Depuis 2005, Le Figaro publie, à cette époque de l’année,
les résultats d’une enquête sur les romanciers français qui se vendent le plus.
Pour la première fois en 2017, l’institut d’études GFK y intègre les romanciers
traduits. Assez logiquement, le palmarès qui était de dix noms passe au double.
Décryptage.
Une première remarque vient à l’esprit en lisant, en
« accroche » de première page du Figaro
paru hier : « Le palmarès des romanciers les plus lus en 2016 ».
Au sens propre, il ne s’agit pas de cela et le titre de l’article qui commente
les résultats est plus précis : « Les vingt romanciers qui vendent le
plus », même s’il était question de « Ce que les Français lisent
vraiment » en tête de page.
L’enquête porte sur les ventes et non sur la lecture.
Certes, les tendances doivent être proches, mais n’oublions pas les livres
achetés et abandonnés à la dixième page – ni, dans l’autre sens, ceux qu’on se
prête dans une chaîne de lecteurs parfois longue. Nous parlerons donc, plus
clairement que Le Figaro, des
meilleures ventes de romans en France, à travers vingt auteurs. Qui
« pèsent », ensemble, 13,5 millions d’ouvrages en grand format
ou au format de poche. En gros, un roman sur quatre sur l’ensemble du marché.
Combien d’autres auteurs pour se partager le reste ? L’écart est immense
entre le best-seller et la « petite » vente, voire la vente
« moyenne ».
Surtout quand Guillaume Musso, à lui seul, premier de
classe, affiche au compteur 1 833 300 volumes vendus en 2016. Le
chiffre est impressionnant, il ne correspond en rien cependant à la qualité
très moyenne de ses romans, qu’il s’ agisse
de La fille de Brooklyn, paru en mars
dernier, ou de L’instant présent,
réédité simultanément en poche. Marc Levy, dont les actions sont en baisse
après qu’il avait longtemps côtoyé ces sommets, reste millionnaire en ventes,
mais Michel Bussi, le géographe devenu auteur de polars à succès, et Anna Todd,
la sado-maso molle, le précèdent. Anna Todd est la première romancière traduite
à faire son apparition dans cette liste.
Une intrigue policière ou le sens du suspense qui va bien au
thriller sont des arguments puissants. Outre Michel Bussi, on note la présence
de Harlan Coben, Mary Higgins Clark, Paula Hawkins, Franck Thilliez, Stephen
King, Maxime Chattam, Camilla Läckberg et Michael Connelly. C’est presque la
moitié du palmarès.
Le livre « feel good » est lui aussi en vogue.
Laurent Gounelle et Gilles Legardinier en ont fait leur cheval de bataille. Et
les grands sentiments, jusqu’au dégoulinant, trouvent aussi leur place avec
Agnès Martin-Lugand, Danielle Steel ou Agnès Ledig.
On notera la parité presque parfaite entre romancières et
romanciers : neuf femmes sont présentes, et onze hommes. Ce qui fait
penser à cette réflexion habituelle : la plus grande partie des lecteurs
sont des lectrices. Pour qui, suppose-t-on, il n’est pas désagréable de se
retrouver dans un univers créé par une femme, sans que cela les empêche d’aller
voir du côté des romans écrits par des hommes.
Nous n’avons rien dit encore de trois romanciers (dont deux
femmes) qu’il est impossible de ranger dans un tiroir étiqueté : « Recettes
du succès ».
Françoise Bourdin, travailleuse de fond (deux romans publiés
par an en moyenne), s’attache à la province, comme souvent Michel Bussi, où
elle déroule des histoires de famille dans une tradition que l’on pensait morte
et dont on constate qu’elle a encore ses partisans.
David Foenkinos, c’est l’éclat des paillettes dans
l’écriture, une fausse naïveté qui séduit ou agace, mais retient jusqu’à
l’attention des jurys de grands prix littéraires. Sauf erreur, il est
d’ailleurs le seul, dans ce palmarès, à cumuler un Renaudot, un Goncourt des
Lycéens et une place parmi les romanciers les mieux vendus de 2016.
Enfin, relevons le cas très singulier d’Elena Ferrante,
mystérieuse signature derrière laquelle se cache une écrivaine dont la
tétralogie de L’amie prodigieuse (le
troisième tome vient de paraître en français) possède un souffle rare.
L’ampleur du projet littéraire s’impose avec évidence. On accompagne Elena et
son amie Lila depuis leur enfance et leur amitié napolitaines. Elles sont
inséparables, mais comme deux faces opposées d’une seule entité. Lila est la
plus sauvage, elle bénéficie d’une sorte de génie naturel qui lui permet de
briller dans tous les domaines qu’elle aborde, serait-ce avec un apparent
dilettantisme avant de laisser tomber. Elena, la narratrice, dont on a remarqué
le prénom en commun avec le pseudonyme de la romancière, est plus besogneuse, soucieuse
de bien faire. Et elle fait bien puisqu’elle passe du dialecte à une langue
italienne châtiée pour écrire un livre à succès. Son inspiratrice, son modèle,
celle à qui elle veut plaire restant Lila, dont elle sait qu’elle ne possède
pas les capacités.
C’est formidable, c’est populaire, c’est littéraire. C’est
l’exception.
P.-S. Livres Hebdo publie aussi, aujourd'hui, son palmarès des meilleures ventes de 2016. Sans surprise, le nouveau volume de Harry Potter surclasse la concurrence.
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