Erik Orsenna a un peu honte, écrit-il, d’être académicien « donc cofabricant de dictionnaire »
et de n’avoir appris que récemment le mot « gentilé », « qui désigne l’habitant d’une ville »
(ou d’un village, d’un pays, d’un continent, voire même d’un quartier, cher
Erik – il faut fréquenter davantage Alain Rey, ou regarder Des chiffres et des lettres). Bref, le gentilé de Château-Thierry
est Castelthéodoricien. « On imagine
le rire du fabuliste ainsi lourdement affublé », ajoute-t-il, puisqu’il
écrit cela dans son La Fontaine, une école buissonnière, et que, comme chacun le sait, Jean de La Fontaine est
né à Château-Thierry.
Du coup, se réjouissant d’avoir découvert un mot qui sonne clair,
il le replace dès qu’il en a l’occasion. Voici les Castelthéodoriciens qui
racontent le duel de principe entre La Fontaine et son ami André Poignant, qui
est le cousin, le confident et l’amant de sa femme Marie, ce dont tout le monde
semble s’accommoder fort bien. Voici « notre
Castelthéodoricien » qui pratique la flatterie comme Orsenna lui-même,
autrefois – « aux temps
mitterrandiens où j’étais courtisan ». On n’oublie pas la famille
castelthéodoricienne de La Fontaine, dont il faut de temps à autre aller voir
ce qu’elle devient pendant qu’il écrit ses Contes
ou ses Fables. Quatre occurrences d’un
mot qu’on n’a guère, sauf peut-être, et encore, à Château-Thierry, l’occasion
de placer dans la conversation. Bien joué !
Le plaisir d’un mot, le plaisir de vagabonder, mais à toute
allure, dans une biographie d’écrivain, le plaisir de le citer et de faire
découvrir des textes moins connus autant que de rappeler des mélodies verbales
rangées dans un coin du cerveau, plaisir, plaisir, seul aux commandes d’un
livre qui ne se pousse pas du col. L’anecdote y est puisée aux XVIIe et XXe
siècles avec des rapprochements inattendus, car si l’on vivait autrement à l’époque
de La Fontaine, le cœur des hommes (et des femmes) n’a guère changé.
Ce qui reste, en particulier, c’est le désir, que La
Fontaine ne se privait, pas plus que Marie, de combler. Ce qui change, c’est la
condition des écrivains, même si tous ne sont pas, aujourd’hui, aussi heureux
en affaires qu’Orsenna, dont les livres se vendent bien, merci pour lui. Mais
quand bien même les Fables et les Contes, qu’il fallut, ceux-ci, renier
parce qu’ils étaient trop lestes pour le climat religieux, auraient été de
grands succès, qu’ils n’auraient pas permis à La Fontaine d’en vivre. D’ailleurs,
le succès était là, au moins pour les Fables,
mais il « n’engraissa que les deux
libraires » qui les ont fait paraître. Les droits d’auteur n’existaient
pas, il faudra attendre Beaumarchais et le siècle suivant pour les inventer. Et
La Fontaine, quand il prend parti pour son ami Fouquet contre Colbert qui veut
la chute de celui-ci, et qui par ailleurs tient les cordons de nombreuses
bourses dont le contenu aurait pu soulager le quotidien du poète, oublie la
flatterie pour l’honnêteté. Ce qui coûte cher. Il est hébergé par une amie, qui
meurt. Il est à la rue… Imagine-t-on cela d’un homme dont les vers nous sont si
familiers ?
Encore dit-on souvent, sans savoir, que La Fontaine s’est
contenté de piller ceux qui, avant lui, avaient écrit des fables. Le plagiaire
est plutôt celui qui, répétant assez bêtement cette idée reçue, devient
calomniateur : La Fontaine payait ses dettes, celles-là au moins, puisqu’il
restituait la paternité de son inspiration aux écrivains chez qui il l’avait
trouvée. Et puis, surtout, il écrivait,
avec la force qu’on lui connaît, avec l’art de plaire et de convaincre à la
fois, comme de nombreux exemples le rappellent, s’il en était besoin.
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