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mercredi 26 février 2020

Gérard Mordillat et la possibilité d’une dictature

Les Jeux olympiques de 2024 doivent être une réussite. C’est en France, dans les mois qui précèdent l’événement, que se déroule le dernier roman de Gérard Mordillat, Ces femmes-là. Ce n’est pas beau à voir…
En revanche, la lecture est passionnante et provoque un effet d’entraînement auquel on résiste aussi peu qu’au flux humain d’une grande manifestation, voire de deux. Car, en trois temps qui découpent le récit en autant de parties, « Avant », « Pendant » et « Après », se déroulent quantité de manœuvres et de drames qui en découlent directement.
Le titre annonce un éclairage particulier sur les personnages féminins. Oui, ils sont là, ou plutôt elles sont là, mais ne nous emballons pas.
Il y a plus fort en effet que Daisy, Morgane, Nadia, Faustine, Julia et les autres (elles sont une vingtaine dans la liste des personnages principaux, ajoutons-y pour faire bonne mesure une dizaine dans des rôles secondaires).
Il y a le contexte politico-social, à côté duquel manifestations et répression des gilets jaunes font pâle figure. Il offre à Gérard Mordillat un terrain de jeu idéal, d’autant qu’il l’a lui-même choisi, pour lâcher ses chiens contre toutes les dérives dictatoriales et pratiquer une ironie féroce envers un système de pensée favorable à un pouvoir fort, qui gagne les esprits à très grande vitesse. Dans le roman, au moins, car dans la vraie vie de ces années que nous vivons, cette inclination semble invraisemblable – à moins que… ? Oui, bien sûr, en pratiquant la fiction, l’écrivain, que l’on sait engagé à défendre les causes auxquelles il croit, se fait aussi lanceur d’alerte.
Donc, le grand chantier des Jeux olympique a été le prétexte à un spectaculaire rétrécissement des libertés individuelles. Pour le bien collectif, cela va sans dire, il y aura du travail obligatoire à l’intention des chômeurs heureux de retrouver ainsi le rythme de la vie active. Par crainte des désordres, et avec à la tête du pays un général-président inspiré par les ambitions d’un triumvirat de grands patrons, les syndicats seront muselés, les musulmans binationaux expulsés, tout suspect arrêté sans nécessité d’expliquer pourquoi, ni où se passe la détention…
Le pire est que tout cela semble presque normal, comment en est-on arrivé là ? Sauf, quand même, pour quelques révoltés, parmi lesquels des syndicalistes et des femmes s’invitent en première ligne dans une grande marche populaire contre les nouvelles lois liberticides. Comme par hasard, ceux qui sont favorables à ces lois manifestent en même temps. Au milieu d’événements déjà bruyants par eux-mêmes sont jetés des hommes armés bien décidés à agir.
Le principe est vieux comme le monde mais il fonctionne encore : arrangez-vous pour mettre le bordel dans la rue, pour faire couler le sang, et le peuple réclamera une autorité renforcée. Dans un jeu faussé par la manipulation, les uns et les autres tentent d’échapper au destin collectif pour suivre des voies personnelles. Pas facile, mais exaltant.

lundi 28 novembre 2016

Gérard Mordillat, la révolution en riant

Quand il ne travaille pas avec Jérôme Prieur à des films et à des ouvrages historiques sur la religion, Gérard Mordillat se laisse aller à son naturel : il remonte au front de la défense des petits contre les gros, pour le dire en simplifiant. D’où La Brigade du rire, inspirée mais décalée des Brigades rouges. Car, si l’envie de meurtre affleure parfois chez les plus enragés de la bande, personne n’ira jusque-là.
La bande est constituée de sept copains qui, au lycée, formaient une redoutable équipe de handball. Parce qu’ils étaient en bonne condition physique, certes, mais surtout parce qu’ils formaient un groupe soudé par un désir commun de révolte devant une société sclérosée. Trente ans après leur plus belle victoire, Dylan a eu l’idée des retrouvailles. Non sans une légère inquiétude : n’ont-ils pas remisé leur rage au grenier des illusions ? Tous sont soulagés de constater qu’il n’en est rien. Il manque un élément au groupe, Bob, qui s’est suicidé et dont la compagne, Victoria, a répondu à l’invitation.
Après un bref moment de gêne, car les garçons avaient prévu de rester entre eux, Victoria fait mieux que s’intégrer : elle est en première ligne pour désigner la cible de leur action commune, puisqu’il faut faire quelque chose  au lieu de se laisser manipuler par les hérauts du capitalisme. En voici un, tout désigné pour servir d’exemple : Pierre Ramut, éditorialiste vedette de Valeurs françaises, sans cesse à cogner sur les travailleurs et leurs revendications démesurées, coupables de l’écroulement de l’économie nationale.
La Brigade du rire, qui a envie de se marrer, l’enlève et le met au travail dans un bunker aménagé en atelier. Il est chargé de forer des trous dans des cornières, en rythme et pour un salaire de misère. L’idée est séduisante, mais son ironie s’épuise dans la durée. Il faudra trouver le moyen d’en sortir avec le même humour féroce.
Le romancier s’en donne à cœur joie, fournit à ses personnages des existences individuelles assez complexes pour donner l’impression que nous les connaissons bien. Et que nous méritons de rire en leur (bonne) compagnie.

