Depuis hier, les nouveautés de la rentrée littéraire doivent commencer à envahir les étals des libraires. Jonathan Franzen, Éric Reinhardt, Sorj Chalandon ou David Foenkinos sont sur les rangs, ainsi que 650 autres qui arrivent en même temps ou s'apprêtent à les rejoindre. Il y a de belles choses, et de moins belles, dans cette marée. Qui ne me détournera pas d'une actualité à plus petit format mais au moins aussi importante pour de nombreux lecteurs. Ils ont pris patience, ils sont récompensés: les livres qu'ils voulaient lire sortent maintenant en poche. On commence tout de suite.
John Maxwell Coetzee est mort. Non, pas vraiment. Seulement dans son dernier livre traduit en français. Poursuivant l’autobiographie inaugurée avec Scènes de la vie d’un jeune garçon et Vers l’âge d’homme, il rompt avec le récit personnel. Et confie les années 1972-1975, celles de sa naissance comme écrivain, à un universitaire imaginaire qui prépare un livre sur lui. L’universitaire en question n’a jamais rencontré le prix Nobel de littérature 2003 mais il interroge des personnes qui l’ont connu, surtout des femmes, pour se faire une idée de la personne qu’il était.
Quelques données biographiques traversent les entretiens. Pour ce qu’on en sait, elles correspondent à peu près à la réalité. En 1972, Coetzee vient de rentrer des Etats-Unis pour s’installer au Cap. Il a la trentaine, il enseigne et il publie Terres de crépuscule en 1974. Il écrit Au cœur de ce pays. Le reste est fourni, en dehors de fragments de ses carnets, par des témoignages. Ce n’est pas rien, le reste: quel homme il était, comment il se comportait dans la vie courante, sa position sur l’apartheid…
Julia, Margot, Adriana, Martin et Sophie disent-ils la vérité? Leur vérité, probablement, et encore. Certaines femmes en retiennent une partie intime. Mais l’authenticité d’une autobiographie est-elle plus grande? En insinuant cette question tout au long du roman, Coetzee joue avec le genre, met en doute sa validité et proclame la force de la fiction en l’appliquant à lui-même. Le filtre est double. Et l’image qu’on perçoit à travers n’est pas particulièrement flatteuse.
Julia a été sa maîtresse. Elle semble encore se demander pourquoi. Il n’était pas le type d’homme qui inspire le désir. Trop peu de présence, une retenue constante. Au lit, pas terrible. Elle le décrit comme solitaire, refoulé. Devenue psychologue après son émigration au Canada, elle explique pas mal de choses, sur elle-même comme sur lui. Surtout sur elle: dans leur histoire, il a été un personnage secondaire, celui qui se laissait mener dans une relation provisoire.
Margot, sa cousine, ne corrige pas vraiment le portrait. John était vraiment trop Coetzee, dit-elle, ce qui n’est pas un compliment dans sa bouche. Pourtant, elle aimait parler avec lui, et même le mauvais souvenir d’une panne de voiture qui les a obligés à y dormir laisse en elle des traces plutôt douces, quoique teintées encore, si longtemps après, de l’agacement éprouvé devant sa maladresse et son imprévoyance.
Chez Adriana, l’agacement devient une véritable irritation. Elle a eu l’impression que Coetzee flirtait avec sa fille cadette, trop jeune pour cela, pendant les cours d’anglais qu’il lui faisait. Puis qu’il reportait son faible pouvoir de séduction vers la mère, au point de s’inscrire à son cours de danse. Mais il bougeait comme une marionnette. Un corps sans âme…
Si Martin, qui était son ami, est plus retenu et s’interroge surtout sur la validité de la méthode choisie par le biographe, Sophie enfonce le clou. A l’université où il enseignait en même temps qu’elle, ses cours n’avaient pas plus d’âme que son corps. Et, politiquement, il était ailleurs plutôt que quelque part.
Une énigme, au fond, ce Coetzee. Un type pas trop sympathique, débordant parfois d’une sentimentalité intérieure qu’il exprimait avec difficulté dans les relations avec les femmes. Les lettres qu’il envoyait à Adriana assommaient celle-ci, mais il continuait. Un petit homme sans envergure, au sens moral. Avec, peut-être, probablement, un talent d’écrivain. Mais un petit homme peut-il être un grand écrivain?
