives d'un chercheur méconnu, à cueillir des vers de poètes locaux. Et à boire le coup avec l'un ou l'autre. C'est un régal, qui appelle une suite.

En 1949, voici donc Raymond Dumay et Ma route d'Aquitaine. Toujours butinant entre passé et présent. Manquant Claude Roy, parti à Paris, mais trouvant chez lui Roger Vailland, de retour de Tchécoslovaquie - d'où Claude Roy lui enverra, un peu plus tard, un de ces poèmes qui ont fait de lui un écrivain majeur du 20ème siècle - majeur et pourtant si peu lu. Je profite de l'occasion pour citer quelques vers:
Très loin dans le dedans de mon écorce chaude,
Dans le noir embrouilli des veines et du sang,
Le poseur de questions tourne en rond, tourne et rôde,
Il veut savoir pourquoi tous ces gens, ces passants...
De quoi, j'espère, donner envie de lire à la fois Claude Roy et Raymond Dumay.

Ma route de Languedoc, en 1951, rappelle que le train, déjà chanté dans le volume précédent, est quand même le meilleur moyen de commencer un périple loin de Paris. Pour le poursuivre, bien entendu, sur Pégazou. Qui le conduit chez Jean Lebreau, écrivain bien oublié aujourd'hui mais qui mériterait peut-être, sous la houlette d'un excellent guide, une réhabilitation (je n'en sais rien, en fait, je dis ça à tout hasard, pour les curieux).
L'horizon du Languedoc est plus large qu'on pouvait le penser: nous partons, avec Monfreid, pour d'aventureux voyages dans le monde, de Bombay à Suez, de Djibouti aux Seychelles. Raymond Dumay conduit prudemment mais nous mène loin...

Pour une quatrième et dernière destination, en 1954, Ma route de Provence s'arrête sur le pont d'Avignon, point de départ d'une errance qui passe par Alphonse Daudet et son inévitable moulin, qui parle de Zola, d'André Suarès, de Pagnol, Cendrars, bien d'autres, et s'achève au pays de Giono et Bosco, avec une station au château de Sade.
Érudit sans prétention, Raymond Dumay est parfait dans son rôle et on regrette que le voyage s'arrête après ce quatrième volume...

dimanche 18 juillet 2010

Bernard Giraudeau, l'écrivain

Décidément, même une mort annoncée reste un choc, plus ou moins grand selon la proximité avec la personne qui disparaît. Mais la proximité peut avoir été créée par des lectures, même si on n'a jamais rencontré celle ou celui dont on vient d'apprendre la fin.
Je n'avais donc jamais rencontré Bernard Giraudeau. Je l'avais vu dans des films, comme tout le monde. Comme beaucoup, j'avais lu plusieurs de ses livres. Trois, pour être précis.
Dès le premier de ceux-ci, toute prévention envers la célébrité qui se fait passer pour écrivain avait disparu. C'était Les hommes à terre, où le marin qu'il était filait la métaphore le temps de cinq récits. Puis Les dames de nage, véritable roman, certes inspiré par les voyages de l'auteur, par ses relations avec les femmes et par l'amitié. Enfin, très récemment, Cher amour, ouvrage hybride et émouvant, entre la lettre qu'on envoie de loin et la douleur qu'on connaît de près.
Les trois livres m'ont impressionné. Ils sont aussi rêvés que réels. Et bien d'un écrivain, découvert sur le tard.
L'homme, en outre, devait être attachant. J'ai gardé le souvenir très vif d'une rencontre qu'avait faite avec lui un (ou une) journaliste de Libération, il y a peu - quelques semaines ou quelques mois. Il y disait, entre autres choses, car il était aussi question de ses projets, sa lutte contre le cancer, sa colère contre la maladie et les moments d'abattement. C'était terriblement vrai, comme ses livres, même quand ils sont de fiction.

mercredi 14 juillet 2010

Denis Podalydès : une "Voix off" prégnante

Encore un poche? Encore un poche! Mais pas un roman, cette fois...
Le texte et la voix se répondent et correspondent admirablement dans Voix off, sauf dans l’objet, puisque le livre était, dans son édition originale, accompagné d’un CD que ne reprend pas l'édition de poche. C’est une relation intime établie avec la littérature par Denis Podalydès, qui écrit: «Est-il, pour moi, lieu plus épargné, abri plus sûr, retraite plus paisible, qu’un studio d’enregistrement? Enfermé de toutes parts, encapitonné, assis devant le seul micro, à voix haute – sans effort de projection, dans le médium –, deux ou trois heures durant, je lis les pages d’un livre. Le monde est alors celui de ce livre. Le monde est dans le livre. Le monde est le livre.»
Profession de foi, conviction définitive, il y a de cela. Avec enthousiasme, avec un sens aigu d’une parole chargée de transmettre la beauté de l’écriture, avec aussi de nombreux exemples puisés dans la vie privée et publique. Les voix sont celles de la famille, elles font entendre Charles Denner ou Jacques Weber, Jean Vilar ou Michel Bouquet, beaucoup d’autres voix imprimées dans la mémoire, chacune unique, toutes au service de la même cause.
Il y a de la passion – passion contagieuse – dans la volonté affirmée par l’auteur de suivre ce chemin ardu, souvent parallèle (sans jamais les rejoindre) des carrières prestigieuses consacrées par le cinéma populaire. Denis Podalydès n’en dit aucun mal. Mais la Voix off ne s’expose pas, ne montre pas le visage de celui qui la porte. Est-ce une pratique plus pure? Seul le lecteur se pose la question. Elle n’est pas de mise dans ce texte amoureux.
Ici, même les ratés sont magnifiques. Les acteurs restent grands dans la défaite, dans la perte de leur texte, dans l’oubli d’un accessoire. On a, quand même, le droit d’en rire puisque, quand il raconte des scènes de ce genre, Denis Podalydès est irrésistiblement drôle.
Une tentative de roman surgit, vers la fin. Il est encore question de voix, celle de l’empoté. Un poème clôt l’ouvrage: Voix au jardin. Il y a une voix sans voix. «Ma voix». Celles des morts. Celles des vivants. Une symphonie miraculeuse où les mots se répondent sans cesse, circulent comme des êtres animés, trouvent à se loger dans des bouches qui les rendent plus forts, plus justes.
L’homme effacé du studio d’enregistrement (une situation plusieurs fois reprise au fil des chapitres) se livre tout entier. C’est une révélation. Celle d’une parfaite adéquation entre un projet et une pratique.
On l’aura compris: Voix off est un livre indispensable.

mardi 13 juillet 2010

Deux autres poches pour juillet: Claudie Gallay et Michel Faber

Puisque les livres de la rentrée, et pour cause, ne sont pas encore là, continuez à prendre patience avec des poches. En voici deux autres. Ils sont aussi différent que possible mais leurs qualités respectives les rapprochent pour en faire un excellent choix.

D'abord, un énorme succès - pas galvaudé, pour une fois: Les déferlantes, de Claudie Gallay.
Elle observe les oiseaux et aime les grandes vagues de la tempête – Les déferlantes. Sur fond de mer et de ciel, elle regarde aussi Lambert, qui est arrivé à La Hague il y a peu. Qui y est revenu, plutôt, comme on l’apprend petit à petit. Liquider le passé, et se souvenir de ses parents, de son frère morts dans le naufrage de leur bateau. La lumière du phare était peut-être éteinte volontairement, dit Lambert, de plus en plus certain de ce qu’il affirme. Mais pourquoi?
Dans la petite ville, tout le monde se connaît. Il n’est pas nécessaire de poser les questions pour imaginer les réponses non prononcées: le silence veille au milieu du paysage et des légendes attachées à cette terre. La narratrice, qui n’est pas originaire de La Hague et n’y séjourne que le temps de sa mission, quelques mois ou quelques années, est en manque d’amour. Celui qu’elle a aimé a laissé un vide. Lambert est arrivé. Est-ce pour cela qu’elle s’intéresse à lui, s’en rapproche? Ou pour la blessure qu’elle sent en lui?
Le ballet lent des hommes et des femmes se danse sur le rythme où la mer respire, et révèle ses secrets comme la marée laisse des objets sur la grève. Claudie Gallay laisse faire le temps qui adoucit le chagrin. Elle y met la précision d’un dessin longuement réfléchi, dans lequel tout est montré sans explications superflue. L’ampleur de son roman convient à cette démarche qui épouse la vie. Avec les déceptions et les enthousiasmes qui l’accompagnent.

