mardi 18 juin 2013

Maurice Nadeau et Samuel Beckett : quelques précisions

Hier, quand la nouvelle de la mort de Maurice Nadeau a commencé à circuler, on pouvait lire un peu partout une dépêche qui, dans son début, donnait quelques noms d'écrivains prestigieux découverts par cet éditeur à propos duquel tous les superlatifs utilisés étaient justifiés. Mais lui attribuer la découverte de Samuel Beckett, même si on ne prête qu'aux riches, était pour le moins abusif. Ce n'est pas parce que Wikipédia le dit qu'il suffit de recopier des éléments de la notice pour ne pas faire d'erreur.
Il faut s'en faire une raison: Maurice Nadeau n'a pas découvert tout le monde et il est passé - de peu, mais quand même - à côté de Samuel Beckett. Il m'en avait parlé en 1990, de la même manière qu'il en avait parlé à beaucoup de gens. Je lui demandais quel était son plus mauvais souvenir d'éditeur:
Au fond, ce que je regrette le plus, c'est de ne pas avoir publié celui que je considère comme le plus grand, Beckett. J'aurais pu le publier, et je n'ai pas osé. La timidité, ou le manque d'argent... je ne l'ai pas pris! Oui, ça, c'est un mauvais souvenir...
Il fournit quelques explications supplémentaires à Laure Adler, dans Le chemin de la vie:
Beckett. Je l’ai raté, c’est Lindon qui l’a publié. Tu vois, nous avions quelque chose de commun. Beckett, c’était son épouse qui promenait à travers Paris ses manuscrits dont personne ne voulait! Elle m’a donné à lire deux ou trois pages, de je ne sais plus quel roman qui a été publié plus tard. Je n’ai pas pris position parce que je ne savais pas, au fond, de quoi il s’agissait.
Cela ne l'a pas empêché, très vite, d'écrire des articles sur le futur prix Nobel de littérature, de se rapprocher de lui, de publier de nombreux textes inédits dans Les Lettres nouvelles, et de lui donner plus d'une page, pour un autre inédit, dans le premier numéro de La Quinzaine littéraire. Cela s'appelle Assez et commence ainsi:
Tout ce qui précède oublier. Je ne peux pas beaucoup à la fois. Ça laisse à la plume le temps de noter. Je ne la vois pas mais je l'entends là-bas derrière. C'est dire le silence. Quand elle s'arrête je continue. Quelquefois elle refuse. Quand elle refuse je continue. Trop de silence je ne peux pas. Ou c'est ma voix trop faible par moments. Celle qui sort de moi. Voilà pour l'art et la manière.
Dans le même numéro de La Quinzaine, Piot Rawicz publiait un article sur La maison de Matriona, d'Alexandre Soljenitsyne. "Le premier article en France sur Soljenitsyne", écrit ce matin Claire Devarrieux dans Libération. C'est peu vraisemblable: Une journée d'Ivan Denissovitch existait en traduction française depuis 1963. Le livre était paru chez Julliard, où travaillait Maurice Nadeau à l'époque. A-t-il pour autant découvert Soljenitsyne, comme l'affirme Wikipédia (et la dépêche d'hier)? Je ne le jurerais pas, ni le contraire d'ailleurs. Et je me contente volontiers des auteurs dont il est certain qu'il nous les a fait connaître. Ils sont bien assez nombreux pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en ajouter.

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