Deux nouveaux titres de la collection Bibliothèque 1914-1918, à la Bibliothèque malgache, sont disponibles depuis ce matin. Voici le premier, on parlera demain de l'autre.
Le 12 décembre 1917, les membres de l’Académie Goncourt se réunissent pour attribuer leur prix annuel. L’année précédente, on a couronné Le feu, d’Henri Barbusse. Cette fois, les ouvrages consacrés à la guerre restant les plus en vue, Jean Giraudoux est dans la course avec Lectures pour une ombre. Mais l’auteur des Provinciales (1909) a déjà reçu, raconte Pierre Assouline dans Du côté de chez Drouant, un autre prix d’une valeur de 25 000 francs – le Goncourt « vaut » 5 000 francs. Faut-il quand même le couronner ? Oui, pensent trois jurés qui, au quatrième tour de scrutin, lui donneront encore leurs voix. Mais ils sont six à se rassembler en faveur d’Henry Malherbe dont La flamme au poing remporte donc le prix Goncourt cette année-là. Au grand dépit de quelques journalistes pour qui la quasi-absence, dans les débats, de Vie des martyrs, le premier roman de Georges Duhamel, est incompréhensible. Cet écrivain l’obtiendra d’ailleurs l’année suivante avec Civilisation. Ce ne sera jamais le cas, en revanche, de Jean Giraudoux. Qui, pour se consoler, n’aura eu droit qu’au nouveau prix littéraire dit « des cinq cent mille francs », dont la singularité consiste à ne rien donner au lauréat – cette récompense ayant surtout pour objectif de dénoncer l’inflation des dotations dans le milieu littéraire.
Lectures pour une ombre est cependant bien accueilli dans Le Temps où, c’est l’ironie de la chose, officie Henry Malherbe. L’auteur de l’article (paru une dizaine de jours après le Goncourt et signé P. S.) est admiratif :
« Ces Lectures pour une ombre, ce sont bien des récits de campagne, mais on n’en connaissait point encore de ce style. C’est mieux que la guerre en dentelles ou en gants blancs, c’est la guerre en tenue de tous les jours, la guerre accueillie avec une sorte d’indifférence polie et narquoise, comme un incident un peu gros auquel il faut bien assister et prendre part, mais sans lui permettre de nous émouvoir ni surtout de rien changer à nos habitudes d’esprit. Pas de grands mots, pas de grands gestes, pas de drame ! Le stoïcisme en quelque sorte mondain de M. Jean Giraudoux met son point d’honneur à éviter toute manifestation inutile et à ne manquer sous aucun prétexte aux règles du savoir-vivre. »
Il modère cependant son propos :
« Rien n’est moins banal assurément que cette façon correcte et distante de tout présenter comme très ordinaire. Sans doute, il peut y avoir aussi un inconvénient. Trop de simplicité finit par tourner au maniérisme. C’est aussi un procédé que de mettre tout au même plan, de tout estomper et atténuer, d’insister sur les arbres au point d’empêcher de voir la forêt, de traiter par prétérition des choses capitales, par exemple de nous révéler par hasard et indirectement qu’on a pris un drapeau ennemi, parce qu’il faut bien mentionner la déception des hommes à qui celui qui fut chargé de le déposer aux Invalides a oublié de rapporter les journaux. Mais ce sont là des défauts qui ne sont pas communs. Au surplus, l’émotion et la ferveur patriotique percent malgré tout, dans quelques courtes phrases que leur effacement voulu ne fait que rendre plus frappantes. Le tact et le bon goût, même avec un peu trop de scrupules, même avec quelque affectation, si l’on veut, n’excluent pas l’héroïsme. »
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