Quant à Michel Faber, il fait tout pour surprendre agréablement dans Le cinquième évangile.
Un faux thriller ésotérique, et un vrai régal! Surfant en rigolant sans retenue sur la vague qui a déposé sur les rivages, après quelque calamiteux naufrage, des conteneurs entiers du Da Vinci Code et de ses succédanés, Michel Faber attaque fort: Theo Griepenkerl, universitaire canadien spécialiste de l’araméen, découvre neuf rouleaux de papyrus dans un musée de Mossoul ravagé par un attentat. Le seul témoignage manuscrit d’un contemporain du Christ. Rien de moins. Theo déchante un peu en traduisant le texte: il est ennuyeux comme la pluie. Il n’en reste pas moins une pièce majeure de l’histoire de la chrétienté. Mais il remet en cause quelques épisodes emblématiques des débuts. La crucifixion racontée par Malchus n’est pas tout à fait celle des Évangiles… Le livre de Theo fait un tabac. Et une multitude de mécontents. L’auteur passe de la gloire à la captivité, en moins de temps qu’il n’en faut pour écrire un best-seller.

lundi 12 juillet 2010

Vers la rentrée littéraire, en aveugle...

J'avais annoncé, sans trop réfléchir aux conséquences, et sur le coup d'une forte envie, la création d'une page où je voulais annoncer l'ensemble de la rentrée littéraire. Pour les raisons que j'ai déjà dites il y a deux jours, j'ai dû abandonner la mise à jour de cette page, que je comptais reprendre ce matin. Je l'ai d'ailleurs reprise. Et de nouveau abandonnée, à l'instant. Avec des regrets, mais sans espoir d'y revenir. J'aurais besoin d'y passer plusieurs journées pleines et j'ai préféré laisser parler mon désir de passer des heures dans les livres. Ceux de la rentrée, entre autres, parmi lesquels il en est quelques-uns dont j'attends beaucoup.
Je reviendrai donc sur ces livres au mois d'août, au fur et à mesure des arrivées en librairie.
Voici quand même déjà une couverture, choisie pas du tout au hasard. Dessous, il y a 484 grandes pages dans lesquelles je ne tarderai pas à plonger avec appétit.

dimanche 11 juillet 2010

Haïti et ses écrivains : une remise en perspective

Marianne, cette semaine, publie un reportage, encore un, sur les conséquences du tremblement de terre qui a secoué Haïti il y a six mois. La compassion est une affaire qui marche - et elle est nécessaire. Mais on ne peut pas s'en contenter et j'étais heureux de lire, hier, Haïti, une traversée littéraire, ouvrage terminé par Louis-Philippe Dalembert et Lyonel Trouillot très peu de temps après la catastrophe du 12 janvier, d'ailleurs dédié aux disparus et aux victimes.
Il est donc question de littérature. D'une littérature généralement mal connue, souvent à travers quelques clichés réducteurs. Elle s'écrit en plusieurs langues, le français et le créole essentiellement, mais aussi l'espagnol ou l'anglais. Elle est de l'intérieur ou de l'extérieur, et souvent les deux à la fois. Elle est liée à l'histoire complexe d'un pays dont toutes les souffrances n'ont pas toutes été provoquées par des cataclysmes naturels. Elle est riche d'auteurs qui refusent d'être rangés sous des étiquettes obsolètes.
Je pensais à Dany Laferrière et à son roman Je suis un écrivain japonais dont un extrait se trouve d'ailleurs dans l'anthologie qui occupe environ un tiers du volume - il y montrait comment il se sentait écrivain avant tout - en lisant ces lignes de Louis-Philippe Dalembert et Lyonel Trouillot, à propos des auteurs haïtiens tels qu'ils sont perçus, en opposition avec ce qu'ils sont:
Où qu'ils vivent, tous sont encore souvent, au cours de rencontres ou de colloques à l'étranger, sommés de décliner leur identité, de dire leur histoire, leur pays "en mille éclats brisés", pour reprendre les mots de Phelps. Et, où qu'ils vivent, tous commencent à en avoir assez du voyeurisme de l'Occident, de sa fâcheuse habitude à vouloir tout ethnographier. Bref, plus de strip-tease ni de danse du ventre, de tonton macoute ni de vaudou! A moins que cela ne soit imposé par la logique intérieure du texte, tous qu'ils soient du "dehors" ou du "dedans" ont envie de s'écrier: circulez, il n'y a rien à voir!
Historique et actuel, cet ouvrage remet les choses à leur vraie place. Il s'accompagne d'un CD d'archives sonores où les voix des écrivains nous parlent directement.
Il est tout simplement passionnant.

samedi 10 juillet 2010

Les librairies de Paola Calvetti et de Laurence Cossé

Je n'ai pas tenu la promesse faite il y a un mois, jour pour jour: proposer d'autres lectures de vacances en poche. Et je suis lâchement parti de mon côté - avec des livres, bien sûr. Désolé, j'avais simplement besoin de me reposer pour retrouver le cœur à l'ouvrage qui fait mon charme. Une partie de mon charme. Car j'ai bien d'autres atouts qui, que... enfin, sur lesquels je m'étendrai un autre jour.
Car je vous gardais bien au chaud une petite histoire comme je les aime, du genre qui conforte mes certitudes. Quand il s'agit de les ébranler, je suis souvent moins enthousiaste.
(Ici, une remarque préliminaire en forme de parenthèse, déjà ouverte, s'impose: n'ayant pas cultivé immodérément le goût des études, je dis souvent que j'ai tout appris dans les livres; je suis un livrodidacte à la manière de Topor qui se déclarait vélodidacte. Fin de la remarque préliminaire et, donc, de la parenthèse.)

Nous étions l'autre jour dans un restaurant italien où étaient présentés, sur la table, ces tout petits pains longs et fins que l'on grignote volontiers en attendant un plat. Vous voyez ce que je veux dire, des... euh... des... ben, impossible de retrouver leur nom que je connaissais, ou plutôt que j'avais connu. Nom que j'ai d'ailleurs reconnu immédiatement quand j'ai lu, peu de temps après, cette phrase:
- Comment me trouves-tu? dis-je, émiettant le gressin sur la table jaune d'œuf de la trattoria...
Ce livre-là ne m'a pas appris le nom du petit pain long et fin, mais il m'a quand même permis de remettre un mot sur la chose, et ce n'est pas rien.
J'étais à Milan pendant plus de 450 pages, avec Paola Calvetti et son roman, L'amour est à la lettre A. A dire vrai, j'y ai surtout passé du temps dans une librairie (plutôt que dans une trattoria). Emma a en effet fondé Rêves&Sortilèges, une librairie où n'entrent que des romans d'amours. Parfois gais, parfois tristes, et qui déclinent le sentiment sous toutes les formes, avec plus ou moins de bonheur. Je n'aurais peut-être pas fait exactement les mêmes choix qu'Emma pour garnir les rayons, mais j'ai été heureux de me balader quelques heures parmi eux.

