La figure de la bataille
(De notre correspondant de guerre.)
Front français,
30 mars.
Le feu
allemand soude l’amitié franco-anglaise. Jamais les deux races de sang si
différent ne se sont senties si près. Le péril leur a fait reconnaître qu’elles
s’aimaient. Devant le même danger, leur cœur a battu ensemble et la foi du
missionnaire les jette généreusement, liées, dans la mort.
Nous allons
vous les montrer au cours de cette terrible semaine, se serrant la main de plus
en plus. Nous allons vous raconter la bataille. Plutôt, passant au galop au
milieu d’elle, nous allons vous en faire miroiter les grandes phases dans le
reflet du sabre brandi depuis huit jours.
La vague boche s’élance le 21
Le 21 au
matin, après douze heures d’un déluge de fer et de gaz, les vagues allemandes
commencent à s’élancer. Deux armées anglaises sont face à la ruée. Le Boche
débouche de La Fère. Une des armées anglaises, celle qui est au nord, résiste,
fait tête, ne veut pas céder, ne cède qu’à peine à de rares endroits, se
cramponne. L’autre n’a bientôt plus pour se conduire que l’héroïsme de chacun.
Un commandant de corps prend un fusil et se bat comme ses deuxièmes classes.
Tergnier est pris. La marche sur Ham-Noyon débute. On alerte des troupes
françaises. Nous sommes au soir du premier jour. Il fait clair de lune.
L’artillerie fait sans arrêt le bruit d’une énorme mouche. Nos troupes dans la
nuit montent sur Noyon. Elles montent couvrir la ville.
Le 22, une
division française portée à cheval, ayant dépassé Noyon, se trouve subitement
face aux Allemands. Les Anglais venaient de céder le passage. Dans la grande
lutte qui s’ouvre, Français et Allemands, pour la première fois, se
rencontrent. D’autres divisions suivent. La baïonnette marche. Des divisions
fraîches allemandes dépassaient les divisions fatiguées. En même temps deux
divisions, une allemande, une française courent sur Chauny. Les Allemands
foncent partout. Vers 6 heures, le soir, un général anglais commandant de
corps reçoit un coup de téléphone de son armée. Le repli est ordonné. Mais les
Français se dressent sur Noyon. Les Allemands se brisent sur leurs poitrines.
Ils obliquent sur Amiens.
Le 23, ils tentent la brèche
Le 23, les
Allemands débouchent de Ham, enlèvent Villequier-Aumont, passent le canal
Crozat, ils s’y reprennent à dix-sept fois, mais le passent. Il ne faut pas
qu’ils élargissent la brèche. S’ils séparent les Alliés ils vont dévaler. Les
Français doivent maintenir la liaison avec l’Anglais. On leur donne des
renforts, qui viennent appuyer leur gauche. Les éléments de l’armée anglaise
que l’on rencontre continuent à se battre magnifiquement : pour l’honneur
de la vieille Angleterre.
Le 24, le choc
allemand n’a rien perdu de sa vigueur. Nos troupes qui avaient tenu devant Chauny
et Noyon sont fourbues, on leur fait repasser l’Oise. Un renfort arrive pour
que la route de Compiègne soit barrée sans faiblesse. Mais ce n’est pas là que,
cette journée, se livre le grand combat français. C’est autour de Lassigny.
C’est là que se fait de la gloire. Quand la fumée de la bataille se dissipera,
elle brillera sur ces divisions. L’artillerie avait été amenée en camions.
L’ordre vint de prendre du champ, les artilleurs la ramenèrent à la bricole.
Les pièces sauvées, ils retournèrent chercher les caissons – à la bricole.
Attaque à fond le 25
Le 25,
l’Allemand attaque à fond.
Nous
redoublons d’efforts.
Nous jetons
une division de cavalerie. C’est le matin. Une fois de plus nous allongeons
notre gauche. L’angoisse est là. La bataille continue.
Le 26,
rien : on se bat, l’Allemand s’acharne.
Le 27, une
nouvelle main apparaît dans l’ordonnance générale de la bataille. Les camions
français qui, depuis six jours, font leur œuvre, ont préparé des forces. La
parole va nous être donnée.
Et le 27, guerre de rase campagne
C’est donc le
combat en rase campagne. C’est la lutte à la baïonnette qui reprend. Le temps
des secteurs est fini. Ce ne sont plus des mouvements d’horloge qui règlent la
bataille. Plus rien n’est délimité. Les parcs à munitions ne sont plus désignés
d’avance. Des hôpitaux ne se sont pas élevés méthodiquement pour cette
offensive. Les autos sanitaires renaissent et emmènent on ne sait plus où les
héros étendus. Les prisonniers n’ont plus de camp tracé. Ils passent sur les
routes pour des destinations hasardeuses. Plus de barrière entre les armées qui
s’entre-choquent. Plus de boyaux. La circulation est en plein air, en plein
champ. On peut désormais tomber l’un chez l’autre sans s’en apercevoir. Les
nouveaux villages où l’on s’est battu, où l’on se bat, ne sont plus en ruines.
Ils ont leurs toits, leurs murs, leurs fenêtres et la bataille est acharnée.
C’est que ce n’est plus l’heure du canon qui écrase, c’est l’heure de l’homme
qui se dresse contre l’homme. On recommence à faire sauter des ponts. On est
prêt à déboulonner des rails. Les troupes sont enlevées d’urgence à leurs
cantonnements. Ce qu’il importe, c’est d’aller vite. L’artillerie suit,
l’infanterie ne se retourne plus. Les champs de bataille sont encombrés. Tous
les adversaires y tiennent, même harassés. L’Angleterre et la France,
soulevées, y jouent la liberté.
Le Petit Journal, 31 mars 1918.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
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Dans les remous de la bataille
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