jeudi 26 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Jean-Marie Blas de Roblès

Jean-Marie Blas de Roblès, qui longtemps était resté silencieux, a été (re)découvert en 2008, avec Là où les tigres sont chez eux, qui avait reçu le prix Médicis. Son retour s'est moins fait attendre, avec un roman il est vrai beaucoup plus mince - 600 pages de moins. Mais non moins fascinant...

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, La Montagne de minuit. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Elle le devrait, puisque ce nombre signifie qu’il est strictement impossible pour qui que ce soit de lire l’intégralité de ce qui paraît en septembre. Libraires, critiques, amoureux de la littérature sont donc obligés de faire un choix drastique, si bien qu’un cinquième seulement de ces ouvrages auront la chance d’être lus et de faire leur chemin. Lorsque j’écris, toutefois, la seule chose qui compte c’est d’aboutir au livre, à l’objet imprimé, au meuble fini, ciré, lustré dans ses moindres recoins. Je ne pense ni à un lecteur particulier, ni à l’ensemble de ceux qui pourraient s’intéresser à ce que je fais, mais au livre que j’aurais moi-même envie de lire; en me disant, certes un peu naïvement, que s’il me plaît à moi, il pourra captiver d’autres lecteurs. Cela s’arrête là. Dans un monde où des milliers de manuscrits sont refusés chaque année, le simple fait d’être publié est un privilège suffisant.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

Je suis parti de deux anecdotes qu’on m’avait racontées en me les donnant pour des histoires vécues; j’en avais noté autrefois le synopsis dans mes carnets. Vérifications faites, l’une, celle de Rose et de sa mère, était authentique; l’autre, celle de Bastien et des brigades tibétaines, s’est révélée fausse. Fausse et pernicieuse... D’où ma réflexion sur les limites de la fiction par rapport à la réalité. Ou une certaine réalité, en tout cas.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Très honnêtement, je n’en sais rien. Parmi mes auteurs préférés, on trouve aussi bien Flaubert, Borges, que Huysmans où Malcom Lowry, par exemple, des univers très différents qui me fascinent et m’instruisent sans constituer pour autant des modèles à suivre. Durant mes années d’études, on m’a répété mille et une fois que pour espérer être soi-même, il fallait assimiler plutôt qu’imiter ou emprunter; je crois avoir retenu la leçon et m’efforce de l’appliquer.

« S’il y a quelque chose de pire que la religion, c’est le mythe», écrit Rose à Paul. Est-ce aussi votre opinion ?

Dit rapidement, les mythes sont des fables qui donnent du sens à l’absurdité apparente du monde et proposent les règles de conduite, les valeurs correctes à observer par tel ou tel groupe social pour continuer à exister. Dans le meilleur des cas, ces fables fonctionnent comme des contes philosophiques dont on doit tirer la morale appropriée, dans le pire – c’est le plus courant – comme autant d’illustrations d’une vérité transcendante que les hommes doivent observer sous peine de disparaître.
Rose fait allusion au conspirationisme ambiant, c’est-à-dire aux théories déraisonnables qui prétendent expliquer le malaise du monde contemporain en l’attribuant à un vaste complot ourdi par quelques-uns. Ces fables modernes fonctionnent comme autant de mythes, elles donnent un sens au malaise de notre civilisation en désignant des boucs émissaires, rassurent à bon compte, soudent de larges communautés qui se perçoivent comme victimes d’une minorité arrogante et intouchable. Elles réactivent la croyance en une vérité cachée par des instances pernicieuses, entretiennent le soupçon généralisé, la certitude d’une machination diabolique. En désignant nommément des responsables, elles préparent un nouveau sacrifice expiatoire. «On ne croit plus aux machinations des divinités homériques, auxquelles on imputait les péripéties de la Guerre de Troie, souligne Karl R. Popper. Mais ce sont les Sages de Sion, les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes qui ont pris la place des dieux de l’Olympe homérique.»
Nous n’avons nul besoin des dieux pour essayer de construire un monde viable. On a pu espérer que leur disparition, malgré quelques adhérences ici ou là, permettrait de passer à un véritable projet humaniste, mais ce n’est pas le cas. Gagnée de haute lutte sur des siècles de peurs instinctives, la lucidité qui procède de la raison et de l’esprit scientifique reste si difficile à affronter qu’elle laisse le champ libre à toutes les croyances. Là où les religions traditionnelles ont su évoluer, canaliser le besoin de transcendance, libérer la foi du mythe au point que celle-ci fait aujourd’hui bon ménage avec la connaissance scientifique, les mythes modernes se réancrent dans l’irrationnel le plus archaïque: s’ils me semblent «pires que les religions», c’est parce qu’ils sont obtus et guerriers, parce qu’ils ont la puissance aveugle de l’obscurantisme.

mercredi 25 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Xavier Hanotte

Quinze ans se sont passés depuis Manière noire, le premier roman de Xavier Hanotte. Depuis, il explore un univers personnel bâti à mesure que les livres s'ajoutent les uns aux autres. Ce qu'on appelle une œuvre, en somme. Avec, pour le lecteur habitué à la fréquenter, sa part de surprise à chaque fois - en particulier cette fois-ci. Et, pour celui qui découvre, l'occasion d'aborder des rivages inconnus.

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, Des feux fragiles dans la nuit qui vient. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

J'écris par besoin, par pente naturelle, avec l'envie d'en savoir plus sur moi-même et sur le monde dans lequel je trace ma route, vaille que vaille. De mon point de vue, le reste est donc accessoire, une sorte de bonus improbable, et comme je n'ai jamais rêvé de vivre de ma plume et encore moins d'être connu (ça devient une profession, paraît-il), franchement, je me fiche pas mal du nombre de livres qui peuvent sortir en rentrée ou hors rentrée. De plus en plus, je crois qu'un livre sincère rencontre toujours son public, en dehors des battages de tous ordres. Dieu merci, le succès n'a rien d'impératif tant qu'un éditeur vous suit. Et comme je n'en ai jamais changé...

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

Le point de départ du roman? Il remonte à si loin que je ne le distingue plus très nettement. La première idée m'en est venue il y a plus de vingt ans, quand je n'imaginais pas encore écrire, tant la chose me paraissait relever de l'arrogance. En fait, j'avais fini par croire qu'il ne sortirait jamais de ma boîte à rêves, ce bouquin. Car Des feux fragiles dans la nuit qui vient, c'est un peu la somme de mes petits mythes personnels. Le livre s'est donc bâti lentement, par strates, géologiquement pour ainsi dire. S'y mêlent - comme d'habitude - quantités de souvenirs personnels, du plus vague au plus précis. Il y a sans doute eu de longues nuits de caserne durant lesquelles, j'imagine, le personnage de Pierre Berthier a commencé à prendre consistance. Le chemin est souvent long...

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Pour moi, la lecture - comme l'écriture d'ailleurs - n'a jamais été une forme de divertissement, et moins encore une aimable distraction. Bref, lire, écrire - traduire, dans mon cas - c'est vivre plus, vivre mieux. Je suis donc aussi le produit de mes lectures comme d'autant d'expériences vécues. Alors prétendre que Le Rivage des Syrtes, Un balcon en forêt, de Gracq, Le Désert des Tartares de Buzzati ou Retour en Atlantide de Lampo - voire Un soir, un train d'André Delvaux - n'ont rien de commun avec ce roman n'aurait pas beaucoup de sens. La Bruyère l'a dit bien avant moi. «Depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent, etc.» Et pourtant, vraiment, Des feux fragiles, à mon avis, c'est tout autre chose...

L’adjudant Berthier est empli de certitudes autant que de doutes. Est-il, d’une certaine manière, un double de vous-même?

Bien plus de doutes que de certitudes! Les gens qui ne doutent pas, s'ils existent, sont terrifiants. Dans Des feux fragiles, en tout cas, ils le sont! Sans le doute, la création n'a aucun sens. Au contraire, elle s'en nourrit. Donc oui, plus que le reconnaître, je le revendique: Pierre Berthier, s'il n'est pas mon porte-parole (auquel cas il ne vivrait pas), me ressemble assez... En tout cas j'aimerais bien.

mardi 24 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Christophe Ghislain

Premier roman pour Christophe Ghislain, lâché d'emblée dans le grand bain (celui de la rentrée littéraire). Une belle occasion, pour tous ceux qui se demandent comment ça se passe, comment on arrive là, d'éclaircir les chemins tortueux de l'édition, quand on n'est ni une vedette de la télévision ni un écrivain déjà confirmé...