Et l'histoire d'Emma m'a fait irrésistiblement penser à celle de Francesca, héroïne d'Au Bon Roman, de Laurence Cossé qui, voyez comme le hasard fait bien les choses et me replace sur les rails abandonnés il y a un mois, est aussi reparu récemment en poche.
Il s'agit là de créer une librairie idéale, précisément appelée Au Bon Roman, où n’entre rien de médiocre. Un idéal de lecteur, et un cauchemar pour les marchands de papier. Le projet de Francesca et Ivan, son complice dans l'aventure, suscite l’enthousiasme. Puis la haine. Le comité secret d’écrivains qui préside au choix du fonds subit des agressions physiques. La sélection du meilleur ne fait pas que des heureux. Laurence Cossé raconte l’histoire d’un enthousiasme concrétisé dans un lieu. Et l’enquête qui dévoile les petitesses des envieux. Un hymne à la grande littérature, une gifle aux empêcheurs de rêver, qui se lit comme un roman policier. Sans oublier une belle intrigue sentimentale.

La librairie est un lieu magique, comme tous les endroits, publics ou privés, bourrés de livres. Pour moi, du moins. Mais pour vous aussi, je l'espère.

jeudi 10 juin 2010

Deux romans pour les vacances

Alors, cette année, je prends quels livres pour partir en voyage? Tout ce que vous voudrez. Mais, en raison du côté pratique de leur faible encombrement, je vous conseille des poches. En voici deux. Il y en aura d'autres, bientôt.

En commençant par le premier roman traduit en français de l'Américaine Katherine Mosby, Sous le charme de Lillian Dawes - il y en aura un autre à la rentrée, je l'espère aussi bon que celui-ci.
Lillian Dawes est une étrange jeune femme. Elle surgit là où on ne l’attend pas. Elle est capable de gestes surprenants. Elle semble à l’aise partout. Mais elle se fait appeler de trop de noms différents pour être honnête et cache quelque chose. Serait-elle une espionne? Gabriel, presque 18 ans, est le premier à être fasciné par elle et à se poser des questions, autant sur Lillian que sur le sentiment encore inconnu qu’il éprouve. Son frère Spencer craque à son tour.
Au rythme sans précipitation d’une danse de séduction langoureuse et démodée, le roman de Katherine Mosby charme irrésistiblement. Il installe les protagonistes avec finesse. Retient dans l’ombre des éléments mystérieux dont l’importance sera révélée plus tard. Dépeint avec talent une partie de campagne pleine d’incidents. Lillian pratique l’art du trompe-l’œil jusque dans son appartement. La romancière aussi, qui nous installe au cœur du paysage.

En deuxième choix (qui aurait pu être le premier), voici l'Espagnol Eduardo Mendoza et Les aventures miraculeuses de Pomponius Flatus.
Pomponius Flatus est philosophe et naturaliste. Romain, comme tous les lecteurs d’Astérix l’auront deviné. Dans les premières années de l’ère chrétienne, il échoue en Palestine un peu par hasard, après avoir cherché en vain dans les environs une eau qui procure la sagesse à celui qui en boit. Il est malade. Peut-être son nom le prédispose-t-il aux flatulences, sonores et nauséabondes, accompagnées de diarrhées qui le font atrocement souffrir. Il faudrait un miracle…
Coup de chance: il est à Nazareth où grandit le jeune Jésus, inconscient encore de son destin. Comme un Harry Potter en phase d’apprentissage, Jésus est déjà capable de choses étonnantes. Mais il faudra attendre la fin du roman pour s’en rendre compte.
Car il y a d’autres urgences. Joseph, son père menuisier, est accusé de meurtre et condamné à mort. Il a été chargé de construire lui-même la croix sur laquelle il sera supplicié. Jésus ne peut pas croire que Joseph ait tué Epulon. Pomponius, qui trouve le gamin sympathique, accepterait-il de l’aider à prouver son innocence? Et pourquoi pas? L’affaire roule, contre vingt deniers.
Pendant ce temps, la première croix de Joseph a été refusée par le tribun Appius Pulcher, chargé de l’exécution du menuisier, au prétexte qu’il n’a jamais commandé une croix en X. En réalité, Appius n’accorde aucune importance au modèle. Mais il lorgne sur une fructueuse affaire immobilière pour laquelle il n’a pas le premier sou: il veut investir dans l’achat d’un terrain sur lequel se bâtira prochainement un quartier neuf, et dont la valeur augmentera. Sa mission de justicier devrait donc se prolonger un peu, le temps de rassembler la somme nécessaire à fonder sa fortune à venir.
Joseph retourne au travail. Et refuse de livrer à Pomponius le secret qui pourrait le sauver: il a eu en effet, avant la mort d’Epulon, une discussion animée avec celui-ci. Mais Joseph, honnête homme, a juré le secret. Un serment plus important à ses yeux que la menace de sa prochaine crucifixion.
Honnête homme et honnête menuisier, il fait si bien que la nouvelle croix est bientôt prête. Appius pourra-t-il encore retarder l’exécution? Peut-être, s’il trouve deux autres condamnés pour obliger Joseph à fabriquer deux nouvelles croix. Grâce à des péripéties qui sont autant de trouvailles, les trois croix ne serviront pas. Du moins, pas tout de suite…
Eduardo Mendoza s’infiltre dans les années les moins connues d’une histoire bien connue. Les contraintes sont nombreuses, parce qu’il respecte la version proposée par les Evangiles. Mais sa liberté est grande, et il en profite avec une allégresse plaisante à partager.
Lazare, le lépreux, n’est pas encore mort et mendie dans Nazareth en accusant Jésus et d’autres jeunes gredins de lui lancer parfois des pierres. Marie, dont la réputation a souffert à la naissance de son fils puisqu’il s’est beaucoup répété que Joseph n’en était pas le père, sourit doucement et n’en pense pas moins – elle est bien la seule, avec le lecteur, à avoir une idée de la suite. Marie-Madeleine, qui ne s’appelle pas encore ainsi, survit à la mort de sa mère dont elle reprendra la profession de prostituée.
Tout le monde est là. Et tout reste à faire pour Mendoza qui passe par là.

vendredi 4 juin 2010

Deux Italiens dans la panade

Semaine après semaine, au gré des dossiers des Livres du Soir ou de ma curiosité, mon regard se tourne d'un côté de l'horizon, ou vers un autre. Cette semaine a été très italienne. Antipasti, spaghetti à l'ail, osso buco, valeurs sûres. En littérature, en revanche, du nouveau avec deux auteurs que je n'avais jamais lu: Carlo D'Amicis, pour son premier roman paru en français, Sauf le chien, et Roberto Alajmo, déjà traduit auparavant, pour Mat à l'étouffé. Deux belles surprises.
Je me suis demandé parfois, en les lisant, si les Italiens avaient particulièrement souffert du passage de la lire à l'euro. Car les personnages principaux se débattent dans des problèmes financiers insolubles qui sont au centre de Mat à l'étouffé et surviennent à la marge de Sauf le chien. A toujours avoir envie de trouver des points communs entre des livres qui n'ont rien à voir, peut-être qu'on se trompe souvent. Mais c'est quand même frappant...

Le personnage principal de Roberto Alajmo a, en tout cas, parfaitement réussi à s'enferrer dans une situation inconfortable et dont il lui devient impossible de sortir. Il a accumulé les découverts bancaires, il jongle avec ses comptes pour boucher des trous qui se reforment évidemment aussitôt ailleurs, plus importants au fur et à mesure que le temps passe. Et le théâtre poétique, dont il a fait son cheval de bataille en même que sa principale (et aléatoire) source de revenus, n'a plus les faveurs d'une municipalité qui a basculé politiquement.
Sa femme qui l'a quitté, ses deux filles qui le regardent presque comme un étranger, les créanciers qui recourent parfois à la manière forte pour récupérer leur dû, rien ne s'arrange dans la vie du pauvre Giovanni Alagna, magouilleur perdu dans ses magouilles.
C'est donc l'histoire d'une chute, dans tous les sens du mot comme on le découvrira tout à la fin. Un roman pessimiste, mais dans lequel l'écrivain a insufflé un sacré tonus.

