dimanche 10 mai 2020

Sortir n’est pas rentrer, et réciproquement

Demain, les librairies sortent, en ordre dispersé et avec les moyens que chacune se donne pour répondre aux contraintes imposées par les circonstances, de leur léthargie – semi-léthargie pour celles qui avaient continué à assurer, tant bien que mal, les besoins en lecture de leurs clients.
Et l’on parle d’une autre rentrée littéraire, histoire de mettre de l’ambiance là où il n’est pas si facile d’exciter l’appétit. On s’apprête à mettre le feu aux éclairages laser, à lancer les bains de mousse et à inviter des DJ. Non, je déconne. Encore que j’en devine qui sont capables de tout pour se faire remarquer. Je leur pardonne : les temps sont durs, et ça ne va pas s’arranger.


L’académie Goncourt, malgré tout, pour adoucir la peine des libraires, participe au déconfinement à sa manière et attribuera, demain, quatre prix d’un coup, d’un seul – c’était prévu pour le mois de juin, mais il n’est pas question de manquer le premier jour de (prudente) respiration (l’annonce étant faire par visioconférence, la contagion ne pourra être que virtuelle).
Nous apprendrons donc, dans vingt-quatre heures et des poussières, qui sera cette année le lauréat du Goncourt de la poésie Robert Sabatier, prix pour lequel aucune sélection n’a été annoncée, ce qui n’empêche pas les jurés, j’imagine, d’avoir leur petite idée sur la question.
Les trois autres lauréats, pour le premier roman, la nouvelle et la biographie, seront choisis dans des listes fournies il y a quelques jours. L’une d’elles est maladroite, je vais vous expliquer pourquoi.
Au Goncourt du premier roman, Maylis Besserie (Le tiers temps, Gallimard), Anne Pauly (Avant que j’oublie, Verdier) et Constance Rivière (Une fille sans histoire, Stock) sont en lice. J’ai beaucoup aimé le livre d’Anne Pauly, je n’ai pas lu les autres, je m’abstiendrai donc de commentaires vagues ou de pronostic hasardeux.
Pour le Goncourt de la biographie Edmonde Charles-Roux, cinq ouvrages sont retenus. Deux d’entre eux sont des biographies des frères Goncourt, belle coïncidence et choix cornélien, à moins de partager la récompense – ce qui serait injuste, car l’ouvrage de Pierre Ménard (Tallandier) est à mes yeux supérieur à celui de Jean-Louis Cabanès et Pierre Dufief (Fayard), bien que celui-ci donne dans l’exhaustivité. Les autres sujets des biographies sont Chamfort, davantage connu pour ses maximes et pensées que pour Manureva, ne confondons pas (par Jean-Baptiste Bilger, au Cerf), Jacques Rigaut, suicidé magnifique (par Jean-Luc Bitton, chez Gallimard), et Hugo Pratt (par Thierry Thomas, chez Grasset), envers qui j’avoue un faible pour de bonnes et une mauvaise raisons (les bonnes : son œuvre et une rencontre inoubliable ; la mauvaise, quoique… mon restaurant préféré est le Corto Maltese, dans ma bonne ville de Toliara).
Et puis, il y a le Goncourt de la nouvelle. Trois livres… dont un seul est paru à ce jour : les Nouvelles, version intégrale, de Vincent Ravalec (Au Diable vauvert). Le recueil d’Anne Serre, Au cœur d’un été tout en or (Mercure de France) ne sortira que le 28 mai. Celui de François Garde, Lénine à Chamonix (Paulsen), le 2 juillet seulement. Ce serait une curieuse façon d’aider les libraires si le Goncourt de la nouvelle allait à un de ces deux ouvrages indisponibles !

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