dimanche 13 août 2017

Une seule vie ne suffit pas

Combien de fois les ténèbres s’abattent-elles sur Ursula Todd dans le roman de Kate Atkinson, Une vie après l’autre ? Combien de fois, pour le dire autrement, meurt-elle ? Nous n’avons pas compté. Mais bien des chapitres se terminent ainsi et chacun donne une fin à l’héroïne. L’une d’elle se produit en 1910 dans les premiers instants après sa naissance, ce qui aurait dû lui interdire, et à nous aussi, de connaître les événements ultérieurs. La première, si l’on respecte l’organisation d’un récit éclaté, est une des plus spectaculaires car Ursula n’est pas loin de modifier la marche du monde : en novembre 1930, elle se présente dans un café munichois, s’installe à une table où se trouve aussi Hitler, qu’elle a pu connaître dans d’autres circonstances, et sort de son sac un revolver pour l’abattre – mais elle est elle-même mise en joue, et : « Les ténèbres s’abattirent. »
Dans un premier temps, c’est déroutant. Chaque fois qu’Ursula se trouve dans une situation concrète, pense telle chose, accomplit tel acte, rencontre de nouvelles connaissances ou renoue avec certaines personnes, en Allemagne parfois, en Angleterre souvent, elle est aussi ailleurs, pense et fait autre chose, avec d’autres personnes, etc. Des faits sont à la fois simultanés et contradictoires, ou au moins incompatibles avec une partie de la chronologie.
Dans un deuxième temps, qui se prolonge pendant la plus grande partie du roman, c’est fascinant. On se perd avec délices et on se raccroche comme on peut aux branches d’un récit qui semble partir dans tous les sens avec, quand même, une multitude de passerelles entre les destins divergents d’Ursula.
Vers la fin, on aura même l’impression d’avoir tout compris, en partie grâce à un chapitre intitulé, avec une discrète ironie, « La fin du commencement ». Probablement se trompe-on : il est impossible de tout saisir ici, tant le jeu de Kate Atkinson est subtil et complexe. Elle a parfois mis son goût pour les fausses pistes au service d’énigmes résolues par le détective Jackson Brodie (La souris bleue ou Parti tôt, pris mon chien). Cette fois, aucun enquêteur ne nous guidera dans le dédale. A chacun d’y trouver son chemin.
Ce roman, traduit en 2015 et maintenant disponible au format de poche, a une suite, ou plus exactement un complément, paru cette année : L’homme est un dieu en ruine où Teddy, le frère d’Ursula, raconte à sa manière, et cette fois d’une seule manière, ce que connurent les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale – et avant, et longtemps après, car Teddy aura une longue vie. Engagé à vingt ans dans l’aviation, devenu pilote de bombardier, il ne mourra qu’en 2012. Au moment où son corps n’est plus, en effet, qu’une ruine.

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