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, La colère du rhinocéros. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Non. Pas vraiment. Vu de l’extérieur, ça peut sembler flippant. Vous, vous découvrez ce texte aujourd’hui, comme s’il venait de naître, comme si tout était encore à faire pour le gentil joli bébé rose – ce qui est le cas, d’une certaine façon. Pour moi, qui vis l’aventure depuis le début, c’est-à-dire depuis la conception du projet, c’est totalement différent. Des combats, ce rhinocéros et moi, on en a mené! Comme tous les auteurs, me direz-vous. Mais au final, peu importe. Moi, je sais juste mon parcours. Les années de doutes et les espoirs qu’on ose à peine formuler, la sueur, l’exaltation du lundi suivie de la déprime du mardi, sans même savoir si cette danse folle mènera quelque part. Je me souviens de ce jour. L’envoi du manuscrit, posté d’un geste ému, sans savoir une fois de plus – sera-t-il seulement lu? L’attente et les réponses, merci d’avoir pensé à nous mais non merci, et je vous passe le reste. Tout ce qui, durant près de quatre ans, a séparé l’écriture de la première ligne de ce coup de fil, un des plus beaux de ma vie: oui! Une femme, à l’autre bout du fil, elle a cet accent parisien et elle dit oui. Je ne connaissais personne. Ni dans le monde de l’édition, ni même pour me dire si j’étais dans le bon, avec ce texte. Je m’étais lancé simplement parce que je voulais écrire ce roman, et que c’était une raison suffisante… et enfin oui. Ça n’a rien de très original. Des paquets d’auteurs ont vécu ces choses-là. Mais pour moi, à partir de là, le reste c’est du bonus. Les ventes et les articles et les salons et je ne sais quoi. Que du bonus. Je ne vais pas vous mentir: si le rhino rencontre le succès, tant mieux! Je suis preneur! Mais de mon point de vue, j’ai déjà gagné. Mon roman est publié. Et il sera lu. (Ne serait-ce que par mes voisins.) Des milliers d’autres personnes n’ont pas eu cette chance. Quant aux 699 autres romans de la rentrée… je ne sais pas… bonne chance, j’imagine.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

L’accident de voiture. La bagnole à l’arrêt, déglinguée, après avoir percuté un rhinocéros endormi sur la route. C’était ça, mon point de départ. La première image. Le premier plan, à vrai dire. A l’époque, j’étais étudiant dans une école de cinéma. Il fallait avoir des idées, sans cesse, pour un scénario, un film, une pub, une émission de télé, une pièce de théâtre, un autre scénario ou un autre film. Ce plan m’est venu, et autour de lui quelques bribes. Gibraltar. Son père. La vieille et ses putes. Ça tenait en une page. Les prémisses de ce qui allait devenir La Colère du rhinocéros. Je n’avais jamais écrit de texte littéraire à proprement parler, mais quelques ateliers scénarios s’approchaient de la nouvelle, et je me suis dit «c’est ça!». J’ai vite pensé à écrire. Je ne savais pas quand. Je ne savais pas quoi. Mais ce plan et ces bribes, je les ai gardées pour moi, pendant deux ans, sans trop savoir dans quel but, et à la fin de mes études je les ai déterrés et j’ai tout repris à zéro.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Impossible de faire autrement, à moins de vivre sur Mars. Avant d’être écrivain, je suis lecteur. Et forcément je suis influencé. Mais non, je n’essaye en aucun cas de pomper ceux que j’admire. Au contraire! (Ces gens, je les trouve tellement bons, je me sentirais bien ridicule d’aller jouer sur leur terrain.)
Si vous voulez des noms, en voilà :
John Irving. Le monde selon Garp. La première fois – je devais avoir dix-huit ans –, j’en ai lu cinquante pages, puis j’ai refermé le bouquin pour l’oublier une année entière, avant de l’ouvrir à nouveau. Et je ne l’ai plus lâché. Depuis, d’autres ont pris le relais : McCarthy, Harrison, Steinbeck, Bukowski, Dickens, Easton Ellis, Garcia Marquez, McCann, Cervantès, Rimbaud, Vian, Salinger, Capote, Baricco, Fante, Süskind et j’en oublie… (J’ai une mémoire de poisson rouge.) Sinon, j’ai beaucoup aimé Les aventures de Oui Oui.
Pourtant, quand j’écris, je ne lis presque plus. Mon propre texte occupe toute la place dans la case littérature de mon cerveau. Donc quand j’arrête, en fin de journée ou de matinée ou de soirée, j’ai envie de tout, sauf d’un bouquin. Quitter une page pour en retrouver une autre, au secours! Il y a le monde, autour! La vie, quoi! J’ai surtout envie de sortir de chez moi et de prendre l’air, de voir des amis, de respirer, de prendre ma corde et d’aller grimper. Un peu de vent dans les cheveux, bon sang! Et puis, s’il m’arrivait de lire un roman trop secouant, il pourrait avoir un impact sur mon travail en cours. Il y a déjà assez de doutes et de remises en question. Et, pour écrire, j’ai besoin d’être à 120% dans l’histoire, avec les personnages. Alors durant ces périodes, d’un point de vue littéraire, je vis dans une bulle. Aucune autre histoire, aucun autre personnage! Je me colle un panneau sens interdit sur le front, et ne veux plus rien savoir! Par contre, en-dehors de ces périodes, je lis beaucoup. Je me nourris.

Le projet du père de Gibraltar, «amener la mer à Trois-Plaines», est-il celui d’un fou ou d’un doux rêveur?

Je ne sais pas. Au lecteur de choisir. Si certains vous répondront ceci ou cela, d’autres y verront un peu des deux. En ce qui me concerne, je serais plutôt d’accord avec ces derniers. Se contenter de dire qu’Arthur est un fou, ou un rêveur, me semble assez réducteur. Il est tout ça, et d’autres choses encore. Quant à son projet… je le trouve d’une grande beauté, et terrible à la fois.

lundi 23 août 2010

"Zone", de Mathias Enard, en poche

On l’a beaucoup dit à sa sortie: Zone, le troisième roman de Mathias Enard, présente une particularité typographique inhabituelle. Pas de points pour finir les phrases dans un texte pourtant volumineux et découpé en chapitres. Ceux-ci s’ouvrent sans majuscules et ne se ferment pas. Le procédé n’est pas inédit, d’autres l’ont employé à plus ou moins bon escient. Est-ce une pose gratuite ou une nécessité? Une envie de dérouter le lecteur? On penche pour la nécessité: le long monologue intérieur ruminé par le narrateur se déroule pendant un trajet en train entre Milan et Rome. La phrase presque unique suit un rythme ferroviaire, avance au fil des kilomètres sans rompre le fil de la pensée – pensée soumise, bien entendu, aux digressions qui amènent d’un sujet à un autre.
Avant d’en venir à la matière même du livre, matière dense, liée à l’histoire récente de l’Europe et du Proche-Orient (celui-ci étant la Zone, au sens géographique), il faut quand même préciser que le temps du voyage est aboli à trois reprises, quand le personnage principal lit un livre de Rafaël Kahla, un Libanais qui raconte un épisode de combats à Beyrouth. Kahla fait des phrases «normales», avec des points et des paragraphes. Et son texte fait écho au récit principal.
Celui-ci, en effet, retrace une part de la vie de Francis Servain Mirković, l’homme qui est dans ce train et auquel le passeport donne une autre identité, Yvan Deroy, empruntée à un fou. Francis-Yvan a été combattant en Bosnie, une guerre pas toujours propre, puis il s’est mis à utiliser d’autres armes, non moins meurtrières, celles qu’on met à la disposition des espions. Il a accumulé des renseignements discréditant bien des acteurs de la politique et des guerres de la fin du 20e siècle. Aujourd’hui, après avoir pris beaucoup d’autres trains dans sa vie, après avoir aimé (peut-être) trois femmes dont il se souvient, il transporte une mallette où sont enfermés des secrets destinés à être vendus au Vatican qui, on l’imagine, les fera ensuite disparaître, s’ils arrivent à destination.
Les épisodes du passé se mêlent sans se confondre. Les nombreux personnages qui ont accompagné les années d’activité, et dont certains ont fait l’actualité, surgissent sans prévenir. On les suit dans les méandres d’une mémoire à laquelle aucun détail n’a échappé.
Plusieurs fois déjà le narrateur a failli disparaître à ses propres yeux, basculer dans l’absence: «j’étais un fantôme enfermé au royaume des Morts, condamné à errer sans jamais imprimer une pellicule photographique ou me refléter dans un miroir jusqu’à ce que je brise le sort», se disait-il déjà à Salonique. Pour en arriver à ce train: «je suis un fiancé de la Moire implacable alliée d’Hadès dans mon train grondant vers le néant, affublé du masque mortuaire d’Yvan Deroy le Fou, filant vers Rome et la fin du monde au milieu des collines toscanes invisibles en compagnie de voyageurs fantômes et de souvenirs de massacres dans ma valise».
Ces massacres débordent de la valise et de la mémoire. Ils remontent aussi plus loin dans le temps. Ce sont des dizaines de milliers de cadavres accumulés au cours de guerres interminables, des violences auxquelles renvoient des destins d’écrivains, des images de films – et l’implacable réalité historique. Assis dans le train, ou en route vers le bar pour y boire encore un gin, Francis ou Yvan parcourt des champs infinis jonchés de corps mutilés.
Un tour de force saisissant.

dimanche 22 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Claro

Le roman dont j'espérais le plus de bonheur dans cette rentrée ne m'a pas déçu. Claro donne une gifle dont l'effet dure longtemps. Si vous ne vous souvenez pas du Magicien d'Oz, c'est le moment d'y retourner, par le biais de cette version prolongée, approfondie, délirante, trop riche pour qu'il soit possible de la circonscrire en un article. (Et dire que j'en ai un à écrire, d'article, Claro, tu ne me simplifies pas la vie - merci.)

