Personnellement, ce que j'aime, à Domrémy-la-Pucelle, c'est un agréable petit bistrot où il m'est arrivé de boire d'excellentes bières belges - mais je ne sais pas s'il existe encore. Rien que pour cela, je trouve ce village adorable. Quant à Jeanne, 600 ans et toute son aura, je la laisse à ceux qui se revendiquent d'elle, qu'ils s'appellent Nicolas Sarkozy ou Jean-Marie Le Pen secondé par sa fille. Les femmes guerrières, très peu pour moi. Les hommes non plus, d'ailleurs, qu'on ne vienne pas m'accuser de sexisme! D'ailleurs, les cours d'Histoire que j'ai subis tout au long de mes études, ponctués de dates de batailles et de couronnements, ne m'ont pas laissé de grands souvenirs. Mes professeurs, sympathiques mais peu curieux, ne se nourrissaient que de manuels déjà obsolètes - et j'étais réfractaire à cette becquée. Genre anorexique. Plus tard, des historiens envisageant les choses sous des angles plus humains m'ont un peu réconcilié avec cette discipline, mais il était sans doute trop tard pour effacer les traces inscrites en moi par Alexandre Dumas...
Jeanne d'Arc, donc, tous les jours à la télé pour célébrer la légende, le mythe, la belle aventure courageuse et illuminée, vous en pensez quoi? Si j'étais Jeanne d'Arc, je le serais tendance François Reynaert, dont on réédite en poche le salutaire Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises.
Sept cents pages, ou presque, il n'en fallait pas moins pour faire la peau à des clichés qui ont la vie dure. Puisqu'ils constituent, après tout, le roman national d'une France très à l'aise encore dans les manuels poussiéreux. Mais l'épopée n'a que des rapports lointains avec la réalité, même si Max Gallo semble ne jamais s'en être aperçu.
A propos de Jeanne d'Arc, donc, puisque c'est elle qui m'amène à ce livre, François Reynaert rapporte une évidence qui le conduit immédiatement à une question: "Tout le monde sait combien Jeanne d’Arc est célèbre. Qui se demande quels dégâts peut produire cette célébrité?"
Il s'en tient d'abord à la version officielle, celle que tout le monde, même les cancres des cours d'Histoire, connaît à peu près. Inutile d'y revenir, sinon pour rappeler qu'après tout, ce sont les Bourguignons qui la font prisonnière et la vendent aux Anglais. Au passage, l'auteur ne peut quand même s'empêcher de noter qu'elle était "un chef de bande comme il y en a tant en cette période de guerre civile."
Puis vient l'élaboration de la légende, au XIXe siècle. "Elle est l'héroïne rêvée d'une époque hystérisée par la construction de l'identité nationale". Détails révélateurs à l'appui, jusqu'à nos jours de célébration.
Ce qu'on sait moins, et que François Reynaert prend le soin de nous apprendre (si nécessaire, car il y avait, si, si, des élèves qui suivaient le cours d'Histoire, même à mon époque), c'est que Jeanne n'était pas seule sur le terrain et que d'autres, pucelles ou non, auraient pu s'inscrire dans les mémoires. Si elle n'avait pas manœuvré habilement (elle n'était probablement pas idiote, la petiote!) pour occuper toute la place.
Voyez Catherine de La Rochelle, qui entend des voix et se met en route pour aller parler au roi. Malheureusement pour Catherine, Jeanne l'a précédée en femme qui parlait à l'oreille des rois, et est envoyée à sa rencontre pour la jauger. Elle est spécialiste, après tout. "Jeanne déclarera évidemment sa rivale complètement folle et appuiera son jugement sur des critères indiscutables: ce sont sainte Catherine et sainte Marguerite, à qui elle a posé la question, qui l'en ont assurée."
L'anecdote est belle. Un peu moins glorieuse que le mythe, bien sûr. Il en va souvent ainsi avec les mythes: frottez-les assez longtemps, et au lieu de se mettre à briller plus fort, ils révèlent que leur éclat reposait seulement sur un plaquage doré qui ne résiste pas à l'examen.
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