Il y a aussi un chien dans Mat à l'étouffé, bien qu'il joue un rôle moins important que dans le roman de Carlo d'Amicis. Qui présente un peu les choses comme dans l'expression: personne ne m'aime, Sauf le chien. Marcello Artiglio, côté argent - puisque c'est le lien que j'ai choisi presque arbitrairement entre ces deux livres -, ne s'en sort pas trop bien non plus. Avocat, il appartient pourtant à une profession qui prédestine peu à la pauvreté. Mais il n'arrête pas de demander quelques euros à son ami-amant (qu'il appelle parfois fiancé), Morgan. Fou de lui, mais tyrannique. Et Marcello est embarqué dans une affaire compliquée qui ne risque pas d'améliorer les choses, malgré la générosité dont fait preuve son médecin Saverio Spiritus, soupçonné d'avoir tué sa femme et sa fille - femme avec laquelle Marcello entretenait une relation coupable (comme on dit).
Vous ne suivez pas tout à fait? C'est normal. Impossible de résumer ce livre en traçant une ligne claire qui relierait entre eux les événements. Ils s'accumulent et c'est au lecteur de faire le travail pour décoder l'ensemble. Je vous rassure: cela vient tout naturellement, si bien qu'au moment de fermer le livre on aimerait qu'il dure encore un peu...

vendredi 28 mai 2010

Parlez-vous belge ?

Je ne renie pas mes origines, même si elles me semblent de plus en plus lointaines. Vous comprendrez donc mon empressement à ouvrir, d'abord, puis à lire quand j'en ai eu le temps, ce livre de Philippe Genion au titre kilométrique, Comment parler le belge (et le comprendre, ce qui est moins simple).
En Belgique, on parle donc belge? Qui l'eût cru? Je l'entends dire souvent. Mais voilà: ce petit pays compliqué n'a pas de langue nationale, ou alors il en a trop (le français, le néerlandais et l'allemand). Ce qui ressemble à une colonisation linguistique y échappe, par bonheur, grâce à des expressions singulières qui justifient l'intérêt que leur porte Philippe Genion - et d'autres, car il n'est pas le premier à se pencher sur cette exception culturelle qui n'ose pas dire son nom et dont certains se défendent, parce qu'elles feraient "province". Et alors? Les particularités locales sont comme les traditions (les Gilles de Binche, le Doudou, la gueuze, etc.). Laissez-les vivre!
Et bien vivre, puisqu'il paraît que les Belges sont des bons vivants. Philippe Genion affiche en tout cas les caractéristiques de cette catégorie d'hommes agréables à fréquenter, serait-ce seulement à travers son livre. Même si je ne suis pas du même avis que lui sur tous les mots et les expressions qu'il propose, j'ai passé grâce à lui des moments très plaisants. La preuve par l'exemple...
Demi
Contrairement à l'usage français, lorsqu'on demande un "demi" de bière, on reçoit un grand verre de 50 cl. Un verre de 25 cl ou de 33 cl, on appelle ça "une bière". Vu que c'est un quart ou un tiers de litre, pourquoi appellerait-on ça un demi? Je vous le demande.
Hein
Quoi, pardon, plaît-il? Façon de demander à quelqu'un de répéter ce qu'il vient de dire, soit parce qu'on a mal entendu, soit parce qu'on n'en croit pas ses oreilles. "Le gouvernement est tombé à cause des Flamands, il va encore falloir aller voter. - Hein?" Il y a aussi la version "Hein dites?", qui signifie "N'est-ce pas?" ou "Qu'en pensez-vous?", comme par exemple dans: "On irait bien manger une crêpe, hein dites?"
Stoemp
Purée de pommes de terre et de légumes, sorte de version flamande du rata. A ne pas confondre avec une troupe de percussionnistes pédestres new-yorkaise, ni avec le dernier son qu'a émis Maike Brant.
Il n'existe pas de Panthéon en Belgique. Une question de modestie bien naturelle, peut-être, dans un petit pays. Ce qui n'empêche pas qu'il y existe de grands hommes. Maurice Grevisse, Jacques Brel, Georges Simenon, Hergé, qu'en dites-vous? - Hein? Bon, voilà, c'est comme ça, chez nous... Et Philippe Genion, sans se pousser du col, aura beaucoup fait lui aussi pour cette culture aussi exotique que celle du chicon.

jeudi 27 mai 2010

Jules Renard, un anniversaire

J'ai un problème avec les anniversaires: je les oublie. Le mien le premier, mais ceux des autres aussi, ce qui peut être vexant pour celles et ceux qui attendaient au moins un petit signe. (Avis aux amis de Facebook: même si le réseau social fait tout pour m'aider en les rappelant, les anniversaires correspondent très précisément à une catégorie d'événements qui suscitent ma distraction. C'est involontaire, pardonnez-moi.)
On me pardonnera aussi, je l'espère, d'évoquer le centenaire de la mort Jules Renard cent ans... et cinq jours après celle-ci.
Et, comme j'ai décidément beaucoup de choses à me faire pardonner, j'implore l'indulgence de François Morel, qui préface le Théâtre de Jules Renard. Il est si brillant, si convaincant que le lecteur peu familier de cette partie de l'œuvre de Jules Renard éprouve un peu de honte à ne pas s'y être mis plus tôt. La honte étant, sur ce sujet, largement compensée par la promesse d'un plaisir à venir pendant les 960 pages d'un fort volume.
Si je n'ai donc jamais lu une seule pièce de Jules Renard, certains textes du livre qui vient de paraître ne me sont pas étrangers. Ils ont été extraits, par exemple par Jean-Louis Trintignant, du Journal de Jules Renard.
Sur le Journal, je ne vais pas dire que je suis incollable, mais pas loin. C'est le seul volume de la Pléiade que je possède. Vous savez, cette superbe collection reliée cuir, imprimée sur papier bible, avec des notes en abondance et un texte sur lequel sont passés vingt correcteurs. Cette collection que j'ai vue si souvent sur les murs de gens friqués qui n'en ont jamais lu plus de dix pages. Je l'ai acheté d'occasion, il y a quelques années, parce que je ne le possédais plus et que, malgré un sens très limité de la propriété, il me manquait. Il m'accompagne depuis si longtemps, il m'est arrivé si souvent de l'ouvrir au hasard pour me repaître de quelques traits de l'ami Jules (dans ces moments-là, oui, je deviens familier, puisque je me reconnais la plupart du temps dans ce qu'il écrit) que je ne pouvais plus m'en passer. J'ai toujours eu des projets autour de ce Journal et, même si je n'en mènerai peut-être jamais aucun à bien, il me plaît de continuer à les caresser - ces projets, au moins, ne déposent pas leur merde dans la cour, comme le font les chats des voisins auxquels je destine bien autre chose que des caresses.
Je m'égare. Mais il est tard. Et je vais me coucher. J'hésite: Théâtre ou Journal?

samedi 22 mai 2010

J'ai fait de beaux voyages, à Belize avec Alain Dugrand par exemple

Chaque année, le week-end de la Pentecôte s'accompagne d'une petite bouffée de nostalgie. Quand je vivais en Europe, j'étais à ce moment un fidèle visiteur du festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo. J'y faisais de belles rencontres. Aujourd'hui, je me contente de lire les ouvrages des écrivains invités. C'est bien aussi, la semaine que je viens de passer en est la preuve. D'autant que, parfois, un voyage en chambre rappelle une rencontre. J'ai ainsi relu Belize, d'Alain Dugrand, réédité en poche, et dont j'avais parlé avec son auteur en 1993 - fasciné par son récit de voyage vers le nulle part. Souvenir de notre conversation...