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, CosmoZ. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Ça fait vingt-quatre que j’écris, traduis et publie des livres, donc cette abondance m’est pour ainsi dire familière, même si c’est la première fois que je sors un livre en rentrée. Je pars du principe qu’il ne s’agit pas d’une compétition, qu’un livre met du temps à trouver, voire «fabriquer» son lectorat. L’effet de concurrence est un problème qui concerne avant tout l’éditeur et le service de presse; j’ai fait mon boulot, et à part «accompagner» mon livre, je ne vois aucune raison saine de penser que les autres livres menacent le mien. La rentrée littéraire, aussi massive soit-elle, ne se réduit pas à un marathon. Balzac disait que «la gloire est le soleil des morts» – un peu d’ombre me semble donc un sort enviable.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je…?

Au départ, il y des images du film Le Magicien d’Oz – le corps rouillé du Bonhomme en fer blanc, le corps désarticulé de l’Epouvantail, la Tornade qui progresse –, et ces images sont venues s’articuler sur le projet d’écrire une histoire chahutée de la première moitié du vingtième siècle, suite logique à un précédent ouvrage publié en 1997, Livre XIX, qui tentait d’embrasser le dix-neuvième siècle dans ses motifs et ses styles.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d’autres écrivains? Ou par d’autres artistes?

Quand on en est à son treizième livre, la question des influences est forcément plus diffuse, car les grandes écritures qu’on a aimées et pratiquées par la lecture ont eu le temps de décanter. La principale influence, je crois, c’est son propre style, dont il faut se méfier comme de la peste afin de ne pas se plagier de livre en livre.

Over the rainbow (la chanson la plus connue du film Le Magicien d’Oz, pour ceux qui n’auraient pas compris tout de suite): l’interprétation originale de Judy Garland, celle d’Amanda Lear ou une autre?

Il existe d’innombrables reprises de cette chanson qui, par ailleurs, a failli ne pas figurer dans la bande-son du film, les producteurs trouvant qu’elle ralentissait l’action et pouvait choquer (une jeune fille chantant dans une ferme au milieu des poules et des cochons…), mais ma version préférée reste une des premières prises faites par Judy Garland, dans laquelle elle doit s’interrompre parce qu’elle a mal posé sa voix et s’étrangle un peu au bout de quelques mesures. Elle demande alors si elle doit reprendre sur un tempo plus rapide. Sinon, j’aime beaucoup la version live de Rufus Wainwright, très glamour et désespérée.

samedi 21 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Bernard Quiriny

Bernard Quiriny était l'auteur de deux recueils de nouvelles, L'angoisse de la première phrase (2005) et Contes carnivores (2008, réédition en poche dans quelques jours). Les magazines Chronic'art et le Magazine littéraire publient ses articles. Il passe au roman, avec un thème politique. Les femmes ont pris le pouvoir dans le Benelux et exercent une véritable dictature sur un territoire qu'une délégation française est invitée à visiter...

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, Les assoiffées. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Même au milieu de 700 livres, on est si content d’avoir la confiance d’un éditeur qu’on se croit seul au monde. Et peu importe le moment, en fait: le livre est là, qui veut le lire le pourra, maintenant ou plus tard.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

Pour autant que je me souvienne, un reportage du magazine «Strip-tease» sur une délégation d’élus belges en voyage officiel en Corée du Nord. Cela s’intitulait, je crois, Une délégation de très haut-niveau. Plus lointainement, diverses lectures sur l’URSS sous Staline, ainsi qu’un essai de François Hourmant sur les voyages d’intellectuels dans les pays communistes. Et l’arrivée de Haddock et Tournesol au San Theodoros dans Tintin chez les Picaros.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Oui pour les nouvelles, pas vraiment pour ce roman. Même si j’aimerais pouvoir me réclamer de Will Self pour l’idée et de Philippe Muray pour, disons, l’ironie.

J’imagine bien que vous vous en prenez au pouvoir plutôt qu’aux femmes. Mais quand même, pourquoi avoir choisi les femmes pour conduire cette révolution?

En effet, j’aurais pu écrire le même roman avec des fondamentalistes religieux, une secte millénariste, des écologistes fanatiques, des néo-bolcheviques quelconques, etc. Sur le principe, ça aurait fonctionné. Mais, allez savoir pourquoi, les féministes radicales m’inspiraient davantage, de même que le Benelux était à mon sens un meilleur décor que la Suisse ou Monaco. Pourquoi? Je n’en sais rien: bizarreries de l’imagination, mystères du sens de l’humour. J’ai découvert récemment que dans un registre vaguement similaire, Robert Merle avait déjà imaginé une dictature féministe dans un roman de 1974, Les hommes protégés. Chez lui, c’était en Amérique. S’il avait été belge…

vendredi 20 août 2010

"Mais le fleuve tuera l'homme blanc", de Patrick Besson, en poche

Mais le fleuve tuera l'homme blanc est un roman qui a du corps. Patrick Besson lorgne du côté du roman d’espionnage et place, au cœur d' une intrigue complexe, le Rwanda et son histoire récente. La gravité de celle-ci n’empêche pas l’écrivain de céder parfois à son goût pour les bons mots. «Trois morts et deux enlèvements: on aurait dit le titre d’une comédie policière anglaise.» Heureusement: certains chapitres ressemblent davantage, et sans humour cette fois, à des leçons de géopolitique assénées avec conviction par ceux qui les prononcent. Comme il y en a plusieurs dans le livre, et de différentes sources, elles pourront se révéler contradictoires. Mais, sans contradictions, y aurait-il encore des conflits puisque tout le monde serait d’accord?
En classe affaires d’un vol Paris-Brazzaville, assis à côté d’un conseiller de présidents africains, un homme du pétrole observe une femme qu’il a reconnue avant même d’embarquer: Blandine de Kergalec, dont le nom a fait la une des journaux en 1985 pour des raisons que nous découvrirons plus tard. A son arrivée dans la capitale africaine, l’ancienne espionne est prise en filature par le narrateur des premières pages. Par désœuvrement ou dans un but précis? Patrick Besson ne joue pas cartes sur table. Dans la nuit de Brazzaville, il se contente de pousser paresseusement quelques pièces, enjeu encore dérisoire d’une partie qui prendra de l’ampleur.
Il en profite au passage pour égrener avec légèreté quelques réflexions générales. «La nuit, en Afrique équatoriale, manque de délicatesse. Elle s’affale sur les habitants comme un cheval, avec le pet de la coupure d’électricité.» Ou, sur les Européens qui arrivent en Afrique: «De blancs, ils deviennent blafards. Ils ont les yeux perdus. Leurs cheveux pointent comme des cornes de diable. Leur dos se courbe sous le poids de la misère environnante que les politiques internationales successives de développement n’ont fait que développer.»
Ne nous attardons pas plus longtemps que le romancier. Quelques pages plus loin, le pétrolier pénètre aux Rapides, un restaurant-dancing au bord du fleuve, sur les pas de Blandine de Kergalec, non sans avoir pris soin d’embarquer une jeune femme qui attendait près de l’entrée. Quelle meilleure couverture, pour un «moundélé» (un Blanc), qu’une probable prostituée?
Aux Rapides, deux nouveaux personnages entrent en scène: Tessy, l’Africaine à qui le narrateur a demandé de l’accompagner, et Joshua, un Tutsi selon toute apparence, avec lequel l’ancienne espionne semblait avoir rendez-vous. Quelques éléments sont en place. Pas tous. La partie continue.
Patrick Besson marche sur les traces de John Le Carré – plutôt que sur celles de Gérard de Villiers. Son pétrolier a lu les deux, il y repense en retrouvant Bernard Lemaire, le conseiller de l’avion, quand celui-ci lui présente Elena Petrova, une Russe qui est restée au Congo pendant toutes les guerres. Il n’est pas certain que John Le Carré aurait gardé, s’il avait écrit ce livre, la litanie de dates qui ponctuent d’épisodes violents les années récentes du pays.
Mais le fleuve tuera l’homme blanc souffre parfois – et même souvent – d’un excès de documentation. Certes, il s’inscrit dans le cadre d’événements précis, dont beaucoup sont authentiques. Était-il pour autant indispensable de les exposer dans tous leurs détails? En avions-nous besoin? Patrick Besson s’est laissé déborder par ce qu’il avait envie de dire et n’a pas vraiment dominé le matériau, très riche il est vrai, dont il disposait.
Ce n’est pourtant là qu’un reproche mineur. Car il a aussi accompli d’énormes efforts pour ne jamais lâcher le fil de son récit. On ne le lâche pas non plus. Ou plutôt: on s’accroche à tous les bouts de fil qui dépassent. Ils sont nombreux, dans une pelote qui semble longtemps inextricable. L’intrigue se démultiplie au fur et à mesure que nous apprenons à mieux connaître les personnages qui se croisent et dont le passé expliquera toujours, mais pas tout de suite, le présent.
Mais le fleuve tuera l’homme blanc aurait pu être un très grand livre. Il s’agit quand même d’un excellent roman, et ce n’est pas rien.