mardi 7 janvier 2014

Gérard Mordillat fait écho à un roman de Henry James

Ces dernières années, Gérard Mordillat a publié d’épais romans dans lesquels il empoignait avec vigueur des questions sociales. Les vivants et les morts, Notre part des ténèbres et Rouge dans la brume s’étaient ainsi succédé depuis 2005. A ces grandes fresques, Ce que savait Jennie semble répondre par une étude de détail, sans rompre avec la colère qui anime l’écrivain et dont celui-ci parle volontiers : « Les occasions de manger le pain de la colère sont hélas ! quotidiennes. Et cette injustice qui est une injustice sociale, une injustice économique, qui par exemple condamne des millions d’hommes et de femmes à des situations très précaires et même de plus en plus à la pauvreté, voire à la misère, se retrouve aussi bien dans Ce que savait Jennie que dans mes livres précédents. La différence, c’est que Ce que savait Jennie, et c’est pour cela que le livre est moins long, est une aventure individuelle alors que les autres étaient des aventures collectives. Le fait que ce soit une aventure individuelle nous renvoie aussi, de façon métaphorique, à la situation d’isolement qui est de plus en plus la situation des hommes et des femmes aujourd’hui. »
Aventure individuelle, donc, celle de Jennie qui évoque un personnage de Henry James (Ce que savait Maisie) en un clin d’œil volontaire. Comme Jennie, Mordillat est un lecteur de James. Et, comme Maisie, Jennie « fait preuve d’une lucidité, d’un courage, d’une détermination très supérieure à ce que l’on imagine être la capacité à se déterminer d’une enfant de treize ans, puis d’une jeune fille. » En quatre actes, « comme dans un opéra », dit le romancier, Jennie perd ses proches, en particulier sa mère dont la disparition annonce la dispersion de la famille.
« Le dernier mot du livre est “injuste”. Ce que savait Jennie est un livre contre l’injustice et la première des injustices que Jennie va subir, c’est à la mort de sa mère, quand elle comprend que, n’ayant pas de famille, n’ayant pas de revenus, n’ayant que seize ans, il n’y a aucune chance pour ses frère et sœurs restent avec elle. C’est une injustice extraordinaire. La société fait ce qu’elle peut, elle n’est pas coupable de ne pas arriver à conserver la fratrie. Mais c’est quand même une injustice absolue au regard de l’amour qu’elle leur porte, du dévouement absolu qu’elle a pour eux. Cette première injustice sera le point de départ de son aventure. »
Cette aventure la conduira, en fin de roman, sur le chemin de la violence. En compagnie de Quincy, lui aussi en rupture avec la société, elle devient une fugitive. On se souvient alors de l’autre activité de Gérard Mordillat : le cinéma. Et on se demande s’il a pensé, en rédigeant les dernières pages, à Bonnie and Clyde, le film d’Arthur Penn…
« Non, mais j’aurais dû y penser. En revanche, il y a une chose à laquelle j’ai pensé, c’est le film de Cimino, Voyage au bout de l’enfer. Au début du film, on voit une équipe travailler en usine, puis il y a une très longue scène de mariage, de fête, sans que les personnages soient réellement distincts. Et j’avais en tête, en écrivant Jennie, de commencer là aussi en plan très large par une multitude de personnages parmi lesquels Jennie était un parmi d’autres, et puis, petit à petit, scène après scène, de m’approcher d’elle jusqu’au moment où elle ne serait que le personnage du livre. Comme quoi il faut entendre les leçons du cinéma… »