Il est toujours surprenant de voir un homme que l'on pense complètement plongé dans l'actualité - Alain Dugrand appartenait à l'équipe qui fonda «Libération» - s'intéresser à un pays où il ne se passe rien, à une région où personne ne va. Paradoxalement, c'est cela qui l'a attiré à Belize. Quand il en parle, il dit: Tout le monde me déconseillait d'y aller, parce qu'il n'y avait rien à y faire, rien à y voir, et c'est évidemment pour ça que j'y suis allé.
Deux mois et demi, davantage qu'un simple séjour touristique, moins qu'une véritable plongée dans une réalité inconnue. Mais Alain Dugrand n'oublie pas son métier: J'avais préparé ce voyage, j'avais pris contact avec quelques personnes qui m'ont ouvert les bonnes portes. C'est toujours bien de tomber sur quelqu'un par des réseaux d'amitié ou de sympathie, on est tout de suite en confiance.
Comme tout voyageur qui se respecte, Alain Dugrand a été replacé en face de quelques évidences qu'il est toujours bon de rappeler: Quand on arrive, on a le sentiment d'une étrangeté qui ne se dissipe pas en une semaine. C'est là où on se dit, mais c'est une banalité, que le monde n'est pas découvert, qu'il reste à découvrir. Il est, en tout cas, toujours plus complexe que les images qu'on nous en donne à voir. Parce que les images, ça n'a pas de sens. Il est donc important que des écrivains nous donnent à voir les choses comme personne ne les voit.
Alain Dugrand parle bien de Belize. Dans son livre comme dans une conversation. On sent qu'il est, d'une certaine manière, tombé amoureux de ce tout petit pays qui est une mosaïque construite au hasard de belles et grandes histoires individuelles - certaines, cela dit, moins reluisantes que d'autres, mais toutes intéressantes. Il rêve tout haut d'un monde idéal qui ressemblerait à Belize, où la tolérance est la règle générale et où tout finit toujours par s'arranger. Partout ailleurs dans le monde, une mosaïque comme celle-là provoquerait une explosion. Pourquoi est-ce que, là, à l'écart du monde, ça tient? On a l'impression que les différents éléments ne s'intègrent pas, grâce à un respect de l'autre assez stupéfiant.
Alain Dugrand retournera à Belize, ce petit pays au sud du Mexique dont il avait découvert l'existence presque par hasard, en remarquant une plaque de voiture dont il ignorait la provenance. Il y retournera, quitte à connaître à nouveau ce sentiment qu'il décrit dans son récit: Voyager, c'est emporter avec soi l'innocente illusion de découvrir une terre nouvelle, éprouver un léger vague à l'âme devant un paysage attendu, mais si décevant en réalité, terre trop plate, forêt dévastée, mâchurée de taillis malingres. C'est éviter le regard du pêcheur qui rentre bredouille et plus pauvre après deux jours d'efforts en mer. C'est être déçu, et s'en défendre, devant un lagon sublime dévasté par les étrons, les tessons de bouteilles.

mercredi 19 mai 2010

San-Antonio, à consommer sans modération

J'ai le goût des intégrales. De certaines plus que d'autres, bien entendu. Le début de celle-ci, en librairie depuis la semaine dernière pour les deux premiers volumes d'un ensemble qui en comptera dix-sept, me réjouit particulièrement: San-Antonio en Bouquins, c'est une aubaine comme il ne s'en présente pas tellement.
Sans avoir été un lecteur assidu de l'œuvre de Frédéric Dard, je n'ai jamais manqué de me jeter sur un San-Antonio quand l'un d'eux (il y en a 175) me passait sous les yeux.
La dernière fois (avant celle-ci), c'était... spécial.
Je me trouvais l'année dernière à Fort-Dauphin, au sud de Madagascar, dans une maison où l'on fait la cuisine au fatapera - l'équivalent, en plus rustique, du barbecue. Donc au charbon de bois, qu'il faut allumer avec du petit bois. Dont la combustion, quand il est humide, peut être aidée par du papier. Il y avait, éparpillées sur le sol, des feuilles de papier. Au format d'un livre de poche. Incapable de ne pas m'intéresser à tout ce qui est imprimé, même si ça traîne par terre, je me suis penché et j'ai regardé. Vous l'avez déjà deviné: c'étaient des pages d'un San-Antonio!
Désolation.
Compréhension, aussi: il faut bien l'allumer, ce feu!
Et vous imaginez combien de jours on peut tenir avec les deux premiers volumes de l'intégrale? Cela fait environ 1280 feuilles de papier...
Ce jour-là, à Fort-Dauphin où l'on brûle donc des livres pour la bonne cause, j'ai quand même repensé au jour où j'ai rencontré Frédéric Dard. Nous étions dans le luxueux salon d'un hôtel en bordure d'un aéroport, et nous avions longuement parlé - je ne sais plus de quel livre, pour être tout à fait honnête.
Je garde en tout cas le souvenir d'un homme charmant, avec lequel j'aurais volontiers eu une autre conversation, un autre jour. Comme il est mort il y aura bientôt dix ans, ce ne sera plus possible.
Heureusement, il reste ses livres, avec lesquels les retrouvailles promettent encore des jours et des jours de lecture depuis la première apparition de son personnage le plus célèbre.
Si vous voulez en savoir plus, j'ai écrit un article dans Le Soir au sujet de cette intégrale. Suivez le lien...

lundi 17 mai 2010

Lire plutôt qu'aller au Festival de Cannes

Je sais, je ne devrais pas m'énerver pour si peu. Je devrais rester concentré sur le gros paquet de livres que j'ai encore à lire cette semaine - un travail énorme mais plaisant, puisque ce sont des ouvrages d'auteurs invités au Festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo.
Il n'empêche. la manière dont certains journalistes "culturels" jugent inutile de faire quelques petites vérifications avant d'avancer quelque chose me tue. Je crois bien que j'ai engueulé, hier soir, l'envoyée spéciale de je ne sais quelle chaîne française au Festival de Cannes, pendant qu'elle disait tout le mal qu'elle pensait du dernier film de Bertrand Tavernier - ce qui était bien son droit. Libération, ce matin, dit d'ailleurs à peu près la même chose.
La journaliste de télévision parlait donc de ce film, adapté, précisait-elle (pas Libération), "du célèbre roman de Madame de Lafayette".
Ah! bon?
Un seul roman de Madame de Lafayette, que ses proches appelaient peut-être Marie-Madeleine, est célèbre: La princesse de Clèves. Dans les dernières décennies, le cinéma lui a fait une grande publicité, puis Nicolas Sarkozy a pris la relève.
Mais Histoire de la princesse de Montpensier, où Bertrand Tavernier a puisé le sujet de son film (et je suis un peu triste s'il est raté, car j'ai tant aimé tant de ses films), n'est pas vraiment célèbre et est encore moins un roman. Il s'agit d'une nouvelle qui, selon la typographie, occupe de vingt à cinquante pages.
Ce ne serait pas mal, de se renseigner avant d'affirmer, parfois. Il y a même mieux à faire: lire le texte de Madame de Lafayette au lieu d'aller voir le film.

vendredi 7 mai 2010

Les fossiles de Tracy Chevalier

Depuis La jeune fille à la perle, qui mettait face à face Vermeer et une jeune fille qui lui servait de modèle (au moins dans la fiction), chaque roman de Tracy Chevalier est un événement. Événement, donc, la traduction de Prodigieuses créatures qui sort aujourd'hui.
Mary Enning, au centre d'un récit qui se passe en Angleterre au début du 19ème siècle, a réellement vécu à cette époque. Et elle a aussi découvert les fossiles dont il est question dans le livre. On la suit de son enfance à l'âge adulte, apprenant sur le tas à affiner le don qu'elle possède: dans la chasse aux fossiles au milieu des rochers de Lyme Regis, elle est la meilleure.
Mais un autre personnage féminin prend presque autant de place qu'elle: Elizabeth Philpot, qui partage avec Mary la passion des fossiles. Dans une série de questions que j'ai posées à Tracy Chevalier au sujet de Prodigieuses créatures, la dernière concernait Mary Philpot. La place ayant manqué dans Le Soir de ce vendredi pour y publier toutes les réponses de l'écrivaine, je vous confie en exclusivité la fin de notre échange.