mardi 17 août 2010

Le prix du roman de la Fnac à Sofi Oksanen

Je vous avais donné, la semaine dernière, la sélection de la Fnac pour son prix du roman 2010. Voilà, le verdict est tombé: il s'agit de Purge, premier roman traduit en français de Sofi Oksanen, qui écrit en finnois.
Ce n'aurait pas été mon choix, mais il est mieux que respectable. J'ai lu ce livre, excellent. Il possède, outre ses qualités littéraires, la particularité de nous faire découvrir une région que nous sommes probablement peu nombreux à connaître (et que pour ma part je ne connaissais pas du tout), l'Estonie occidentale, à travers un récit qui traverse quelques décennies particulièrement complexes sur le plan politique - et complexes, surtout, pour les personnages qui ont vécu l'époque.
Comme Purge sort seulement le 25 août, je n'en dis pas plus pour l'instant, j'y reviendrai le moment venu.
Mais la saison des prix n'est pas encore vraiment ouverte qu'elle commence déjà bien. Chic!

lundi 16 août 2010

Rentrée littéraire : ma règle du jeu

La semaine dernière, l'avant-garde des romans de la rentrée se pointait en librairie. Mais c'est surtout à partir de cette semaine que débarque le gros de la troupe. Et les semaines suivantes, jusque fin et septembre et début octobre, au moment où déjà le milieu parisien grouillera de rumeurs à propos des prix littéraires. (En fait, cela grouille probablement déjà, mais je n'ai rien entendu...)
Cette année, je vais tenter d'obtenir, des auteurs qui publient dans la rentrée, des réponses aux questions que je me pose - et que vous vous posez aussi, je l'espère. Romanciers français ou de langue française, romanciers traduits, ils auront tous la parole.
Du moins - première règle - ceux que j'ai lu. Je me refuse à aborder un roman que j'aurais seulement survolé, ou sur lequel je me serais contenté de lire des articles. Il n'y aura donc pas tout le monde, mais un choix.
Deuxième règle: les premières questions seront les mêmes pour chaque écrivain interrogé, seule la dernière sera adaptée au contenu du roman.
Comme il n'y a pas de troisième règle, voici les questions communes.

- Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, [titre du livre]. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

- Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

- Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

J'espère recevoir les premières réponses cette semaine. Et vous serez, bien entendu, les premiers avertis.

jeudi 12 août 2010

Traduit du norvégien, pour ouvrir la rentrée

Dans la grande série des auteurs noirs venus du Nord (on aura compris que je ne parle pas de la couleur de leur peau), dont Stieg Larsson est depuis quatre ans l'incontestable vedette (attention: Millenium 1: Les hommes qui n'aimaient pas les femmes sort en poche le 1er septembre, ruée prévisible), voici un nom nouveau, Levi Henriksen, par ailleurs parolier et musicien rock populaire dans son pays, la Norvège. Son premier roman, Du sang sur la neige, qui nous arrive (aujourd'hui) en français, a reçu le prix des Libraires. Il n'est pas tout frais, puisqu'il date de 2004 en langue originale - mais le froid conserve, c'est bien connu.
Dommage que le titre soit si banal, comme si l'éditeur avait voulu gommer toute la poésie de la version norvégienne: Snø vil falle over snø som har falt, avouez que ça sonne autrement, avec ses répétitions. En traduction Google (une fois les fautes d'orthographes corrigées), cela donne: La neige va tomber sur la neige qui est tombée. Moins banal, non? A modifier pour une version intelligible, mais on voit l'idée - pour le reste, ce n'est pas mon boulot!
Heureusement, toute cette neige et le froid entêtant qui l'accompagne sont le décor d'un roman épatant - je n'aurais pas voulu ouvrir la rentrée avec un livre insignifiant, je veille à ma réputation!
Dan Kaspersen, récemment sorti de prison où il a été enfermé pour un trafic de drogue dont il ne semble pas être le principal responsable, est de retour chez lui. Où tout se défait. Son frère s'est suicidé. Un vieil homme riche a été cambriolé et tabassé. La police lui tourne autour. Il a le profil idéal du coupable. Et, dans la tête, de multiples questions sans réponses. Il aurait mieux fait de suivre sa première impulsion: ne repasser à Skogli que pour faire ses valises et partir loin. Au lieu de quoi il s'incruste dans une sorte d'immobilité - immobilité coupable, forcément coupable, aux yeux de tous. Ou presque.
Oui, il y a Du sang sur la neige. Mais il y a surtout la neige qui recouvre les traces et empêche de comprendre tout de suite ce qui se passe. On avance donc dans une sorte de brouillard presque solide, on se fraie un chemin vers, peut-être, la lumière.

mercredi 11 août 2010

Demain, c'est la rentrée ! 701 romans, et moi et moi et moi...

Oui, c'est déjà demain. Les premiers romans de la rentrée sont en partance vers vos librairies préférées - s'ils n'y sont pas déjà arrivés. Je lis, je lis, avec l'impression d'avoir à peine commencé et d'être en route pour nulle part. 701 romans, et moi et moi et moi...
Je n'ai pas encore les moyens de vous proposer une sélection de mes livres préférés, il y en a trop qui me tentent et que je n'ai pas encore eu le temps d'ouvrir.
A défaut, et en guise d'amuse-bouche, voici donc la sélection opérée par les libraires et les adhérents de la Fnac - 500 libraires et 400 adhérents, cela fait du monde. Ils choisiront, aux environs du 20 août, leur prix du roman - que Yannick Haenel avait reçu l'an dernier pour son très controversé Jan Karski.

Sélection commune aux adhérents et aux libraires
Savoir perdre, David Trueba (Flammarion)
Où j’ai laissé mon âme, Jérôme Ferrari (Actes Sud)
Jours d’enfance, Michel Heyns (Philippe Rey)
Purge, Sofi Oksanen (Stock)

Sélection des libraires
L’art du contresens, Vincent Eggericx (Verdier)
Le sel, Jean-Baptiste Del Amo (Gallimard)
Que font les rennes après noël ?, Olivia Rosenthal (Verticale)
Soufi mon amour, Elif Shafak (Phébus)
La malédiction des colombes, Louise Erdrich (Albin Michel)
De lait et de miel, Jean Mattern (Sabine Wespieser)
Les jardins statuaires, Jacques Abeilles (Attila)
La fortune de Sila, Fabrice Humbert (Le Passage)
Rosa Candida, Audur Ava Olafsdottir (Zulma)
Cosmoz, Claro (Actes sud)
Sanctuaires ardents, Katherine Mosby (La Table ronde)
Les trois saisons de la rage, Victor Cohen Hadria (Albin Michel)
Ouragan, Laurent Gaudé (Actes Sud)
Nagasaki, Eric Faye (Stock)
Requiem pour Lola rouge, Pierre Ducrozet (Grasset)

Sélection des adhérents
Vivement l’avenir, Marie-Sabine Roger (Rouergue)
Qu’as-tu fait de tes frères ?, Claude Arnaud (Grasset)
Le troisième jour, Chochana Boukhobza (Denoël)
Ta mère, Bernardo Carvhalo (Métaillé)
Salaam la France, Bernard du Boucheron (Gallimard)
Celles qui attendent, Fatou Diome (Flammarion)
Le cœur régulier, Olivier Adam (L’Olivier)
Dans la nuit brune, Agnès Desarthe (L’Olivier)
Le wagon, Arnaud Rykner (Rouergue)
Fils d’Héliopolis, James Scudamore (10/18)
Parle leur de batailles, de roi et d’éléphants, Mathias Enard (Actes sud)

jeudi 5 août 2010

En été, les BD de l'automne

Pour patienter avant la rentrée romanesque, dont des magazines (comme Lire) ont publié des extraits comme des quotidiens s'apprêtent à le faire, retrouvons la vieille habitude du feuilleton avec la bande dessinée, dont quelques pépites à paraître plus tard dans l'année sont déjà présentes dans la presse. J'en retiens trois, d'un très haut niveau de qualité. La plupart du temps, il faut acheter la version papier pour bénéficier de ces avant-premières, mais cela en vaut la peine.

D'abord, dans Libération, la nouvelle œuvre de Jacques Tardi, La position du tireur couché, d'après le roman éponyme de Jean-Patrick Manchette. Celui-ci avait été le scénariste de Griffu, une bande dessinée parue aussi en feuilleton, dans le magazine grand format BD - titre simple, titre idéal. Je me souviens de l'avoir acheté chaque semaine en le guettant avec impatience, de peur de rater une livraison. Manchette n'est plus là, bien que ses Romans noirs se lisent avec autant de plaisir qu'autrefois. Tardi ne l'a pas oublié et, après avoir adapté Le petit bleu de la côte ouest, reprend donc cette histoire d'un tueur à gages où Martin Terrier est un formidable personnage cynique et inquiétant, au destin tracé dans un monde violent.
L'album paraîtra le 9 novembre et, comme je n'en ai pas encore trouvé la couverture, je vous en propose une case en illustration.