jeudi 27 septembre 2012

Les entretiens de la rentrée : Gérard Mordillat

Gérard Mordillat déploie généralement une belle énergie dans ses romans. C'est encore le cas dans Ce que savait Jennie, son dernier livre paru. Pas besoin d'avoir chaque fois la dimension d'un gros pavé pour dire sa colère contre toutes les injustices. Car la fibre sociale de Gérard Mordillat est toujours aussi vive, son personnage principal le prouve. L'écrivain aussi, dans les réponses qu'il me faisait il y a quelques jours lors d'un entretien téléphonique dont une partie est parue dans Le Soir.
Vous faites, dans le titre – Ce que savait Jennie –, un clin d’œil à Henry James. Pourquoi ?
Parce que, d’une part, je suis un lecteur de James, et que j’aimais particulièrement dans Maisie l’idée de cette petite fille qui est ballottée par le texte, qui fait preuve d’une lucidité très supérieure à celle qu’on accorde d’ordinaire à une fillette de cet âge. Et, pour moi, Jennie, c’était quelqu’un qui, de la même manière, à travers les événements de sa vie, fait preuve d’une lucidité, d’un courage, d’une détermination très supérieure à ce que l’on imagine être la capacité à se déterminer d’une enfant de treize ans, puis d’une jeune fille. C’était ce rapprochement-là qui me plaisait. Et puis aussi l’idée que James a écrit un texte que j’admire beaucoup, L’image dans le tapis, où il enjoint à la critique de chercher à l’intérieur d’un livre ce qu’est le livre lui-même. Je trouvais qu’il y avait là aussi une image cachée, et tout cela me rattachait à James. Et ce qui me plaisait enfin, si je puis dire, c’est, dans le personnage de Jennie, cette espèce de chat sauvage qui, par certains côtés, est quelqu’un d’extrêmement violent, brutal, capable d’actions extrêmement vives et violentes, et, d’un autre côté, un personnage qui, aussi paradoxal que ça puisse paraître, est une lectrice de James, une très bonne lecture de James, une si belle lectrice de James qu’elle finit par réécrire des phrases entières dans le livre, celles qui ne lui conviennent pas, et puis de l’annoter, de le commenter, d’en faire son livre et j’avais envie de dire son œuvre personnelle. Donc, un personnage incroyable : d’un côté ce chat sauvage et de l’autre côté cette érudite que personne ne soupçonne.
Cette violence n’est pas en elle au point de départ. Elle est une réaction à sa souffrance, non ?
Oui, vous avez tout à fait raison. Une lectrice m’a dit une chose qui m’a beaucoup frappée et que j’aime beaucoup, et qui se rapporte à ce que je viens de dire. Elle m’a dit : vous savez, la souffrance est un chat sauvage. Je trouve que c’est très beau et très juste. C’est vrai que la violence de Jenny est le produit de sa situation sociale, familiale et affective. En même temps, elle n’est pas la victime de ces situations, dans la mesure où elle en a une compréhension très aiguë et que cette compréhension fait qu’elle a aussi développé des moyens de défense qui lui permet de ne pas être atteinte par ce que tout autre recevrait comme une agression très violente. Elle est dans une situation très difficile mais elle se défend très bien sur tous les plans.
Au point de départ, quand elle est enfant, elle fuit une société dont elle a compris qu’elle n’était pas faite pour leur bonheur, mais pour les mettre dans des cases qui ne leur conviendront pas. C’est un peu ça ?
C’est ça. C’est même… Essayons d’élargir un peu : le dernier mot du livre est « injuste ». Ce que savait Jennie est profondément un livre contre l’injustice et la première des injustices que Jennie va subir, c’est évidemment à la mort de sa mère, quand elle comprend que, n’ayant pas de famille, n’ayant pas de revenus, n’ayant que seize ans, il n’y a aucune chance pour ses frères, ses sœurs et elle restent ensemble. C’est une injustice extraordinaire. La société fait ce qu’elle peut, elle n’est pas coupable de ne pas arriver à conserver la fratrie. Mais c’est quand même une injustice absolue au regard de l’amour qu’elle leur porte, du dévouement absolu qu’elle a pour eux. Cette première injustice sera le point de départ de son aventure.
Au fond, ce thème n’est pas très différent de celui des grands romans à fresques que vous avez publiés ces dernières années…
Les occasions de manger le pain de la colère sont hélas ! quotidiennes. Et cette injustice qui est une injustice sociale, une injustice économique, qui par exemple condamne des millions d’hommes et de femmes à des situations très précaires et même de plus en plus à la pauvreté, voire à la misère, bien entendu se retrouve aussi bien dans Ce que savait Jennie que dans mes livres précédents. La différence, c’est que Ce que savait Jennie, et c’est pour cela que le livre est moins long, est une aventure individuelle alors que les autres étaient des aventures collectives. Le fait que ce soit une aventure individuelle nous renvoie aussi, de façon métaphorique, à la situation d’isolement qui est de plus en plus la situation des hommes et des femmes qui vivent aujourd’hui.
Dans votre travail d’écrivain, aviez-vous besoin de vous focaliser sur un personnage après des romans plus collectifs ?
