jeudi 3 novembre 2016

Le Goncourt pour Leïla Slimani

Je vous l'avais bien dit ce matin et les jurés du Goncourt, comme moi, ont choisi Leïla Slimani avec Chanson douce, dès le premier tour.
La première phrase tue tout espoir de suspens : « Le bébé est mort. » On n’accusera pas Leïla Slimani de recourir à de grosses ficelles pour retenir le lecteur dans son deuxième roman, Chanson douce. En revanche, ouvrir le livre par un constat qui est la clé de voûte du récit pousse à se demander comment, pourquoi ce bébé est mort. Qui il est, aussi, par rapport à des personnages que nous ne connaissons pas encore. Même l’apparition, toujours dans le premier paragraphe, d’un autre enfant en très mauvais état, ne dit quelque chose que de l’intensité du drame qui a dû se dérouler : « La petite, elle, était encore vivante quand les secours sont arrivés. » Cela ne laisse rien présager de bon. « Adam est mort. Mila va succomber. » Débrouillez-vous avec ça, qui commence et conclut l’histoire, que nous allons lire, de Myriam et Paul, de leurs enfants Mila et Adam, et de leur nounou criminelle, Louise.
Louise ? Une perle de nounou. Mieux : LA perle, grâce à qui Myriam peut reprendre du service comme avocate au lieu de s’éteindre lentement en compagnie de ses enfants tandis que Paul, son mari, poursuit son ascension dans la production musicale, au prix de longues absences qui l’empêchent de voir grandir Mila et Adam.
Quand Louise s’est présentée, après quelques autres candidates, elle a été une sorte d’évidence. Elle était celle qui allait protéger les enfants, s’occuper d’eux, les accompagner dans leur croissance avec une attention de chaque instant. « Elle a le regard d’une femme qui peut tout entendre et tout pardonner. Son visage est comme une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses. » La femme du couple qui l’a employée avant confirme la première excellente impression. Elle dit même : « à l’époque, j’ai même songé à faire un troisième enfant pour pouvoir la garder. »
Une fée du logis, désormais ordonné, propre, parfumé aux odeurs des plats qu’elle prépare – « une femme de ménage gratuite en plus de la baby-sitter ». La mer est paisible. Plus personne ne pense aux abysses. Invisible et indispensable, Louise a pris sa place et accompagne la famille jusqu’en Grèce pour les vacances.
Mais, au fond, personne ne s’intéresse vraiment à Louise. Seuls les services qu’elle rend à la perfection sont appréciés à leur juste valeur. Quant à savoir ce qu’elle pense, ce qu’elle a vécu avant, à la disparition de son mari, avec sa fille qui grandissait, comment elle supporte ou non la solitude dans son petit appartement, tout cela se situe hors du contexte familial, dans un autre monde, étranger, sans voie de communication qui permettrait de comprendre qui elle est quand elle n’est pas le soldat qui accomplit son devoir.
Et puis, certains moments vécus avec les enfants, qui scellent des pactes non écrits où se mêlent l’amour et la haine, la reconnaissance et le ressentiment, sont gardés secrets. Les parents ne savent plus très bien ce qui se passe chez eux en leur absence. Rien de tragique là-dedans, une forme sans doute de complicité naturelle qui préserve l’équilibre. Et, malgré tout, de petites fissures, dont la romancière nous rend compte dans le détail.
On avait beau connaître la fin depuis le début, on ne la voit pas venir. On est bluffé.

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