Autre album très attendu, la vingtième aventure de Blake et Mortimer, ce classique de la ligne claire. Jean Van Hamme, au scénario, et Antoine Aubin, au dessin, prolongent la vie des héros d'Edgar P. Jacobs, comme l'avait déjà fait Bob de Moor avant de passer la main à différents dessinateurs qui se sont succédé en tentant de ne pas altérer l'esprit si particulier et so british de la série.
La malédiction des trente deniers, tome 2: La porte d'Orphée, replace donc le célèbre duo face à leur ennemi de toujours, Olrik. Celui-ci se prépare, au quatrième jour et à la huitième planche en prépublication dans Le Monde, à leur jouer un tour à sa façon.
Selon l'expression consacrée, vous en saurez davantage avec l'épisode suivant...
L'ouvrage sera disponible le 26 novembre seulement, pourquoi attendre jusque-là alors que vous pouvez découvrir la bande dessinée dès maintenant?

Enfin, le quatrième volume de Blacksad: L'enfer, le silence est aussi en vue (parution le 17 septembre). Juanjo Guardino a trouvé, avec le scénariste Juan Diaz Canales, une occasion de relancer, cinq ans après, son chat détective sur une piste inédite, du côté de la Nouvelle-Orléans. Comme je n'en ai encore lu que quelques pages, voici un extrait de l'article de L'Express où paraît cette bande dessinée.
Jusqu'à présent, le décor de Blacksad était une métropole américaine vague, même si sa skyline ressemblait à s'y méprendre à celle de New York. "Canales tenait à ce que l'enquête se déroule dans le milieu du jazz à La Nouvelle-Orléans. Sans verser dans le fantastique, il avait envie d'y mettre une pincée de magie vaudoue. Au départ, j'étais un peu réticent à l'idée de devoir faire des recherches. Mais, entre gens têtus, on arrive à s'entendre." Février 2009, le casanier Guarnido part donc en repérage à La Nouvelle-Orléans. Il débarque en plein Mardi gras. "L'ambiance était incroyable, joyeuse et fêtarde. Je sais que les touristes ont plutôt une vision glauque de la ville, surtout depuis l'ouragan Katrina. La criminalité est élevée et les bandes sévissent dans certains quartiers, mais moi j'ai été happé par le carnaval. Et le style Hara Kiri du défilé m'a fait halluciner. Oncle Sam qui se fait défoncer sur la voie publique, c'est un aspect de l'Amérique que je ne connaissais pas."
Le même album, un régal si on aime le travail à l'aquarelle de Guardino, est publié jour après jour dans Le Soir. Un bel été de BD...

mardi 3 août 2010

Une semaine avec Françoise Sagan sur France Culture

Êtes-vous podcast ou n'êtes-vous pas podcast? Moi, c'est par périodes. J'avais tout annulé de ceux auxquels je m'étais abonné, non par manque d'intérêt mais par manque de temps. Vous avez essayé, vous, de lire et d'écouter en même temps? Lire et écouter sérieusement, je veux dire, sans rien perdre du livre ni de l'émission de radio? Je n'y arrive pas.
Mais je viens de rouvrir iTunes pour la série d'émissions sur Françoise Sagan qui a commencé hier sur France Culture et durera jusqu'à vendredi. Trois heures et demie chaque jour, soit... bon, faites le calcul. Soit, en tout cas, un bel ensemble de documents d'après ce dont je peux juger après avoir écouté la première journée.


Françoise Sagan, plus grave que prévu rend en effet justice à l'écrivain sans négliger le personnage - comment le pourrait-on? Le scandale (quel scandale?), l'alcool, la drogue, le jeu, la vitesse, ont fait de Françoise Sagan une icône négative et pourtant fascinante, une image derrière laquelle l'essentiel - ses livres, l'écriture, son monde de fiction - a souvent presque disparu. Ce n'est pas le cas ici, et je m'en réjouis.
Hier, j'ai donc retrouvé Françoise Sagan à travers des archives souvent émouvantes. Sa voix, son débit précipité (et de plus en plus au fil des années), sa modestie. Oui, sa modestie. Elle raconte la curieuse impression que lui faisaient ses conversations avec René Julliard, avant la parution de Bonjour tristesse. Il lui parlait comme à une grande personne - ce que j'étais, précise-t-elle. Après tout, elle avait 17 ans! Et elle possédait une belle lucidité. Pour preuve: ce qu'elle raconte dans les premiers entretiens ne varie guère avec le temps. D'où je conclus que la légende Sagan n'a pas été créée par elle-même, mais forgée de l'extérieur.
Il est vrai que son éditeur avait, au contraire d'elle-même, habilement joué sur la jeunesse de l'écrivaine. Il avait, de la même manière, "lancé" un peu plus tôt Françoise Mallet-Joris à 21 ans et, un peu plus tard, Minou Drouet, 7 ans! (J'espère qu'on ne va pas s'attarder sur le sujet, dit en substance et avec raison Jean-Marc Roberts dans la deuxième partie de l'édition.)
Archives dans la première heure, débat dans la deuxième, documentaire prolongé par une lecture commentée dans la dernière heure et demie, le menu est copieux. Et très digeste. Analyses et anecdotes sont mis en onde avec un goût très sûr où l'information n'interdit pas le plaisir. Jean-Claude Loiseau, qui a réalisé cette "Grande traversée" produite par Matthieu Garrigou-Lagrange, peut être salué comme il se doit. Si Françoise Sagan est un jour rééditée dans la Bibliothèque de la Pléiade, comme le souhaitent quelques intervenants, ce sera peut-être en partie grâce à lui.
C'est grâce à lui, en tout cas, que j'ai appris que Françoise Sagan avait écrit une chanson pour Johnny Hallyday. Et que j'ai entendu François-Marie Banier (oui, celui dont on parle beaucoup ces temps-ci) affirmer: "Les photos de Françoise Sagan sont d'immenses chefs-d'œuvre." Meilleures que les siennes, ajoute-t-il - ce qui, dans sa bouche, n'est pas un mince compliment.
Je termine en revenant au titre de la série d'émissions: Françoise Sagan, plus grave que prévu. Je l'avais compris, avant d'écouter, comme on dit: elle est vraiment grave, la Françoise! Peut-être y a-t-il de ça. Mais il y a surtout la gravité de son propos sous la légèreté des phrases. On parle bien, en effet, de littérature...

jeudi 29 juillet 2010

Relire Voltaire, ou plutôt le lire

L'hebdomadaire L'Express, cette semaine, est pour moi une madeleine proustienne, qui me renvoie à un autre temps et à un autre climat, à l'époque où je m'étais transformé en graphomane. Vivant, comme on dit, "de ma plume", j'écrivais des livres sur tous les sujets qu'une maison d'édition amie voulait bien porter sur un contrat. Je signais, je me documentais, je fournissais un manuscrit, le livre sortait - j'étais déjà passé à autre chose. Les thèmes abordés n'étaient pas chaque fois ceux sur lesquels j'avais envie de travailler, mais il fallait bien vivre. Il n'empêche que je suis assez fier d'avoir consacré des mois à préparer et à réaliser un petit Aide-mémoire Voltaire pour lequel j'ai lu, je crois, l'intégralité de l'œuvre. L'idée m'amusait - j'ai toujours aimé me placer face à des obligations pour me donner l'occasion de faire ce dont je rêvais. Et lire Voltaire, tout Voltaire, était bien un projet que j'avais longtemps caressé sans savoir comment je pourrais le mener à bien. Écrire ce livre m'en a donné l'occasion. Aujourd'hui encore, j'en éprouve une certaine satisfaction. Certes, l'ouvrage est épuisé depuis longtemps, il me semble d'ailleurs qu'il n'a pas été un succès. Il n'empêche: je suis surpris de le retrouver sur le marché de l'occasion, à des prix qui me semblent excessifs: 11€ à la Librairie du Cardinal à Villenave d'Ornon, 18€ chez Amazon ou même 21€ chez Chapitre.com. Je n'en ai plus un seul exemplaire et probablement n'aurai-je plus jamais l'occasion de le racheter.
Tout ceci pour dire que la couverture de L'Express avec son portrait de Voltaire a tout pour me réjouir. Même si, vous le comprendrez après tout ce que je vous ai raconté (au risque de vous ennuyer), j'ai eu le sourire un peu aigre en lisant, dans la présentation d'un entretien avec Charles Dantzig: "L'auteur du Dictionnaire égoïste de la littérature française (Grasset) a lu les œuvres de Voltaire, que plus personne ne lit." Plus personne? Vraiment? Et moi, alors? Mais, outre que Charles Dantzig n'est pas responsable de cette phrase, il ne dit sur Voltaire que des choses intelligentes - et mieux que moi. Notamment ceci, qui me semble résumer l'image approximative que nous avons de nombreux écrivains connus davantage par ouï-dire que par le rapport entretenu avec leurs textes: "Nous avons sculpté de Voltaire une statue qui ne lui ressemble pas."
Que faire donc pour retrouver un Voltaire authentique? Le lire, pardi! Je conseillerais volontiers de commencer par un de ses livres les plus excitants, et qui vient d'être réédité, son Dictionnaire philosophique, dans lequel j'ai eu le bonheur de replonger il y a peu. Croyez-moi: cela donne envie d'aller plus loin et de retrouver un sacré bonhomme, bien entendu farci de contradictions - le dossier de L'Express ne fait pas l'impasse sur celles-ci - mais susceptible de fournir bien des raisons de penser par soi-même. Le cadeau est inestimable.