C’est peut-être la principale question posée par ce livre. Il faut rappeler que c’est Coetzee qui la pose à son propre sujet. Avec la joie féroce de l’imposteur: Je vous ai bien eus! Si bien qu’on en est à l’admirer davantage encore. L’été de la vie est un grand roman. Il grandit celui qui s’y abaisse.
John Maxwell Coetzee est mort. Non, pas vraiment. Seulement dans son dernier livre traduit en français. Poursuivant l’autobiographie inaugurée avec Scènes de la vie d’un jeune garçon et Vers l’âge d’homme, il rompt avec le récit personnel. Et confie les années 1972-1975, celles de sa naissance comme écrivain, à un universitaire imaginaire qui prépare un livre sur lui. L’universitaire en question n’a jamais rencontré le prix Nobel de littérature 2003 mais il interroge des personnes qui l’ont connu, surtout des femmes, pour se faire une idée de la personne qu’il était.
Quelques données biographiques traversent les entretiens. Pour ce qu’on en sait, elles correspondent à peu près à la réalité. En 1972, Coetzee vient de rentrer des Etats-Unis pour s’installer au Cap. Il a la trentaine, il enseigne et il publie Terres de crépuscule en 1974. Il écrit Au cœur de ce pays. Le reste est fourni, en dehors de fragments de ses carnets, par des témoignages. Ce n’est pas rien, le reste: quel homme il était, comment il se comportait dans la vie courante, sa position sur l’apartheid…
Julia, Margot, Adriana, Martin et Sophie disent-ils la vérité? Leur vérité, probablement, et encore. Certaines femmes en retiennent une partie intime. Mais l’authenticité d’une autobiographie est-elle plus grande? En insinuant cette question tout au long du roman, Coetzee joue avec le genre, met en doute sa validité et proclame la force de la fiction en l’appliquant à lui-même. Le filtre est double. Et l’image qu’on perçoit à travers n’est pas particulièrement flatteuse.
Julia a été sa maîtresse. Elle semble encore se demander pourquoi. Il n’était pas le type d’homme qui inspire le désir. Trop peu de présence, une retenue constante. Au lit, pas terrible. Elle le décrit comme solitaire, refoulé. Devenue psychologue après son émigration au Canada, elle explique pas mal de choses, sur elle-même comme sur lui. Surtout sur elle: dans leur histoire, il a été un personnage secondaire, celui qui se laissait mener dans une relation provisoire.
Margot, sa cousine, ne corrige pas vraiment le portrait. John était vraiment trop Coetzee, dit-elle, ce qui n’est pas un compliment dans sa bouche. Pourtant, elle aimait parler avec lui, et même le mauvais souvenir d’une panne de voiture qui les a obligés à y dormir laisse en elle des traces plutôt douces, quoique teintées encore, si longtemps après, de l’agacement éprouvé devant sa maladresse et son imprévoyance.
Chez Adriana, l’agacement devient une véritable irritation. Elle a eu l’impression que Coetzee flirtait avec sa fille cadette, trop jeune pour cela, pendant les cours d’anglais qu’il lui faisait. Puis qu’il reportait son faible pouvoir de séduction vers la mère, au point de s’inscrire à son cours de danse. Mais il bougeait comme une marionnette. Un corps sans âme…
Si Martin, qui était son ami, est plus retenu et s’interroge surtout sur la validité de la méthode choisie par le biographe, Sophie enfonce le clou. A l’université où il enseignait en même temps qu’elle, ses cours n’avaient pas plus d’âme que son corps. Et, politiquement, il était ailleurs plutôt que quelque part.
Une énigme, au fond, ce Coetzee. Un type pas trop sympathique, débordant parfois d’une sentimentalité intérieure qu’il exprimait avec difficulté dans les relations avec les femmes. Les lettres qu’il envoyait à Adriana assommaient celle-ci, mais il continuait. Un petit homme sans envergure, au sens moral. Avec, peut-être, probablement, un talent d’écrivain. Mais un petit homme peut-il être un grand écrivain?
C’est peut-être la principale question posée par ce livre. Il faut rappeler que c’est Coetzee qui la pose à son propre sujet. Avec la joie féroce de l’imposteur: Je vous ai bien eus! Si bien qu’on en est à l’admirer davantage encore. L’été de la vie est un grand roman. Il grandit celui qui s’y abaisse.
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