Je n’y ai pas du tout pensé dans ces termes-là. Il m’a semblé important qu’il y ait quelque chose de rapide dans l’action et chez les personnages, que cette dynamique soit aussi celle de Jennie. En même temps, je trouvais que Jennie était dans la même situation que Dallas des Vivants et les morts, que Mado Vichy de L’autre part des ténèbres ou que Anne Ketluna dans Rouge dans la brume. Elle est une de celles-là, mais je m’y suis attaché plus particulièrement. Mais je ne me suis pas dit que j’allais faire un livre plus court, j’ai écrit en essayant d’être au plus près des nécessités de l’histoire que je voulais raconter. Le livre, en réalité, est construit comme un opéra. Il y a quatre actes : Mike, Olga, Jennie et Quincy. J’avais ce modèle-là en tête, mais je n’ai pas calculé. A tel point qu’à un moment, par curiosité intellectuelle, j’ai rencontré Madame Sultan qui est la présidente en France des présidents des tribunaux pour enfants, simplement pour vérifier auprès d’elle que mon récit était de l’ordre du vraisemblable. Elle a confirmé que c’était plus que vraisemblable, que l’on était dans un réalisme absolu. J’aurais pu développer très largement, par exemple, ce que Jennie fait en foyer. Je ne l’ai pas fait. Encore une fois, la rapidité de l’action me paraissait directrice, un moteur de l’histoire. Il fallait donc que j’écrive sur cette distance-là. Surtout, une chose anecdotique m’a fait plaisir : le livre imprimé fait 222 pages, or j’ai grandi toute mon enfance au 222, rue des Pyrénées. Trois 2, comme trois canards, qui m’ont toujours paru un signe favorable…
Vous êtes aussi cinéaste, et cela se sent dans le roman. Pensez-vous images quand vous écrivez ?
Oui, je pense images mais je ne pense pas cinéma. Ayant le privilège de faire des films et d’écrire des livres, j’essaie de faire que mes livres n’aient de réalité que littéraire et que mes films ne puissent exister que par le cinéma. Quand j’ai adapté certains de mes livres, je l’ai toujours fait dans l’idée de faire une sorte de relecture critique de ce que j’avais écrit. Arte va diffuser Les cinq parties du monde (1) que j’ai réalisé d’après un livre que j’ai écrit. C’est très, très différent du livre. Ca vient du livre mais c’est très différent dans son traitement. Avoir l’occasion de tourner quelque chose à partir d’un livre est toujours pour moi l’occasion d’une relecture critique. J’ai tourné Vive la Sociale ! en repentir du roman que j’avais publié. Quand le livre a été publié, je le dis en toute modestie, il a eu du succès. En même temps, personnellement, je trouvais que j’étais passé à côté. Donc, j’ai pensé le réécrire par d’autres voies, par la voie cinématographique. Et quand le film est sorti, là aussi avec du succès, avec le prix Jean Vigo et des critiques très élogieuses, je me suis dit que ce n’était toujours pas ça. Quand on m’a proposé de rééditer en poche Vive la Sociale !, je l’ai entièrement réécrit. Il y a dix ans, il y a eu une nouvelle édition que j’ai à nouveau considérablement modifiée et, là, j’ai rendez-vous jeudi [le 6 septembre] au Seuil parce que je crois que je vais en faire encore une nouvelle édition… Tout simplement pour dire que, quand j’écris un livre, je ne pense pas que c’est un succédané de scénario. C’est quelque chose qui a une réalité et le cinéma, s’il doit y avoir cinéma, doit être une réflexion supplémentaire, une réflexion critique sur ce qui a été écrit pour essayer de faire en mieux – et le « mieux » appartient au secret de mes propres réflexions – ce que j’ai déjà fait. Si on prend Jennie, peut-être que l’opportunité me sera donnée de faire un film, je l’ignore et j’ai quand même de grands doutes par rapport à ça, mais si cela était, ce serait pour moi l’occasion de réanalyser, de repenser, de relire ça avec la même distance – je vais vous faire sauter au plafond quand je vais dire ça – que Picasso quand il fait les Ménines de Velazquez. Pour moi, le cinéma et la littérature, je reprends la formule de Mallarmé à propos de la danse et de la poésie, s’éclairent – non, s’allument, c’est encore plus joli, de reflets réciproques. Pour moi, d’une façon ou d’une autre, l’un et l’autre sont toujours de l’écriture.
Je pensais au cinéma pas seulement parce que vous en faites mais aussi parce que la fin du roman fait penser à Bonnie and Clyde. Est-ce volontaire ?
Je n’y avais pas pensé, mais pourquoi pas ? J’aurais dû y penser, mais il aurait fallu développer et prolonger plus que je ne le fais l’histoire de Jennie et de Quincy.
Ce sera pour le film…
Ce sera pour le film, oui. En revanche, il y a une chose à laquelle j’ai pensé, c’est le film de Cimino, Voyage au bout de l’enfer. Parce que, au début du film, on voit une équipe travailler en usine, puis il y a une très longue scène de mariage, de fête, sans que les personnages soient réellement distincts. Et j’avais en tête, en écrivant Jennie, de commencer là aussi en plan très large par une multitude de personnages parmi lesquels Jennie était un parmi d’autres, et puis, petit à petit, scène après scène, de m’approcher d’elle jusqu’au moment où elle ne serait que le personnage du livre. Comme quoi il faut entendre les leçons du cinéma… Mais, pour le film, je penserai à Bonnie and Clyde.

