Jean-Claude Fignolé, auteur d'une bonne douzaine d'ouvrages, a aussi été une figure active de la vie sociale et politique à Haïti, où il était né en 1941. Il vient de mourir à 76 ans. On se souviendra notamment du dernier livre qu'il avait publié, son sixième roman, Une heure pour l'éternité.
En 1802, le général Leclerc, à
qui Bonaparte a donné sa sœur Pauline en mariage, contraint
Toussaint-Louverture à se rendre. Saint-Domingue rentre dans le rang. Pas pour
longtemps, mais c’est une autre histoire. Jean-Claude Fignolé, écrivain
haïtien, au premier rang des intellectuels de son pays, s’arrête dans Une heure pour l’éternité à l’agonie de
Leclerc, mort à trente ans l’année même de sa victoire, le 1er
novembre. Il a été vaincu par un ennemi plus terrible que les hommes, la fièvre
jaune. Sa dernière heure dure plus de quatre cents pages et remonte parfois
loin en arrière dans le temps…
Dans son délire, Victor
Emmanuel Leclerc tient une longue conversation avec son meilleur ennemi, auquel
il a fait face quelques mois auparavant. Toussaint-Louverture n’est pourtant
plus là puisqu’il a été exilé en France. Mais son fantôme est bien présent, et
capable d’opposer à Leclerc des arguments contradictoires. On suppose que le
militaire, qui croyait avoir la confiance de Bonaparte, débat surtout avec
lui-même et avec ses démons, ébranlant les certitudes les mieux ancrées dans sa
formation et sa carrière.
Tout est relu à la lumière de
la mort prochaine. Les erreurs, dont celle d’avoir laissé la vie à Toussaint
qui revient le hanter. Les trahisons, dont celle de Bonaparte par rapport aux
idéaux révolutionnaires depuis qu’il s’est rallié aux intérêts économiques.
Dont celle, surtout, de Pauline. Leclerc la savait volage – le mot est faible
–, il la découvre livrant des secrets à l’ennemi.
Pauline est une deuxième
narratrice, guère plus lucide que son mari, mais pour de tout autres raisons.
Tout entière conduite par la recherche du plaisir, elle est une parfaite
libertine qui aime séduire et aller jusqu’au bout de ses désirs. La relation
incestueuse avec son frère, Bonaparte en personne, ne l’empêche pas de rester
la frondeuse de la famille, une autre forte tête. L’éloigner par peur du
scandale a été un des objectifs du Premier Consul en nommant Leclerc à la tête
de l’armée qui doit reconquérir Saint-Domingue. Mais elle s’est remise à ses
jeux érotiques dès la traversée, et les poursuit sur l’île, découvrant même
l’extase dans ses relations avec un Noir. Découvrant, presque en même temps,
l’horreur d’une guerre qui ne dit pas tout à fait son nom et dans laquelle tous
les moyens sont bons pour écraser l’adversaire. Pas tout à fait lucide mais
presque, Pauline prend ainsi la mesure de la cruauté que n’encourage ni ne
décourage son époux. Et se met à le détester franchement…
Une troisième narratrice, voix
de la raison résignée, a aussi sa place dans le roman : Oriana, souvent
appelée Nana, est la camériste de Pauline et la gouvernante de son fils,
Dermide. Témoin des frasques de Pauline, qu’elle organise parfois à contrecœur,
Oriana est en quelque sorte la gardienne de valeurs disparues, celle qui peut
faire, en son for intérieur, tous les commentaires – et celle qui,
probablement, se rapproche le plus du romancier.
Car, s’agissant de Leclerc et de Pauline, Jean-Claude Fignolé les laisse à leurs propres obsessions. Ce qui donne à son livre tressé de trois discours parfois contradictoires une sorte de subjectivité éclatée, à travers laquelle apparaît une vérité floue – mais dont il faut bien se contenter. Le privilège du roman est de poser, sur un moment de l’Histoire, une grille de lecture dont chacun fait, en somme, ce qu’il veut. Et c’est très bien ainsi.
Car, s’agissant de Leclerc et de Pauline, Jean-Claude Fignolé les laisse à leurs propres obsessions. Ce qui donne à son livre tressé de trois discours parfois contradictoires une sorte de subjectivité éclatée, à travers laquelle apparaît une vérité floue – mais dont il faut bien se contenter. Le privilège du roman est de poser, sur un moment de l’Histoire, une grille de lecture dont chacun fait, en somme, ce qu’il veut. Et c’est très bien ainsi.
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