Catherine Paysan vient de mourir à 93 ans et beaucoup
ne retiendront d’elle qu’un célèbre numéro d’Apostrophes au cours duquel Charles Bukowski, éméché, émoustillé
par l’abus de vin blanc et les genoux de Catherine Paysan, tenait absolument à tâter
la rondeur de ceux-ci avec les paumes de ses mains baladeuses. C’était en 1978,
Catherine Paysan venait de publier Le
clown de la rue Montorgueil chez Denoël – et Bukowski, on ne veut pas
savoir de quel ouvrage il était venu ne pas parler.
Il suffit de cela dans une vie, même à une époque où on ne
parlait ni de réseaux sociaux ni de buzz, pour faire passer à l’arrière-plan
une œuvre solide et honnête, une vingtaine de livres dont certains ont enchanté
mes jeunes années de lecteur : Nous les Sanchez (1961, non, je ne l’ai pas découvert à sa
parution, j’étais trop jeune), Les Feux de la Chandeleur (1966), Le
Nègre de Sables (1968) ou L’Empire du taureau (1974).
Quand je l’ai
rencontrée, en 1992, nous n’avons d’ailleurs pas parlé de Bukowski mais de son
nouveau livre, La route vers la fiancée (Albin Michel).
On n’attendait pas Catherine Paysan au détour de l’histoire
lointaine du sixième siècle, une époque où les romanciers ne se bousculent
guère parce qu’elle est peu connue – « moins
mal connue qu’on le pense généralement », dit cependant Catherine
Paysan. « J’ai lu beaucoup de choses
qui avaient été publiées par des historiens. »
Mais l’intérêt de La route
vers la fiancée est d’être un roman, précisément, ce qui a même des
avantages sur le plan historique : « J’ai
réinventé les mentalités. » La liberté de l’écrivain reste en effet
considérable quand il situe son récit loin de nous. Il n’empêche que Catherine
Paysan, bien qu’elle aborde pour la première fois le roman historique à
proprement parler, n’a pas l’impression d’avoir écrit un livre très différent
de ses précédents : « Ça s’inclut
chez moi dans une préoccupation constante qui est de traiter du choc des
cultures, de l’arrivée de marginaux qui réclament leur implantation tout en
revendiquant leur identité. Je suis persuadée que nous sommes bâtis comme des
terrains, que nous sommes la conséquence de sédiments accumulés. Nous sommes
tous métissés, par force ou par volonté ! »
La route vers la
fiancée est le chemin que suit un guerrier franc vers l’Aquitaine, avec une
ferveur traduite dans un lyrisme échevelé qui emporte comme un long poème en
prose. Mais ce poème, auquel Catherine Paysan a travaillé quatre ans, raconte
une histoire, écriture et sujet fondus en un seul élan.
« On ne fait rien
sans langage. Ou on réussit, par l’écriture, à donner du relief à ce qui
pourrait ne pas en avoir, ou on n’y parvient pas. Je voulais donner une couleur
à tout cela. Il faut que je sois en accord avec ma propre musique. Mais ce
lyrisme-là n’est pas très parisien… »
En effet, il y a trop de chair, trop de gourmandise ici pour
les amateurs d’une littérature plus tenue – mais il n’est pas interdit d’aimer
des couleurs très différentes dans le roman, un genre ouvert à toutes les
influences.
Catherine Paysan ressemble à son livre. Elle dit d’ailleurs :
« Je suis très entière. C’est à
prendre ou à laisser. » Et elle ne répond pas quand on lui demande où
elle habite – parce qu’on se disait qu’elle n’habite probablement pas Paris. « Le problème n’est pas de savoir où j’habite,
le problème, c’est moi. J’ai toujours aimé l’incantation. Dans ma famille, on
parlait beaucoup. Ma mère était une conteuse et mon père avait le sens de la
prosodie. » Alors, on se souvient de Catherine Paysan poussant la
chansonnette, et, en l’écoutant parler, on se dit qu’elle chante encore quand
elle s’explique, et que ce chant est le même que celui de son livre.
Entière, oui, décidément. Et
sachant ce qu’elle veut jusque dans son travail littéraire. « Je suis quelqu’un qui a des
intentions », affirme-t-elle avec force, et on n’a aucune peine à la
croire : non, rien de ce qu’elle dit dans La route vers la fiancée n’est étranger à ce qu’elle a voulu
réaliser : faire l’honneur à des gens qui ne sont rien de vivre un amour
comme Tristan et Iseult.
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