Les pirates (2001)
Peut-être y a-t-il, dans la littérature consacrée à la piraterie, deux grands classiques, celui de Daniel Defoe et celui-ci, que Gilles Lapouge publia en 1987 avec un sous-titre en forme de nomenclature : « Forbans, flibustiers, boucaniers et autres gueux de mer ». Lapouge cherche à écrire autrement l’histoire de ce qu’il appelle un délire. Une poésie de l’action où l’action n’est pas la seule chose qui importe – quand les prédécesseurs de Lapouge s’étaient bien gardés d’en sortir – au regard d’une rupture avec le monde, d’une utopie : Si les pirates travaillent, c’est en vue de gagner leur vie sans travailler, écrit-il. Leurs aventures seraient donc une quête du paradis terrestre, où tout est donné sans effort, où il suffit d’accepter quelques contraintes divines pour vivre heureux. Cela implique l’abandon de toute autre loi humaine, à moins de les écrire soi-même. La violence, la sauvagerie, en prennent une tout autre signification puisque même l’appât du gain, les rapines en tout genre tendent vers ce but ultime. Et courent à l’échec. Mais quelle belle histoire !
En étrange pays (2005)
Gilles Lapouge, écrivain aventureux qui s’est intéressé aux
pirates ou au Brésil, n’a pas toujours besoin des lointains pour ouvrir
l’horizon. Il lui suffit de poser : « Il ne faisait pas plus de
raffut qu’un souvenir. » Ou : « Le temps était comme une
pomme. » Ou encore : « Le derrière du cheval fumait car,
en général, les derrières de cheval fument en automne. » Et d’inscrire
cela dans une géographie où se rencontrent un professeur et un soldat, après la
première Guerre mondiale. Les chemins tracés sur des cartes oubliées deviennent
alors plus vrais que ceux auxquels travaille le cantonnier du village et
peuvent même permettre à deux armées de se croiser sans se voir.
Tels sont les secrets des paysages qu’ils reprennent vie
seulement dans le souvenir. C’est-à-dire dans un entre-deux flou sur la réalité
duquel on s’interroge. Comme s’interrogent longtemps la plupart des habitants
du village après que le professeur Judrin a prétendu avoir parlé à un soldat
qui errait à la recherche de travail. La ferme où il l’a envoyé était à deux
cents mètres, et personne ne l’a vu. Pendant six ans, le mystérieux visiteur
occupe tous les esprits (existe-t-il ailleurs que dans l’imagination du
professeur ?) et procure au facteur, le seul à entrer dans toutes les
maisons et à y recueillir des indices qu’il invente au besoin, une importance
inédite. Six ans plus tard, l’inconnu arrive à la ferme avec le naturel de
celui qui vient d’obtenir le renseignement. Ce qu’il a fait pendant ce
temps ? Personne n’en saura jamais rien. Julien, qui restera et qu’on
apprendra à connaître, cultive l’esquive comme une politesse. Et adore raconter
si sérieusement des histoires invraisemblables que leur authenticité n’est pas
toujours mise en doute. Surtout par les enfants – parmi lesquels le narrateur.
Le bois des amoureux est une suite de bonheurs
anodins. La méchanceté s’y égare à force de bonne volonté et faute de
nourriture pour la haine. Les travaux et les jours y ont le charme d’un été à
la campagne, même quand c’est l’hiver et qu’il gèle à pierre fendre. Le
romancier se livre, en toute bonne foi, à un travail de travestissement où les
morts ne meurent pas, ou pas tout de suite, parce qu’apprendre la nouvelle
serait trop cruel.
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