mardi 3 janvier 2012

Lectures de janvier 1912 (3)

Neel Doff,
André Beaunier,
Abel Hermant,
Jean Schlumberger

D’autres livres trouvent grâce, ou matière à discussion, aux yeux des chroniqueurs.
Pour ouvrir 1912, le 1er janvier dans L’Aurore, Paul Duprey conseille de lire Jours de famine et de détresse, de Neel Doff, paru l’année dernière chez Fasquelle, « un livre d’amertume et de vérité. » Le journal de Keetje a frappé le critique : « Les tableaux, sans lien apparent, semblent naître d’un effort de sa mémoire. On en doit louer la simplicité absolue  le style sans artifice, parfois, par des tournures étrangères, fait l’effet d’une excellente traduction. »
Emile Bergerat, qui publie ses Souvenirs d’un enfant de Paris depuis l’année dernière, aussi chez Fasquelle, vient de donner une suite aux Années de bohème. Philippe-Emmanuel Glaser se montre, dans Le Figaro, séduit par La phase critique de la critique. « Emile Bergerat est un merveilleux journaliste : il a le don de la jeunesse éternelle, il vivifie tout ce qu’il touche  et, avec une bonhomie souriante, il nous rend les boulevards, les cafés, les théâtres, tout le Paris d’autrefois  il ressuscite les grands morts : les Paul Arène, les Glatigny, les Armand Silvestre, les Rops, les Monselet, les Vallès  d’un coup de baguette magique, il rajeunit les grands vivants, comme Anatole France, et les replace dans le cadre de leurs premières années, de leurs premiers succès. »
Camille Vettard, dans La Nouvelle Revue Française, a remarqué un roman publié chez Plon par un collaborateur du Figaro. André Beaunier dédie à Paul Bourget L’homme qui a perdu son moi, né d’un « double état d’émotivité religieuse et de désenchantement intellectualiste. » Et explique son « dessein abstrait » dans la dédicace : la science vaut moins que la croyance. Puis il lui donne forme humaine, à travers le personnage d’« un jeune savant de génie qui abandonne tout pour la science ». Jusqu’au moment où il prend conscience de s’être fourvoyé. « A la fin, cependant, Michel Bedée reconnaît son erreur, il la proclame […] ». Il n’a pas échappé au critique qu’« une thèse préexiste à l’œuvre », et il le regrette puisque le résultat est un « livre obscur et inégal. » Tout n’est pourtant pas à jeter dans L’homme qui a perdu son moi : « les belles pages – voyez notamment celles qui ont trait à Spinoza et à la vie monastique de Bedée à Rijnsburg – les pages fines, fortes, profondes, abondent. »
Abel Hermant est un autre écrivain en vogue, et publie Les renards (Michaud). « Rien de plus amusant », écrit V.-Paul Duprey dans L’Aurore, que ces portraits où l’on croit reconnaître l’un et où l’on découvre, l’instant d’après, les traits de caractère d’un autre. « C’est presque un chef-d’œuvre d’allusion et d’ironie », conclut le critique. Dans Le Journal des débats, V. loue « le don tout spécial de pince-sans-rire qui caractérise le talent de M. Abel Hermant […] un moraliste qui sait voir et qui sait peindre les mœurs et les travers de son temps, et qui garde à sa façon la véritable tradition de l’esprit français. » Rachilde, constatant dans Le Mercure de France que ce livre ressemble furieusement à la réalité, félicite « l’auteur de ses brillants exercices de prestidigitation. Plus il va et plus il nous étonne par l’élégance de son doigté. […] Un pays qui s’égare n’est jamais perdu quand il lui reste de pareils conservateurs pour ses fiches anthropométriques. »
Puisque nous avons ouvert cette revue de presse de janvier 1912 avec un livre paru à la Nouvelle Revue Française, jeune maison promise à un bel avenir, terminons de la même manière, comme Rachilde, dont il vient d’être question, y engage, à propos de L’inquiète paternité, de Jean Schlumberger, dans Le Mercure de France – mais brièvement et sans insister : « Le roman, tout en dialogue, est curieux par la façon dont on est amené à en découvrir la psychologie. » Paul Souday est plus prolixe dans Le Temps puisqu’il consacre l’intégralité d’une de ses chroniques à l’ouvrage. « C’est un jeune écrivain d’un talent déjà vigoureux, d’un esprit original et chercheur. Son défaut, très sympathique chez un jeune homme, et qui résulte d’une louable haine de la banalité, consiste à se fier avec trop de complaisance à ce prestige de l’obscur, dont Montaigne, Nietzsche, M. Maurice Barrès et M. Emile Faguet ont finement parlé. » Souday trouve le livre un peu trop sec, péchant par « excès de concision. On est tenté d’analyser sa pensée avec plus de développement qu’il n’en a mis lui-même à l’indiquer. » De quoi méditer, sans doute, sur la relativité des expériences éternelles. Mais pas assez pour remuer profondément le lecteur.

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