Le premier roman de Gauz, Debout-payé, était prometteur. La vie parisienne d’un vigile né en
Côte-d’Ivoire offrait une vue imprenable sur un monde du commerce inaccessible
à celui qui en surveille la clientèle. C’était à peine un roman. Camarade Papa manifeste une ambition
bien plus grande et en conséquence, bien que le lien n’aille pas de soi, est
une éclatante réussite. L’écriture bénéficie d’une heureuse liberté mise au
service de deux histoires parallèles – le genre de parallèles qui finissent
toujours par se recouper.
Il ne suffit pas d’affirmer, il faut apporter des preuves.
Dans la superstructure du roman, on considérera avec intérêt
la non-numérotation des chapitres qui se présentent ainsi :
« Chapitre rouge », « Chapitre romain », « Chapitre
Alsace allemande », « Chapitre pendulé volant », « Ya bon
chapitre », etc. Et ce n’est pas tout, car il y a aussi les titres de ces
chapitres, qu’on vous laisse découvrir.
Dans le détail, l’usage subtil d’une langue décalée fournit
une étrange sensation simultanée de proximité et de distance. Tout est
compréhensible à la première lecture, malgré des écarts calculés. Parlons de la
tulipe, autrefois vedette hollandaise du capitalisme mondial : « La fleur n’est pas très belle, même
les moutons refusent de la brouter. Mais à cause de la pluie value, ils s’achètent
et se vendent la mauvaise herbe. Ils inventent le capitalisme des bourses. »
Ou, si vous préférez, examinons les deux espèces extrêmes de colons réunis
autour d’une même table : « Fourcade
m’explique que les premiers sont négrophiles, la pire espèce d’hommes blancs des colonies. Péan raconte que ses
voisins d’en face sont négrophobes,
la pire espèce d’hommes blancs des colonies. »
Subrepticement, les deux personnages principaux se sont
invités dans l’article. L’homme qui pense aux tulipes est né à Amsterdam et a
des origines africaines. Camarade Papa, son père, a mélangé à ses biberons un
marxisme bon teint. L’appel des ancêtres et de leur terre ne va pas tarder à le
convoquer. Le second, qui prend des leçons accélérées de colonialisme, vivait
un siècle plus tôt et est parti de France à la conquête de l’Afrique sur les
pas de grands hommes dont les noms lestent parfois jusqu’à aujourd’hui la
toponymie : Marcel Treich-Laplène, Résident de France en Côte-d’Ivoire et homme
de traités toujours en faveur du Blanc, a donné Treichville à Abidjan.
La colonisation vécue par Dabilly, en direct, est déjà celle
dont Anouman, aujourd’hui, mesure les lointaines conséquences. Et non ce que
racontent les manuels scolaires, quand ils en parlent, ou les légendes qui
nourrissent les vieux clichés racistes où puise encore le présent. Le regard de
Gauz sur cet épisode historique envisagé à deux époques différentes est une
appropriation totale des événements trop souvent encore envisagés du seul point
de vue européen. Il n’est ni le seul, ni le premier. Kourouma, Mabanckou,
d’autres encore ont contribué et contribuent à revisiter ce moment sans dire
merci. Mais la voix de Gauz, totalement originale, leur ajoute une énergie
nouvelle.
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