mardi 27 juillet 2010

Tour de France: après le vélo, Raymond Dumay

J'ai longtemps cru que Raymond Dumay était l'auteur d'un seul livre, ou presque: un Guide du vin que je vendais par camions au rayon poche de la librairie où je travaillais dans les années soixante-dix. Oh! il avait aussi écrit sur les alcools et les jardins. Mais, n'ayant jamais, à l'époque, ouvert son ouvrage phare dont je me contentais d'encaisser le prix, je n'imaginais pas quelle était la culture de cet homme très fin, et combien je me régalerais plus tard d'autres textes sur lesquels Jean-Claude Pirotte a, ces dernières années, attiré l'attention.
Pour ceux qui seraient, depuis dimanche, orphelins du Tour de France et du duel à fleurets mouchetés que se sont livré Alberto Contador et Andy Schleck, voici quatre livres d'un coup, écrits par un Raymond Dumay qui profitait de ses étés pour courir la province au guidon d'un vélo... moteur baptisé Pégazou. Et, comme l'auteur, natif de Bourgogne.

Ma route de Bourgogne est sa première destination en 1948. Il connaît le coin, mais il est toujours prêt à se laisser aller au hasard des rencontres, à faire un détour pour fouiner dans les archives d'un chercheur méconnu, à cueillir des vers de poètes locaux. Et à boire le coup avec l'un ou l'autre. C'est un régal, qui appelle une suite.

En 1949, voici donc Raymond Dumay et Ma route d'Aquitaine. Toujours butinant entre passé et présent. Manquant Claude Roy, parti à Paris, mais trouvant chez lui Roger Vailland, de retour de Tchécoslovaquie - d'où Claude Roy lui enverra, un peu plus tard, un de ces poèmes qui ont fait de lui un écrivain majeur du 20ème siècle - majeur et pourtant si peu lu. Je profite de l'occasion pour citer quelques vers:
Très loin dans le dedans de mon écorce chaude,
Dans le noir embrouilli des veines et du sang,
Le poseur de questions tourne en rond, tourne et rôde,
Il veut savoir pourquoi tous ces gens, ces passants...
De quoi, j'espère, donner envie de lire à la fois Claude Roy et Raymond Dumay.

Ma route de Languedoc, en 1951, rappelle que le train, déjà chanté dans le volume précédent, est quand même le meilleur moyen de commencer un périple loin de Paris. Pour le poursuivre, bien entendu, sur Pégazou. Qui le conduit chez Jean Lebreau, écrivain bien oublié aujourd'hui mais qui mériterait peut-être, sous la houlette d'un excellent guide, une réhabilitation (je n'en sais rien, en fait, je dis ça à tout hasard, pour les curieux).
L'horizon du Languedoc est plus large qu'on pouvait le penser: nous partons, avec Monfreid, pour d'aventureux voyages dans le monde, de Bombay à Suez, de Djibouti aux Seychelles. Raymond Dumay conduit prudemment mais nous mène loin...

Pour une quatrième et dernière destination, en 1954, Ma route de Provence s'arrête sur le pont d'Avignon, point de départ d'une errance qui passe par Alphonse Daudet et son inévitable moulin, qui parle de Zola, d'André Suarès, de Pagnol, Cendrars, bien d'autres, et s'achève au pays de Giono et Bosco, avec une station au château de Sade.
Érudit sans prétention, Raymond Dumay est parfait dans son rôle et on regrette que le voyage s'arrête après ce quatrième volume...

dimanche 18 juillet 2010

Bernard Giraudeau, l'écrivain

Décidément, même une mort annoncée reste un choc, plus ou moins grand selon la proximité avec la personne qui disparaît. Mais la proximité peut avoir été créée par des lectures, même si on n'a jamais rencontré celle ou celui dont on vient d'apprendre la fin.
Je n'avais donc jamais rencontré Bernard Giraudeau. Je l'avais vu dans des films, comme tout le monde. Comme beaucoup, j'avais lu plusieurs de ses livres. Trois, pour être précis.
Dès le premier de ceux-ci, toute prévention envers la célébrité qui se fait passer pour écrivain avait disparu. C'était Les hommes à terre, où le marin qu'il était filait la métaphore le temps de cinq récits. Puis Les dames de nage, véritable roman, certes inspiré par les voyages de l'auteur, par ses relations avec les femmes et par l'amitié. Enfin, très récemment, Cher amour, ouvrage hybride et émouvant, entre la lettre qu'on envoie de loin et la douleur qu'on connaît de près.
Les trois livres m'ont impressionné. Ils sont aussi rêvés que réels. Et bien d'un écrivain, découvert sur le tard.
L'homme, en outre, devait être attachant. J'ai gardé le souvenir très vif d'une rencontre qu'avait faite avec lui un (ou une) journaliste de Libération, il y a peu - quelques semaines ou quelques mois. Il y disait, entre autres choses, car il était aussi question de ses projets, sa lutte contre le cancer, sa colère contre la maladie et les moments d'abattement. C'était terriblement vrai, comme ses livres, même quand ils sont de fiction.

mercredi 14 juillet 2010

Denis Podalydès : une "Voix off" prégnante

Encore un poche? Encore un poche! Mais pas un roman, cette fois...
Le texte et la voix se répondent et correspondent admirablement dans Voix off, sauf dans l’objet, puisque le livre était, dans son édition originale, accompagné d’un CD que ne reprend pas l'édition de poche. C’est une relation intime établie avec la littérature par Denis Podalydès, qui écrit: «Est-il, pour moi, lieu plus épargné, abri plus sûr, retraite plus paisible, qu’un studio d’enregistrement? Enfermé de toutes parts, encapitonné, assis devant le seul micro, à voix haute – sans effort de projection, dans le médium –, deux ou trois heures durant, je lis les pages d’un livre. Le monde est alors celui de ce livre. Le monde est dans le livre. Le monde est le livre.»
Profession de foi, conviction définitive, il y a de cela. Avec enthousiasme, avec un sens aigu d’une parole chargée de transmettre la beauté de l’écriture, avec aussi de nombreux exemples puisés dans la vie privée et publique. Les voix sont celles de la famille, elles font entendre Charles Denner ou Jacques Weber, Jean Vilar ou Michel Bouquet, beaucoup d’autres voix imprimées dans la mémoire, chacune unique, toutes au service de la même cause.
Il y a de la passion – passion contagieuse – dans la volonté affirmée par l’auteur de suivre ce chemin ardu, souvent parallèle (sans jamais les rejoindre) des carrières prestigieuses consacrées par le cinéma populaire. Denis Podalydès n’en dit aucun mal. Mais la Voix off ne s’expose pas, ne montre pas le visage de celui qui la porte. Est-ce une pratique plus pure? Seul le lecteur se pose la question. Elle n’est pas de mise dans ce texte amoureux.
Ici, même les ratés sont magnifiques. Les acteurs restent grands dans la défaite, dans la perte de leur texte, dans l’oubli d’un accessoire. On a, quand même, le droit d’en rire puisque, quand il raconte des scènes de ce genre, Denis Podalydès est irrésistiblement drôle.
Une tentative de roman surgit, vers la fin. Il est encore question de voix, celle de l’empoté. Un poème clôt l’ouvrage: Voix au jardin. Il y a une voix sans voix. «Ma voix». Celles des morts. Celles des vivants. Une symphonie miraculeuse où les mots se répondent sans cesse, circulent comme des êtres animés, trouvent à se loger dans des bouches qui les rendent plus forts, plus justes.
L’homme effacé du studio d’enregistrement (une situation plusieurs fois reprise au fil des chapitres) se livre tout entier. C’est une révélation. Celle d’une parfaite adéquation entre un projet et une pratique.
On l’aura compris: Voix off est un livre indispensable.

mardi 13 juillet 2010

Deux autres poches pour juillet: Claudie Gallay et Michel Faber

Puisque les livres de la rentrée, et pour cause, ne sont pas encore là, continuez à prendre patience avec des poches. En voici deux autres. Ils sont aussi différent que possible mais leurs qualités respectives les rapprochent pour en faire un excellent choix.