(1) Arte, le vendredi 28 septembre à 22h20.

jeudi 12 janvier 2012

Gérard Mordillat dénonce la collusion entre la politique et le capital

Au milieu des grands conflits sociaux engendrés par la mondialisation, Gérard Mordillat convoque les forces de la nature. Un cataclysme ne vient jamais seul. Comme Les vivants et les morts et Notre part des ténèbres, Rouge dans la brume est traversé par une tempête qui semble renforcer la colère de Carvin et de ses collègues sur le point de perdre leur emploi. Rentable, performante, soutenue par des fonds publics, la Méka va fermer et être délocalisée en Serbie, l’usine démantelée et les machines transportées par camions jusqu’à Novi Sad. Rentabilité, le seul souci de ses propriétaires…
Mais Carvin, ouvrier cultivé, a construit sa colonne vertébrale idéologique sur, entre autres textes, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 – ce n’est pas la plus connue. Il en cite volontiers les articles 33, 34 et 35 qui légitiment, en particulier le dernier, les méthodes de sa lutte: «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.» 
Un pas plus loin que l’indignation de Stéphane Hessel, Carvin est un opposant radical à la collusion entre le pouvoir politique et le grand capital – pour le dire vite et de manière un peu caricaturale. Mais Gérard Mordillat ne craint pas les positions tranchées, dont il tire profit pour donner à son roman une énergie débordante.
Occupation d’usine, séquestration de dirigeants, revendications sur les primes et les reclassements, menaces de destruction de l’outil de travail, regroupement des forces avec les ouvriers d’autres entreprises en difficulté, tout est mis en pratique dans une dramatisation reposant sur une tension croissante. «Je crois qu’on ne sera jamais assez révoltés», dit Carvin. Qui l’est pourtant, à lui seul, suffisamment pour entraîner ses camarades.
La directrice des ressources humaines de la Méka, séduite par l’homme encore plus que par ses théories, elle le prouve, leur emboîte le pas. Elle ne sera pas la dernière à faire le coup de poing quand il le faudra.
Cela bouillonne, parfois presque trop. Mais, dans la veine d’un roman social que Zola n’aurait pas reniée, Gérard Mordillat confirme qu’il est un formidable feuilletoniste capable d’accrocher un lecteur prêt à tout croire pour aller jusqu’au bout du livre.