mardi 23 décembre 2014

La mort de Jean-François Vilar

Pour l'essentiel, Jean-François Vilar aura eu une courte carrière d'auteur de romans noirs: sept romans noirs (et quelques autres écrits) de C'est toujours les autres qui meurent, en 1982, à Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués, en 1993 - et réédité en poche il y a un mois. Pour entendre à nouveau parler de lui, il a fallu que ce soit par une mauvaise nouvelle puisqu'on vient d'apprendre sa mort, à l'âge de 67 ans. Il n'empêche, beaucoup le tiennent pour un grand écrivain et la lecture de ses deux derniers livres (je n'avais pas lu les précédents) tendait à me faire rejoindre le camp de ses admirateurs.

Les exagérés (1989)

Jean-François Vilar a trouvé un moyen habile de parler de la Révolution tout en situant son roman dans le Paris de fin 1986, celui des manifestations d’étudiants : il a imaginé le tournage d’un film consacré à la princesse de Lamballe, une proche amie de Marie-Antoinette.
Le narrateur, un photographe, est imprégné de la mémoire des lieux et on en est parfois à se demander si les repérages qu’il effectue en pensant au film ne sont pas plutôt une quête personnelle des lieux de la Révolution.
Toujours est-il qu’il se trouve mêlé à une sombre histoire au centre géographique de laquelle se trouve le musée Grévin et qui, pour une vengeance, ira jusqu’à l’assassinat. Ce n’est pas une enquête policière, le narrateur se refuse en tout cas à chercher des preuves. Il n’empêche que les indices s’accumulent et que le climat est bien lourd. Auteur de romans noirs, Jean-François Vilar fait froid dans le dos avec ses têtes de cire...


Rien de ce qui nous arrive aujourd’hui n’est étranger au passé. Cette évidence pour l’histoire du monde, Jean-François Vilar la vérifie pour les individus. Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués superpose des événements de 1989 à d’autres de 1938, les uns et les autres entraînant le photographe Victor B. dans un tourbillon.
Victor B. sort d’une immobilité prolongée : otage dans un pays étranger pendant trois ans, situation très ironique pour un photographe qui détestait quitter Paris, il retrouve le monde avec le sentiment d’un certain vertige. Fin 1989, bien des certitudes s’écroulent, ou du moins les derniers signes matériels de ce qui n’était déjà plus guère certitudes... Le temps paraît s’être accéléré, et Victor découvre que sa libération n’a pas marqué la fin d’une histoire qu’il préférerait oublier. Son compagnon de captivité, Alex Katz, meurt dans un étrange accident sur les lieux d’un rendez-vous qu’ils s’étaient fixé. Un policier entêté surveille ses moindres mouvements. Un réalisateur de télévision en fin de carrière s’intéresse à lui. Le journal qui l’employait souhaite recueillir son récit exclusif. La maîtresse de Katz se rapproche de Victor. Et aussi Solveig, qui vient de Prague où se joue une autre actualité brûlante...
Tout cela pourrait être sans liens. La vie est un chaos dans lequel se croisent des personnes sans rapports entre elles et que seul le hasard fait se rencontrer provisoirement. Mais Victor est doté d’une mémoire singulière, presque étouffante par instants pour le lecteur : il est un véritable almanach vivant, ayant gravé une fois pour toutes dans son esprit quantité de dates anniversaires. Pas un jour, ou presque, ne se passe sans évoquer des faits plus ou moins lointains, anecdotiques ou essentiels.
Reste ce mystérieux carnet vert, une année d’un journal tenu par le père de Katz en 1938, dont Victor a hérité. Il le lit à petites doses, en parallèle avec ce qu’il vit lui-même, et page après page des échos s’éveillent. Tout n’est pas toujours plus clair pour autant...
1938 est une année capitale dans bien des domaines : pendant qu’Hitler s’installe de mieux en mieux au pouvoir, trotskystes et communistes orthodoxes se livrent une guerre qui n’est pas seulement idéologique et dans laquelle ils sont quelques-uns à laisser au moins des os, parfois davantage. Katz, s’il faut en croire son carnet vert, appartient à ce milieu ainsi qu’à celui des surréalistes, avec leur cortège d’adhésions et d’exclusions. Pendant ce temps, Breton prend le bateau pour visiter Trotsky au Mexique et Man Ray photographie Mila, maîtresse à la fois de Katz et d’un mystérieux Louis (qui n’est pas, précisons-le quand même, Aragon).
Le mystère est digne d’un roman noir. Jean-François Vilar lui donne une épaisseur à la fois humaine et historique sans négliger les interrogations qu’il fait naître et qui trouveront toutes leurs réponses, bien que parfois inattendues. C’est passionnant !

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