Elizabeth Philpot, une des narratrices, accorde une attention particulière aux visages: les yeux, le front, le nez, le menton, la chevelure… Est-ce un détail ou un trait essentiel de son caractère?

C’est un trait essentiel. Elizabeth ne trouve pas aussi facilement des fossiles que Mary, mais elle est intuitive. C’est simplement un autre type de perception. Elle «lit» les gens, pose des jugements sur eux. Elle est très obstinée, ou pleine de discernement, et c’est important dans son caractère. Je l’aime – elle est mon personnage préféré dans le livre. D’une certaine manière, elle est censée représenter le lecteur, qui observe la géniale Mary Anning, s’interroge et s’émerveille.

jeudi 6 mai 2010

La rentrée littéraire, on en parle déjà

La préparation va bon train. Alors qu'il reste encore pas mal de livres à paraître avant l'été (et que j'en ai lu un beau paquet dont je tenterai d'extraire le meilleur), les éditeurs ont le regard fixé vers les mois d'août et de septembre, c'est-à-dire vers ce phénomène que le monde entier nous envie (bien qu'avec quelques craintes), la rentrée littéraire.
Au lieu d'encombrer ce blog avec les programmes au fur et à mesure de leur disponibilité, j'ai choisi cette année d'ouvrir une page spéciale dans laquelle je les intègre au fur et à mesure. Elle est encore toute petite, ne propose que dix titres, mais elle est appelée à croître et à embellir dans les semaines qui viennent. Je vous signalerai de temps à autre les nouveautés qui y seront introduites, rangées par date de parution, mais son accès est libre dès aujourd'hui.


samedi 1 mai 2010

Pocket BD : vous vouliez être libraire?

Pocket, c'est du poche (facile!). La collection se porte bien, et même très bien. Ce qui n'interdit pas ses têtes pensantes de chercher à innover, par exemple en publiant, depuis peu, des bandes dessinées. D'autres éditeurs l'ont fait et continuent à le faire, avec plus ou moins de bonheur. Ici, on a résolument choisi le terrain de la BD "adulte", dans un format qui respecte la mise en page de l'auteur.
J'ai lu les trois premiers titres. Je passe rapidement sur deux d'entre eux, vous comprendrez pourquoi j'ai envie de m'attarder sur le troisième.
Mon gras et moi, de Gally est une suite savoureuse d'anecdotes et de réflexions sur les kilos en trop, comment cela se gère ou pas en fonction du regard des autres et même du sien. Aurélia Aurita fait dans l'autofiction (pour Gally, je ne sais pas) avec Fraise et chocolat. Je ne voudrais pas être à la place de Frédéric, le personnage masculin de cette torride histoire de couple...

Et j'en viens à mon petit préféré, Moi vivant, vous n'aurez jamais de pauses ou comment j'ai cru devenir libraire, de Leslie Plée. Libraire, un beau métier, non? (Je réponds oui: les conditions dans lesquelles je l'ai pratiqué étaient presque idéales.)
Mais, dans une grande surface où ne comptent que le chiffre, le rendement, l'efficacité et ce genre de valeurs, c'est une véritable galère, que Leslie Plée raconte avec un humour corrosif. «Avant d'être ici, les chefs ont travaillé chez Carrefour, Mc Donald's, Kronenbourg (tout s'explique). Maintenant, ils vendent "du livre".»
Alors, libraire, non, ce n'est pas toujours un beau métier. On y trouve les mêmes conflits hiérarchiques qu'ailleurs, on n'a même pas le temps de lire, il faut fourguer des titres sans intérêt.
Mais cela fait une superbe bande dessinée, avec quelques planches supplémentaires pour l'édition de poche.

jeudi 29 avril 2010

Siri Hustvedt : le 11 septembre au présent

Intégrer les attentats du 11 septembre 2001 comme une donnée définitivement inscrite dans ce début de 21e siècle et dans la mémoire collective. Donc, aussi dans la littérature qui témoigne de notre époque. En France, Luc Lang et Frédéric Beigbeder avaient été les plus rapides à le faire avec, respectivement, 11 septembre mon amour et Windows on the world. La belle vie, de Jay McInerney, a suivi en traduction. Il y en a eu, il y en aura encore, personne n’en doute.
Mais la distance chronologique permet maintenant de ne plus focaliser tout un roman sur la chute des tours du World Trade Center. Dans Elégie pour un Américain, l’image apparaît brièvement au début: Inga et Sonia, sœur et nièce d’Erik, le narrateur, fuient l’incendie, la fumée et les décombres. On apprend plus tard qu’Inga, qui a consacré un chapitre d’un livre à la représentation de ce jour-là dans les médias, s’interroge sur ce que l’adolescence de sa fille aurait été sans l’événement. Un peu plus loin, encore, que Sonia éprouve des difficultés à intégrer un huitain consacré au 11 septembre dans un poème qu’elle écrit. Et c’est aux trois quarts du roman seulement, deux ans après, que Sonia craque d’un coup: «Je ne veux pas de ce monde! Je n’en veux pas!», hurle-t-elle…
C’est la marque d’un temps où les blessures sont cachées sous la peau, mais très près de la surface, et peuvent se rouvrir à n’importe quelle occasion. C’est aussi la marque d’un superbe livre où les morts restent présents parmi les vivants. Présence parfois amicale, souvent envahissante, avec laquelle vit Erik, psychiatre et psychanalyste qui porte, outre ses propres démons, ceux de ses patients. Il revoit souvent son père et les carnets que celui-ci a laissés racontent la génération précédente, laissant entrevoir quelques-uns de ces secrets qui font le mystère de toute vie.
Max, le mari d’Inga, écrivain célèbre, est mort lui aussi en laissant un secret. Sa veuve tente de le percer. Mais elle se trouve en compétition, sur ce terrain, avec d’autres personnes, moins bien intentionnées, plus insensibles à la douleur que la révélation pourrait provoquer chez Sonia.
Ainsi se dessine un territoire humain sur lequel chaque fait a laissé une trace indélébile, aux effets imprévisibles. Siri Hustvedt – l’épouse de Paul Auster – fait preuve d’une sensibilité grâce à laquelle les émotions de tous ses personnages deviennent palpables. Qu’ils soient placés sous le regard d’un psychanalyste n’est bien sûr pas innocent: rompu aux fouilles dans des esprits encombrés d’un fatras illisible, Erik décode ce territoire avec une générosité qui nous le rend aussi sympathique qu’il est fragile. Car, comme souvent, c’est dans ses propres sentiments qu’il lit le plus mal…
Une œuvre de mémoire où les couches superposées des générations forment l’assise de notre présent.

mercredi 28 avril 2010

Quelques souvenirs de Pierre-Jean Rémy

Comme je l'écrivais à l'instant en commentaire de l'excellent blog de Pierre Assouline, La république des livres, il ne m'a pas été facile de passer, dans la même journée, entre ce matin et cet après-midi, d'un article sur le formidable roman de Paul Verhaeghen, Oméga mineur (dont parle Pierre Assouline et que je vous avais annoncé en interviewant Claro, son traducteur) à un autre pour "enterrer", comme on dit dans notre jargon de journalistes, Pierre-Jean Rémy.

