Pour l'essentiel, Jean-François Vilar aura eu une courte carrière d'auteur de romans noirs: sept romans noirs (et quelques autres écrits) de C'est toujours les autres qui meurent, en 1982, à Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués, en 1993 - et réédité en poche il y a un mois. Pour entendre à nouveau parler de lui, il a fallu que ce soit par une mauvaise nouvelle puisqu'on vient d'apprendre sa mort, à l'âge de 67 ans. Il n'empêche, beaucoup le tiennent pour un grand écrivain et la lecture de ses deux derniers livres (je n'avais pas lu les précédents) tendait à me faire rejoindre le camp de ses admirateurs.
Les exagérés (1989)
Jean-François Vilar a trouvé un moyen habile de parler de la
Révolution tout en situant son roman dans le Paris de fin 1986, celui des
manifestations d’étudiants : il a imaginé le tournage d’un film consacré à
la princesse de Lamballe, une proche amie de Marie-Antoinette.
Le narrateur, un photographe, est imprégné de la mémoire des
lieux et on en est parfois à se demander si les repérages qu’il effectue en
pensant au film ne sont pas plutôt une quête personnelle des lieux de la
Révolution.
Toujours est-il qu’il se trouve mêlé à une sombre histoire
au centre géographique de laquelle se trouve le musée Grévin et qui, pour une
vengeance, ira jusqu’à l’assassinat. Ce n’est pas une enquête policière, le
narrateur se refuse en tout cas à chercher des preuves. Il n’empêche que les
indices s’accumulent et que le climat est bien lourd. Auteur de romans noirs,
Jean-François Vilar fait froid dans le dos avec ses têtes de cire...
Rien de ce qui nous arrive aujourd’hui n’est étranger au
passé. Cette évidence pour l’histoire du monde, Jean-François Vilar la vérifie
pour les individus. Nous cheminons
entourés de fantômes aux fronts troués superpose des événements de 1989 à d’autres
de 1938, les uns et les autres entraînant le photographe Victor B. dans un
tourbillon.
Victor B. sort d’une immobilité prolongée : otage dans
un pays étranger pendant trois ans, situation très ironique pour un photographe
qui détestait quitter Paris, il retrouve le monde avec le sentiment d’un
certain vertige. Fin 1989, bien des certitudes s’écroulent, ou du moins les
derniers signes matériels de ce qui n’était déjà plus guère certitudes... Le
temps paraît s’être accéléré, et Victor découvre que sa libération n’a pas
marqué la fin d’une histoire qu’il préférerait oublier. Son compagnon de
captivité, Alex Katz, meurt dans un étrange accident sur les lieux d’un
rendez-vous qu’ils s’étaient fixé. Un policier entêté surveille ses moindres
mouvements. Un réalisateur de télévision en fin de carrière s’intéresse à lui.
Le journal qui l’employait souhaite recueillir son récit exclusif. La maîtresse
de Katz se rapproche de Victor. Et aussi Solveig, qui vient de Prague où se
joue une autre actualité brûlante...
Tout cela pourrait être sans liens. La vie est un chaos dans
lequel se croisent des personnes sans rapports entre elles et que seul le
hasard fait se rencontrer provisoirement. Mais Victor est doté d’une mémoire
singulière, presque étouffante par instants pour le lecteur : il est un
véritable almanach vivant, ayant gravé une fois pour toutes dans son esprit
quantité de dates anniversaires. Pas un jour, ou presque, ne se passe sans
évoquer des faits plus ou moins lointains, anecdotiques ou essentiels.
Reste ce mystérieux carnet vert, une année d’un journal tenu
par le père de Katz en 1938, dont Victor a hérité. Il le lit à petites doses,
en parallèle avec ce qu’il vit lui-même, et page après page des échos s’éveillent.
Tout n’est pas toujours plus clair pour autant...
1938 est une année capitale dans bien des domaines :
pendant qu’Hitler s’installe de mieux en mieux au pouvoir, trotskystes et
communistes orthodoxes se livrent une guerre qui n’est pas seulement
idéologique et dans laquelle ils sont quelques-uns à laisser au moins des os,
parfois davantage. Katz, s’il faut en croire son carnet vert, appartient à ce
milieu ainsi qu’à celui des surréalistes, avec leur cortège d’adhésions et d’exclusions.
Pendant ce temps, Breton prend le bateau pour visiter Trotsky au Mexique et Man
Ray photographie Mila, maîtresse à la fois de Katz et d’un mystérieux Louis
(qui n’est pas, précisons-le quand même, Aragon).
Le mystère est digne d’un roman noir. Jean-François Vilar
lui donne une épaisseur à la fois humaine et historique sans négliger les
interrogations qu’il fait naître et qui trouveront toutes leurs réponses, bien
que parfois inattendues. C’est passionnant !
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