D'abord, un énorme succès - pas galvaudé, pour une fois: Les déferlantes, de Claudie Gallay.
Elle observe les oiseaux et aime les grandes vagues de la tempête – Les déferlantes. Sur fond de mer et de ciel, elle regarde aussi Lambert, qui est arrivé à La Hague il y a peu. Qui y est revenu, plutôt, comme on l’apprend petit à petit. Liquider le passé, et se souvenir de ses parents, de son frère morts dans le naufrage de leur bateau. La lumière du phare était peut-être éteinte volontairement, dit Lambert, de plus en plus certain de ce qu’il affirme. Mais pourquoi?
Dans la petite ville, tout le monde se connaît. Il n’est pas nécessaire de poser les questions pour imaginer les réponses non prononcées: le silence veille au milieu du paysage et des légendes attachées à cette terre. La narratrice, qui n’est pas originaire de La Hague et n’y séjourne que le temps de sa mission, quelques mois ou quelques années, est en manque d’amour. Celui qu’elle a aimé a laissé un vide. Lambert est arrivé. Est-ce pour cela qu’elle s’intéresse à lui, s’en rapproche? Ou pour la blessure qu’elle sent en lui?
Le ballet lent des hommes et des femmes se danse sur le rythme où la mer respire, et révèle ses secrets comme la marée laisse des objets sur la grève. Claudie Gallay laisse faire le temps qui adoucit le chagrin. Elle y met la précision d’un dessin longuement réfléchi, dans lequel tout est montré sans explications superflue. L’ampleur de son roman convient à cette démarche qui épouse la vie. Avec les déceptions et les enthousiasmes qui l’accompagnent.

Quant à Michel Faber, il fait tout pour surprendre agréablement dans Le cinquième évangile.
Un faux thriller ésotérique, et un vrai régal! Surfant en rigolant sans retenue sur la vague qui a déposé sur les rivages, après quelque calamiteux naufrage, des conteneurs entiers du Da Vinci Code et de ses succédanés, Michel Faber attaque fort: Theo Griepenkerl, universitaire canadien spécialiste de l’araméen, découvre neuf rouleaux de papyrus dans un musée de Mossoul ravagé par un attentat. Le seul témoignage manuscrit d’un contemporain du Christ. Rien de moins. Theo déchante un peu en traduisant le texte: il est ennuyeux comme la pluie. Il n’en reste pas moins une pièce majeure de l’histoire de la chrétienté. Mais il remet en cause quelques épisodes emblématiques des débuts. La crucifixion racontée par Malchus n’est pas tout à fait celle des Évangiles… Le livre de Theo fait un tabac. Et une multitude de mécontents. L’auteur passe de la gloire à la captivité, en moins de temps qu’il n’en faut pour écrire un best-seller.

lundi 12 juillet 2010

Vers la rentrée littéraire, en aveugle...

J'avais annoncé, sans trop réfléchir aux conséquences, et sur le coup d'une forte envie, la création d'une page où je voulais annoncer l'ensemble de la rentrée littéraire. Pour les raisons que j'ai déjà dites il y a deux jours, j'ai dû abandonner la mise à jour de cette page, que je comptais reprendre ce matin. Je l'ai d'ailleurs reprise. Et de nouveau abandonnée, à l'instant. Avec des regrets, mais sans espoir d'y revenir. J'aurais besoin d'y passer plusieurs journées pleines et j'ai préféré laisser parler mon désir de passer des heures dans les livres. Ceux de la rentrée, entre autres, parmi lesquels il en est quelques-uns dont j'attends beaucoup.
Je reviendrai donc sur ces livres au mois d'août, au fur et à mesure des arrivées en librairie.
Voici quand même déjà une couverture, choisie pas du tout au hasard. Dessous, il y a 484 grandes pages dans lesquelles je ne tarderai pas à plonger avec appétit.

dimanche 11 juillet 2010

Haïti et ses écrivains : une remise en perspective

Marianne, cette semaine, publie un reportage, encore un, sur les conséquences du tremblement de terre qui a secoué Haïti il y a six mois. La compassion est une affaire qui marche - et elle est nécessaire. Mais on ne peut pas s'en contenter et j'étais heureux de lire, hier, Haïti, une traversée littéraire, ouvrage terminé par Louis-Philippe Dalembert et Lyonel Trouillot très peu de temps après la catastrophe du 12 janvier, d'ailleurs dédié aux disparus et aux victimes.
Il est donc question de littérature. D'une littérature généralement mal connue, souvent à travers quelques clichés réducteurs. Elle s'écrit en plusieurs langues, le français et le créole essentiellement, mais aussi l'espagnol ou l'anglais. Elle est de l'intérieur ou de l'extérieur, et souvent les deux à la fois. Elle est liée à l'histoire complexe d'un pays dont toutes les souffrances n'ont pas toutes été provoquées par des cataclysmes naturels. Elle est riche d'auteurs qui refusent d'être rangés sous des étiquettes obsolètes.
Je pensais à Dany Laferrière et à son roman Je suis un écrivain japonais dont un extrait se trouve d'ailleurs dans l'anthologie qui occupe environ un tiers du volume - il y montrait comment il se sentait écrivain avant tout - en lisant ces lignes de Louis-Philippe Dalembert et Lyonel Trouillot, à propos des auteurs haïtiens tels qu'ils sont perçus, en opposition avec ce qu'ils sont:
Où qu'ils vivent, tous sont encore souvent, au cours de rencontres ou de colloques à l'étranger, sommés de décliner leur identité, de dire leur histoire, leur pays "en mille éclats brisés", pour reprendre les mots de Phelps. Et, où qu'ils vivent, tous commencent à en avoir assez du voyeurisme de l'Occident, de sa fâcheuse habitude à vouloir tout ethnographier. Bref, plus de strip-tease ni de danse du ventre, de tonton macoute ni de vaudou! A moins que cela ne soit imposé par la logique intérieure du texte, tous qu'ils soient du "dehors" ou du "dedans" ont envie de s'écrier: circulez, il n'y a rien à voir!
Historique et actuel, cet ouvrage remet les choses à leur vraie place. Il s'accompagne d'un CD d'archives sonores où les voix des écrivains nous parlent directement.
Il est tout simplement passionnant.

samedi 10 juillet 2010

Les librairies de Paola Calvetti et de Laurence Cossé

Je n'ai pas tenu la promesse faite il y a un mois, jour pour jour: proposer d'autres lectures de vacances en poche. Et je suis lâchement parti de mon côté - avec des livres, bien sûr. Désolé, j'avais simplement besoin de me reposer pour retrouver le cœur à l'ouvrage qui fait mon charme. Une partie de mon charme. Car j'ai bien d'autres atouts qui, que... enfin, sur lesquels je m'étendrai un autre jour.
Car je vous gardais bien au chaud une petite histoire comme je les aime, du genre qui conforte mes certitudes. Quand il s'agit de les ébranler, je suis souvent moins enthousiaste.
(Ici, une remarque préliminaire en forme de parenthèse, déjà ouverte, s'impose: n'ayant pas cultivé immodérément le goût des études, je dis souvent que j'ai tout appris dans les livres; je suis un livrodidacte à la manière de Topor qui se déclarait vélodidacte. Fin de la remarque préliminaire et, donc, de la parenthèse.)

Nous étions l'autre jour dans un restaurant italien où étaient présentés, sur la table, ces tout petits pains longs et fins que l'on grignote volontiers en attendant un plat. Vous voyez ce que je veux dire, des... euh... des... ben, impossible de retrouver leur nom que je connaissais, ou plutôt que j'avais connu. Nom que j'ai d'ailleurs reconnu immédiatement quand j'ai lu, peu de temps après, cette phrase:
- Comment me trouves-tu? dis-je, émiettant le gressin sur la table jaune d'œuf de la trattoria...
Ce livre-là ne m'a pas appris le nom du petit pain long et fin, mais il m'a quand même permis de remettre un mot sur la chose, et ce n'est pas rien.
J'étais à Milan pendant plus de 450 pages, avec Paola Calvetti et son roman, L'amour est à la lettre A. A dire vrai, j'y ai surtout passé du temps dans une librairie (plutôt que dans une trattoria). Emma a en effet fondé Rêves&Sortilèges, une librairie où n'entrent que des romans d'amours. Parfois gais, parfois tristes, et qui déclinent le sentiment sous toutes les formes, avec plus ou moins de bonheur. Je n'aurais peut-être pas fait exactement les mêmes choix qu'Emma pour garnir les rayons, mais j'ai été heureux de me balader quelques heures parmi eux.