Je garde un excellent souvenir d'une longue rencontre que nous avions eue, et un souvenir meilleur encore de la lecture de ses premiers livres. Je l'avais découvert peu de temps après son prix Renaudot de 1971 pour Le sac du Palais d'Eté, un roman furieux, emballé, énorme. C'était l'époque où, sortant d'études secondaires pendant lesquelles les professeurs ne m'avaient proposé que de la littérature très sage, je découvrais goulûment le droit de l'écrivain à ruer dans les brancards - et le droit du lecteur à en profiter avec ravissement, ce dont, vous devez vous vous en douter, je ne me privais pas.
Je me souviens surtout de la manière dont Pierre-Jean Rémy, quand je l'ai vu, m'avait parlé des voix de femmes dans les opéras qui lui étaient chers. Je ne crois pas lui avoir raconté, en revanche, que j'avais de mon côté, après le choc que son troisième livre avait provoqué chez moi, mis tous ses livres en fiches (il n'y avait pas encore une bonne soixantaine), avec l'intention d'écrire un article définitif que je n'ai évidemment jamais écrit. Heureusement: avec son rythme de production, la notion de "définitif" avait, par avance, du plomb dans l'aile (si une notion a des ailes, bien sûr).
Son œuvre sera peut-être définitivement close le 14 mai, jour de la parution de son nouveau roman - posthume donc. Comme je ne peux rien vous refuser, voici les premières lignes de Voyage présidentiel:
1er avril
Très vite, une heure à peine après le départ, j’ai ressenti pour la première fois ce sentiment de liberté, cette légèreté que depuis des années je croyais ne plus savoir goûter. Le ciel était clair, à côté de moi Laurent était plongé dans la lecture d’un volume fatigué qu’il avait tiré de sa serviette au moment de s’asseoir. Les Déracinés, Barrès, entre les mains: pourquoi pas? Nous sommes d’une génération qui a aussi lu Barrès. Il y a quelques années, m’a-t-on dit, deux ou trois conservateurs de la Bibliothèque nationale – pour laquelle je n’ai en rien l’attachement qu’on me prête – auraient voulu organiser un cycle de trois expositions consacrées à ce qu’un historien a pu qualifier de «Siècle des écrivains». Le siècle de Barrès, celui de Gide, celui de Sartre. Le bruit en serait arrivé jusqu’à mon cabinet, et je ne sais lequel de ces imbéciles qui montent la garde autour de moi aurait levé les bras au ciel: «Barrès, vous n’y pensez pas?» Quant au petit père Gide, lui, il l’aurait trouvé «bien daté»! En revanche, le pauvre garçon aurait tout à fait apprécié le projet d’une exposition et d’un cycle de conférences, colloques et autres chochotteries sur le seul Sartre.
A suivre, dans deux semaines, en librairie... Si l'impatience est une de vos caractéristiques, profitez de ce temps pour lire Le sac du Palais d'Eté. Vous ne le regretterez probablement pas.

L'agence tous services de Dominique Mainard

Delphine a trente-cinq ans. Elle est la propriétaire de l’agence Pour Vous. Une agence très particulière: demandez-y n’importe quoi, vous l’obtiendrez. De la compagnie pour un grand-père. Un enfant à louer pour quelques heures par semaine. De l’aide pour faire les courses. Du temps à partager, et plus si affinités. La surveillance d’un malade, jusqu’à la fin, et jusqu’à lui donner la mort le moment venu. La conception d’un enfant pour une mère stérile. Rien ne paraît impossible, à une condition: n’espérez pas que Delphine fasse entrer le moindre souffle d’affection dans son travail. Pour le reste, elle est parfaite. Et, c’est le moins qu’on puisse en dire, elle paie de sa personne. Elle n’ignore pas qu’elle est en marge de la légalité pour un grand nombre de ses activités. Mais elle connaît si bien le besoin d’affection éprouvé par ses clients qu’elle trouve normal de leur mentir quand elle la leur procure. En cas de problème, elle sait qu’un contrat a été signé.
La nouvelle héroïne de Dominique Mainard fait froid dans le dos. Elle effectue un calcul cynique. Elle se repose sur des fiches soigneusement mises à jour et une comptabilité bien tenue. S’il est vrai que tout s’achète, en voici encore une preuve. Mais le cynisme est seulement du côté du personnage, pas de la romancière, comme on le verra plus loin dans le récit.
Delphine effectue elle-même l’essentiel des travaux de son agence. Elle a quand même une employée, Marja, la quarantaine, capable, elle, de pleurer et d’éprouver des sentiments. Marja ne comprend pas l’insensibilité de sa patronne. Craque parfois devant ses exigences et celles des clients. Elle se prête à leurs désirs. Prête même son fils. Mais n’en peut plus de se faire traiter de prostituée ou de mauvaise mère.
Marja est le miroir dans lequel Delphine ne se voit pas… «Je ne suis pas une gentille jeune femme, Marja, lui avais-je dit un jour».
La directrice de Pour Vous n’est pourtant pas un être coulé d’une seule pièce. Une faille discrète apparaît en elle quand Jones veut la charger d’un travail qui semble pourtant plus anodin que bien d’autres: dactylographier les cahiers qu’Adorno, un amant de Jones, a écrits pour lui, d’une écriture difficilement lisible. Jones sait le rôle que Delphine a joué dans les derniers mois d’Adorno. Il ignore que l’accompagnatrice du malade a, après la mort de celui-ci, caché les cahiers dans l’espoir qu’ils ne soient jamais retrouvés, qu’elle s’est emparée d’une importante somme d’argent et qu’elle a précipité, à la demande d’Adorno, sa fin.
Delphine, quant à elle, est troublée par une mission qu’elle ne veut d’abord pas accomplir, avant de s’y plonger passionnément, de recopier elle-même le texte en y modifiant quelque peu la vision qu’il donne d’elle-même. Finalement, elle n’apprécie pas trop d’être jugée si froide. Pire: Jones ne la laisse pas indifférente. Alors qu’elle porte l’enfant d’une autre femme, pour la première fois, elle devine en elle quelque chose de si proche de l’amour qu’il faut bien l’appeler ainsi. La femme qui résistait à tout devient pareille aux héroïnes des romans à l’eau de rose qu’appréciait tant sa première employeuse.
C’est le monde à l’envers, à moins qu’il soit remis à l’endroit. Dominique Mainard aime ces pirouettes qui lui permettent de visiter l’intérieur des âmes, de presser ses personnages pour leur faire donner tout leur suc. Une fois encore, elle pratique une gymnastique plaisante qui nous oblige à considérer Delphine d’un autre œil. Et à reprendre espoir dans l’humanité: en définitive, le pire n’est pas toujours sûr.
Ce roman a obtenu le prix des Libraires en 2009.

lundi 19 avril 2010

Zapculture : le Printemps de Bourges comme si vous y étiez, ou presque

J'ai retrouvé ma voix - c'est-à-dire que j'ai enfin branché la bonne fiche dans la prise adéquate pour intercaler quelques mots entre les sons venus d'ailleurs. Il n'y avait pas de quoi se fatiguer trop aujourd'hui puisque j'ai décidé de vous proposer des extraits de chansons en liaison directe avec le Printemps de Bourges. Neuf artistes, donc, qui étaient sur scène à cette occasion, dans l'ordre des pochettes que je vous montre ci-dessous. Et, pour télécharger l'émission, pas de changement: le casque ci-contre sert à cela.








lundi 12 avril 2010

Zapculture, le retour

Me revoici. Avec un numéro de Zapcultures que j'ai eu bien du mal à faire parvenir jusqu'à vous - connexion paresseuse - mais dans lequel les curieux devraient trouver quelques sujets d'intérêt, du côté de la musique et de la littérature. Une bonne journée après son montage, cette "émission" datée d'hier vous appartiendra en suivant le lien du caque audio...

