Au milieu des grands conflits sociaux engendrés par la mondialisation, Gérard Mordillat convoque les forces de la nature. Un cataclysme ne vient jamais seul. Comme Les vivants et les morts et Notre part des ténèbres, Rouge dans la brume est traversé par une tempête qui semble renforcer la colère de Carvin et de ses collègues sur le point de perdre leur emploi. Rentable, performante, soutenue par des fonds publics, la Méka va fermer et être délocalisée en Serbie, l’usine démantelée et les machines transportées par camions jusqu’à Novi Sad. Rentabilité, le seul souci de ses propriétaires…
Mais Carvin, ouvrier cultivé, a construit sa colonne vertébrale idéologique sur, entre autres textes, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 – ce n’est pas la plus connue. Il en cite volontiers les articles 33, 34 et 35 qui légitiment, en particulier le dernier, les méthodes de sa lutte: «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.»
Un pas plus loin que l’indignation de Stéphane Hessel, Carvin est un opposant radical à la collusion entre le pouvoir politique et le grand capital – pour le dire vite et de manière un peu caricaturale. Mais Gérard Mordillat ne craint pas les positions tranchées, dont il tire profit pour donner à son roman une énergie débordante.
Occupation d’usine, séquestration de dirigeants, revendications sur les primes et les reclassements, menaces de destruction de l’outil de travail, regroupement des forces avec les ouvriers d’autres entreprises en difficulté, tout est mis en pratique dans une dramatisation reposant sur une tension croissante. «Je crois qu’on ne sera jamais assez révoltés», dit Carvin. Qui l’est pourtant, à lui seul, suffisamment pour entraîner ses camarades.
La directrice des ressources humaines de la Méka, séduite par l’homme encore plus que par ses théories, elle le prouve, leur emboîte le pas. Elle ne sera pas la dernière à faire le coup de poing quand il le faudra.
Cela bouillonne, parfois presque trop. Mais, dans la veine d’un roman social que Zola n’aurait pas reniée, Gérard Mordillat confirme qu’il est un formidable feuilletoniste capable d’accrocher un lecteur prêt à tout croire pour aller jusqu’au bout du livre.
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