Et l'histoire d'Emma m'a fait irrésistiblement penser à celle de Francesca, héroïne d'Au Bon Roman, de Laurence Cossé qui, voyez comme le hasard fait bien les choses et me replace sur les rails abandonnés il y a un mois, est aussi reparu récemment en poche.
Il s'agit là de créer une librairie idéale, précisément appelée Au Bon Roman, où n’entre rien de médiocre. Un idéal de lecteur, et un cauchemar pour les marchands de papier. Le projet de Francesca et Ivan, son complice dans l'aventure, suscite l’enthousiasme. Puis la haine. Le comité secret d’écrivains qui préside au choix du fonds subit des agressions physiques. La sélection du meilleur ne fait pas que des heureux. Laurence Cossé raconte l’histoire d’un enthousiasme concrétisé dans un lieu. Et l’enquête qui dévoile les petitesses des envieux. Un hymne à la grande littérature, une gifle aux empêcheurs de rêver, qui se lit comme un roman policier. Sans oublier une belle intrigue sentimentale.

La librairie est un lieu magique, comme tous les endroits, publics ou privés, bourrés de livres. Pour moi, du moins. Mais pour vous aussi, je l'espère.

jeudi 10 juin 2010

Deux romans pour les vacances

Alors, cette année, je prends quels livres pour partir en voyage? Tout ce que vous voudrez. Mais, en raison du côté pratique de leur faible encombrement, je vous conseille des poches. En voici deux. Il y en aura d'autres, bientôt.

En commençant par le premier roman traduit en français de l'Américaine Katherine Mosby, Sous le charme de Lillian Dawes - il y en aura un autre à la rentrée, je l'espère aussi bon que celui-ci.
Lillian Dawes est une étrange jeune femme. Elle surgit là où on ne l’attend pas. Elle est capable de gestes surprenants. Elle semble à l’aise partout. Mais elle se fait appeler de trop de noms différents pour être honnête et cache quelque chose. Serait-elle une espionne? Gabriel, presque 18 ans, est le premier à être fasciné par elle et à se poser des questions, autant sur Lillian que sur le sentiment encore inconnu qu’il éprouve. Son frère Spencer craque à son tour.
Au rythme sans précipitation d’une danse de séduction langoureuse et démodée, le roman de Katherine Mosby charme irrésistiblement. Il installe les protagonistes avec finesse. Retient dans l’ombre des éléments mystérieux dont l’importance sera révélée plus tard. Dépeint avec talent une partie de campagne pleine d’incidents. Lillian pratique l’art du trompe-l’œil jusque dans son appartement. La romancière aussi, qui nous installe au cœur du paysage.

En deuxième choix (qui aurait pu être le premier), voici l'Espagnol Eduardo Mendoza et Les aventures miraculeuses de Pomponius Flatus.
Pomponius Flatus est philosophe et naturaliste. Romain, comme tous les lecteurs d’Astérix l’auront deviné. Dans les premières années de l’ère chrétienne, il échoue en Palestine un peu par hasard, après avoir cherché en vain dans les environs une eau qui procure la sagesse à celui qui en boit. Il est malade. Peut-être son nom le prédispose-t-il aux flatulences, sonores et nauséabondes, accompagnées de diarrhées qui le font atrocement souffrir. Il faudrait un miracle…
Coup de chance: il est à Nazareth où grandit le jeune Jésus, inconscient encore de son destin. Comme un Harry Potter en phase d’apprentissage, Jésus est déjà capable de choses étonnantes. Mais il faudra attendre la fin du roman pour s’en rendre compte.
Car il y a d’autres urgences. Joseph, son père menuisier, est accusé de meurtre et condamné à mort. Il a été chargé de construire lui-même la croix sur laquelle il sera supplicié. Jésus ne peut pas croire que Joseph ait tué Epulon. Pomponius, qui trouve le gamin sympathique, accepterait-il de l’aider à prouver son innocence? Et pourquoi pas? L’affaire roule, contre vingt deniers.
Pendant ce temps, la première croix de Joseph a été refusée par le tribun Appius Pulcher, chargé de l’exécution du menuisier, au prétexte qu’il n’a jamais commandé une croix en X. En réalité, Appius n’accorde aucune importance au modèle. Mais il lorgne sur une fructueuse affaire immobilière pour laquelle il n’a pas le premier sou: il veut investir dans l’achat d’un terrain sur lequel se bâtira prochainement un quartier neuf, et dont la valeur augmentera. Sa mission de justicier devrait donc se prolonger un peu, le temps de rassembler la somme nécessaire à fonder sa fortune à venir.
Joseph retourne au travail. Et refuse de livrer à Pomponius le secret qui pourrait le sauver: il a eu en effet, avant la mort d’Epulon, une discussion animée avec celui-ci. Mais Joseph, honnête homme, a juré le secret. Un serment plus important à ses yeux que la menace de sa prochaine crucifixion.
Honnête homme et honnête menuisier, il fait si bien que la nouvelle croix est bientôt prête. Appius pourra-t-il encore retarder l’exécution? Peut-être, s’il trouve deux autres condamnés pour obliger Joseph à fabriquer deux nouvelles croix. Grâce à des péripéties qui sont autant de trouvailles, les trois croix ne serviront pas. Du moins, pas tout de suite…
Eduardo Mendoza s’infiltre dans les années les moins connues d’une histoire bien connue. Les contraintes sont nombreuses, parce qu’il respecte la version proposée par les Evangiles. Mais sa liberté est grande, et il en profite avec une allégresse plaisante à partager.
Lazare, le lépreux, n’est pas encore mort et mendie dans Nazareth en accusant Jésus et d’autres jeunes gredins de lui lancer parfois des pierres. Marie, dont la réputation a souffert à la naissance de son fils puisqu’il s’est beaucoup répété que Joseph n’en était pas le père, sourit doucement et n’en pense pas moins – elle est bien la seule, avec le lecteur, à avoir une idée de la suite. Marie-Madeleine, qui ne s’appelle pas encore ainsi, survit à la mort de sa mère dont elle reprendra la profession de prostituée.
Tout le monde est là. Et tout reste à faire pour Mendoza qui passe par là.

vendredi 4 juin 2010

Deux Italiens dans la panade

Semaine après semaine, au gré des dossiers des Livres du Soir ou de ma curiosité, mon regard se tourne d'un côté de l'horizon, ou vers un autre. Cette semaine a été très italienne. Antipasti, spaghetti à l'ail, osso buco, valeurs sûres. En littérature, en revanche, du nouveau avec deux auteurs que je n'avais jamais lu: Carlo D'Amicis, pour son premier roman paru en français, Sauf le chien, et Roberto Alajmo, déjà traduit auparavant, pour Mat à l'étouffé. Deux belles surprises.
Je me suis demandé parfois, en les lisant, si les Italiens avaient particulièrement souffert du passage de la lire à l'euro. Car les personnages principaux se débattent dans des problèmes financiers insolubles qui sont au centre de Mat à l'étouffé et surviennent à la marge de Sauf le chien. A toujours avoir envie de trouver des points communs entre des livres qui n'ont rien à voir, peut-être qu'on se trompe souvent. Mais c'est quand même frappant...

Le personnage principal de Roberto Alajmo a, en tout cas, parfaitement réussi à s'enferrer dans une situation inconfortable et dont il lui devient impossible de sortir. Il a accumulé les découverts bancaires, il jongle avec ses comptes pour boucher des trous qui se reforment évidemment aussitôt ailleurs, plus importants au fur et à mesure que le temps passe. Et le théâtre poétique, dont il a fait son cheval de bataille en même que sa principale (et aléatoire) source de revenus, n'a plus les faveurs d'une municipalité qui a basculé politiquement.
Sa femme qui l'a quitté, ses deux filles qui le regardent presque comme un étranger, les créanciers qui recourent parfois à la manière forte pour récupérer leur dû, rien ne s'arrange dans la vie du pauvre Giovanni Alagna, magouilleur perdu dans ses magouilles.
C'est donc l'histoire d'une chute, dans tous les sens du mot comme on le découvrira tout à la fin. Un roman pessimiste, mais dans lequel l'écrivain a insufflé un sacré tonus.

Il y a aussi un chien dans Mat à l'étouffé, bien qu'il joue un rôle moins important que dans le roman de Carlo d'Amicis. Qui présente un peu les choses comme dans l'expression: personne ne m'aime, Sauf le chien. Marcello Artiglio, côté argent - puisque c'est le lien que j'ai choisi presque arbitrairement entre ces deux livres -, ne s'en sort pas trop bien non plus. Avocat, il appartient pourtant à une profession qui prédestine peu à la pauvreté. Mais il n'arrête pas de demander quelques euros à son ami-amant (qu'il appelle parfois fiancé), Morgan. Fou de lui, mais tyrannique. Et Marcello est embarqué dans une affaire compliquée qui ne risque pas d'améliorer les choses, malgré la générosité dont fait preuve son médecin Saverio Spiritus, soupçonné d'avoir tué sa femme et sa fille - femme avec laquelle Marcello entretenait une relation coupable (comme on dit).
Vous ne suivez pas tout à fait? C'est normal. Impossible de résumer ce livre en traçant une ligne claire qui relierait entre eux les événements. Ils s'accumulent et c'est au lecteur de faire le travail pour décoder l'ensemble. Je vous rassure: cela vient tout naturellement, si bien qu'au moment de fermer le livre on aimerait qu'il dure encore un peu...