On ouvre avec Arno, le chanteur belge à l'accent flamand à couper au couteau, à la voix chargée d'alcool et de fumée, pour son nouveau disque, Brussld, titre sobre (oui!) et incompréhensible, sauf si l'on se souvient que ce Bruxellois, originaire d'Ostende, revendiquait son appartenance à l'Europe il y a longtemps déjà et que les barrières de langue ne lui ont jamais fait peur.
Je n'ai pas écouté le disque en entier - une chanson par-ci, par-là, couleur sombre et rythmes paresseux - et les critiques rassemblés par Télérama n'ont pas aimé. Ils ont peut-être raison. A moins que le journaliste de Tout arrive (France Culture) qui a, lui, apprécié, soit dans le bon...
Sous sa diction... particulière, vous comprendrez peut-être comment Arno écrit ses chansons, en puisant autour de lui et sans trop bosser, puisqu'il n'aime pas ça. (00'25"-02'34")

Place à la littérature, trois sujets aujourd'hui, avec de mon côté un faible pour le premier: le nouveau roman de William Boyd, Orages ordinaires. Comme l'annonce l'émission, Tout arrive, "la discussion porte d’abord sur sa méthode de travail avant d’entrer plus précisément dans les questions que posent le roman: «Que reste t-il quand on a tout perdu?» «A-t-on encore une identité?». Adam Kindred, personnage principal de ce thriller humaniste, n’a plus rien et doit «se réinventer pour survivre» comme le précise l’auteur."
Boyd, c'est - les moins jeunes s'en souviennent peut-être - cet écrivain britannique dont Bernard Pivot proposa un jour de rembourser lui-même le livre aux acheteurs qui auraient été déçus. Je ne sais pas s'ils furent nombreux à venir trouver l'animateur d'Apostrophes dans ce but. En tout cas, il n'y a rien de décevant, bien au contraire, dans ce roman londonien à l'atmosphère de thriller auquel j'ai consacré, la semaine dernière, un article dans Le Soir. (02'34"-05'06")

Je n'ai pas lu, en revanche, le nouveau roman de Guillaume Musso, La fille de papier. Et - pardonnez-moi - je ne crois pas que je le ferai. Ou alors, plus tard, quand il sortira au format de poche. Je n'ai pourtant aucun mépris pour le succès, j'aime des livres qui se trouvent placés très haut dans les listes de meilleures ventes - pas tous, quand même, faut pas exagérer. Dans ce cas-ci (comme dans d'autres), je suis quand même légèrement irrité par l'argument commercial qui repose presque exclusivement sur le tirage - énorme, je vous l'accorde, bien que j'aie oublié le chiffre exact.
En ce qui me concerne, je préfère les arguments littéraires pour juger de la qualité d'un livre.
Dans Les livres ont la parole (RTL), ce que j'ai entendu à ce sujet ne me rassure pas complètement. Il paraît que Guillaume Musso a un culot monstre, qu'il ose tout. Pensez donc! Il introduit un personnage de fiction dans la fiction! Quelle audace!
Et je me trompe probablement en ayant la vague impression que cela a déjà été fait quelque part, et souvent... (05'06"-06'02")

J'ai davantage de sympathie pour Katherine Pancol dont le troisième (et dernier?) volet de l'énorme feuilleton commencé avec Les yeux jaunes des crocodiles est l'autre énorme succès du moment. Je ne vous donnerai pas non plus les chiffres du tirage, de la mise en place chez les libraires, des réimpressions, etc. Mais j'ai lu Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi, comme j'avais lu les deux volumes précédents (celui-ci est le plus épais). Et je peux donc vous en dire un mot. (Pour le détail, il faudra se reporter à cet article.)
On ne s'ennuie pas chez Pancol. Pas souvent. Je me suis parfois dit qu'elle aurait pu couper deux ou trois cents pages (enfin, c'est peut-être parce que je me devais d'aller jusqu'au bout avant d'en parler, et que cela m'aurait permis de lire autre chose). Mais l'histoire tient la route, les personnages sont bien campés - surtout si on a pris le temps de s'habituer à eux depuis le début et Joséphine, l'héroïne, est attachante.
D'ailleurs, écoutez comment la romancière raconte, dans Regarde les hommes changer (Europe 1), la naissance de Joséphine. (06'02"-09'01")

On va finir comme on avait commencé, en musique - mais pas du même genre -, avec Patricia Petibon qui chante des airs baroques italiens sur Rosso. Elle était invitée au Rendez-vous (France Culture) et la présentation de l'album est si enthousiaste que je vous la livre telle quelle.
"Une chanteuse dont la seule apparition suffit à vous mettre de bonne humeur – même si vous savez que ce qu’elle va chanter sera grave, émouvant ou pathétique, et que l’orchestre déjà vous le fait entrevoir. On prend du plaisir même à la tristesse: n’est-ce pas étrange ? Et il augmente encore dès qu’elle ouvre la bouche. Les difficultés de la vie se sont effacées. Déjà vous les avez oubliées.
Patricia Petibon réussit ce prodige: elle vous rend heureux alors que ce qu’elle chante vous fait venir les larmes aux yeux... Mais le plus étonnant dans le programme qu’elle nous propose sur cet album est que ses qualités particulières correspondent si bien à la musique qu’elle nous offre. Elle chante toutes sortes de musiques, de Lully et Haendel à Bernstein, en passant par Mozart et Debussy, avec une affection particulière pour la musique baroque. Pourtant, ce n’est pas par elle qu’elle a commencé. «Quand je suis arrivée au Conservatoire de Paris, dit-elle, et que j’ai étudié avec Rachel Yakar, j’ai travaillé avec elle toutes sortes de musiques. Je chantais alors Zerbinetta dans Ariane à Naxos de Richard Strauss. Je continue à aimer toutes les musiques ensemble: chanter le rôle d’une religieuse dans les Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc, c’est aussi émouvant que donner sa voix à toutes les amoureuses que j’ai enregistrées.» Quant à la musique baroque, c’est la rencontre avec William Christie qui l’a, reconnaît-elle «orientée dans ce sens».
La musique qu’elle nous propose dans cet enregistrement constitue comme un concentré de ce que fut l’opéra, né en Italie et répandu à travers l’Europe. La sensibilité baroque, le goût, le plaisir en ce temps-là, ne pouvaient se satisfaire d’une déclamation musicale spianata (simple et naturelle). Il leur fallait la surprise, l’émotion, l’émerveillement. Les compositeurs, comme leur public – et les chanteurs plus encore – désiraient une sorte de merveilleux, une féérie, et même un peu de folie, par la voix: un style fiorito. La poésie, devenue serva de la musique, cherche à caractériser les affetti et donne naissance à une forme close, l’aria con da capo, permettant la transcription lyrique, dramatique ou légère, du sentiment et donnant au chanteur la possibilité de le développer par la virtuosité. Il doublait ainsi l’émotion par l’émerveillement. L’univers baroque se situe délibérément dans l’irréel, et le merveilleux vocal répond à ce qu’était alors la mise en scène pleine d’apparitions, de vols et de nuages. Il répond par les sons à l’émotion lyrique de la Sainte Thérèse du Bernin, tout comme la virtuosité architecturale de Borromini accompagne celle des chanteurs." (09'01"-11'32")

Générique, fin, et à la semaine prochaine si tout va bien.