Le dixième roman de Pierre Assouline, Golem, s’ouvre par
une question anodine qui, si on y prête attention, se révèle pleine de
sens : « Quand fond la neige où va le blanc ? » Il faudra
attendre la dernière ligne pour le savoir, après des détours dont la géographie
reproduit, sur une carte d’Europe, les coups d’un problème d’échecs dessiné par
Samuel Beckett au dos d’un manuscrit.
Gustave Meyer est un maître de ce jeu. Imprévisible, doté
d’une mémoire phénoménale que son « ami » le Docteur Klapman, a
encore augmentée sans le prévenir, il est soupçonné d’avoir tué son épouse. Sa
fuite est le moteur d’un livre passionnant et intelligent, bourré
d’informations inattendues qui, toutes, servent le récit.
Vous aimez découvrir
des domaines que vous ne connaissiez pas. On suppose que la maîtrise
scientifique du cerveau ne vous était pas familière avant d’écrire Golem…
Je m’intéresse depuis
quelque temps au transhumanisme, à des choses comme ça, et ça s’est fait
progressivement. Je ne suis pas du tout un scientifique, donc ça m’a obligé,
avec un grand plaisir, à me documenter, à aller voir des tas de gens, à aller
dans des hôpitaux, à assister à des opérations. J’aime l’apprentissage permanent.
En fait
d’apprentissage, il s’agit d’une sorte d’apprenti-sorcier. Le Docteur Klapman a
un côté Frankenstein, non ?
C’est-à-dire que le
Golem historique, si je puis dire, celui de la légende, est la matrice de tous
les robots, de tous les Frankenstein. Frankenstein de Mary Shelley doit beaucoup au Golem de Prague. Toute créature plus
ou moins artificielle créée par l’homme, à son image mais avec des capacités
exceptionnelles, doit au Golem de Prague.
Le Golem, qui donne
son titre au roman, en a-t-il été le point de départ ?
La plupart de mes
livres sont des obsessions, des choses qui me hantent depuis très longtemps. Le
Golem de Prague, c’est d’une part le livre de Gustav Meyrink, que j’avais lu,
que j’ai relu, et puis les deux films : celui de Paul Wegener, que j’avais
vu au cinéclub de France 3 il y a très longtemps, et celui de Julien Duvivier.
J’avais assisté, il n’y a pas longtemps, à un cycle de conférences sur la
Kabbale, qui m’a beaucoup intéressé. Tout ça a fait un faisceau qui m’a amené à
me replonger dans le Golem, sans me poser de questions. C’est venu
naturellement.
Gustave Meyer, le
personnage principal, est obsédé par Rothko, par un air de musique, par le
destin des Juifs d’Europe. Transposez-vous vos obsessions chez lui ?
Oui, mais je ne suis
pas obsessionnel au sens pathologique. Je suis extrêmement attaché à la musique
et chaque roman a une bande originale qui n’est pas anodine. De même pour
Rothko. Je voulais que mon héros soit associé à un peintre et je me suis rendu
compte après que Rothko avait un destin lié à l’Europe centrale. Mais toutes
ces choses viennent spontanément et c’est après coup, quand je relis, ou quand
c’est publié, que je me dis : c’est évident !
Pourquoi avoir fait
de Gustave Meyer un joueur d’échecs ?
Je ne réfléchis pas
beaucoup… Je joue aux échecs depuis très longtemps. Ca me plaisait que ce soit
un joueur d’échecs parce que je voulais en faire un solitaire. Mon roman est
très marqué par la relecture de Kafka, Le procès, surtout. Le début du livre, c’est l’homme qu’on vient arrêter sans
lui dire pourquoi. L’histoire du Procès,
c’est un châtiment à la recherche de sa faute. Il y a de ça chez mon
personnage : il est virtuellement condamné, on veut l’arrêter, il ne
comprend pas pourquoi.
Golem est écrit avec une allégresse plus grande que vos précédents
romans. Avez-vous eu l’impression d’un état de grâce en y travaillant ?
Allégresse,
certainement, car je prends un immense plaisir à construire et à écrire. Etat
de grâce, oui, mais à chaque livre, et c’est fugace. Pour Golem, je l’ai peut-être connu en faisant des
repérages à Prague, dans la synagogue Vienne-Nouvelle en priant un soir de
chabatt. J’ai regardé le plafond, en direction du grenier tandis que des
loubavitch psalmodiaient et j’ai « senti » que le Golem était
toujours là, prisonnier là-haut…
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