vendredi 20 janvier 2017

Les romanciers qui vendent sont aussi les plus lus

Depuis 2005, Le Figaro publie, à cette époque de l’année, les résultats d’une enquête sur les romanciers français qui se vendent le plus. Pour la première fois en 2017, l’institut d’études GFK y intègre les romanciers traduits. Assez logiquement, le palmarès qui était de dix noms passe au double. Décryptage.
Une première remarque vient à l’esprit en lisant, en « accroche » de première page du Figaro paru hier : « Le palmarès des romanciers les plus lus en 2016 ». Au sens propre, il ne s’agit pas de cela et le titre de l’article qui commente les résultats est plus précis : « Les vingt romanciers qui vendent le plus », même s’il était question de « Ce que les Français lisent vraiment » en tête de page.
L’enquête porte sur les ventes et non sur la lecture. Certes, les tendances doivent être proches, mais n’oublions pas les livres achetés et abandonnés à la dixième page – ni, dans l’autre sens, ceux qu’on se prête dans une chaîne de lecteurs parfois longue. Nous parlerons donc, plus clairement que Le Figaro, des meilleures ventes de romans en France, à travers vingt auteurs. Qui « pèsent », ensemble, 13,5 millions d’ouvrages en grand format ou au format de poche. En gros, un roman sur quatre sur l’ensemble du marché. Combien d’autres auteurs pour se partager le reste ? L’écart est immense entre le best-seller et la « petite » vente, voire la vente « moyenne ».
Surtout quand Guillaume Musso, à lui seul, premier de classe, affiche au compteur 1 833 300 volumes vendus en 2016. Le chiffre est impressionnant, il ne correspond en rien cependant à la qualité très moyenne de ses romans, qu’il s’           agisse de La fille de Brooklyn, paru en mars dernier, ou de L’instant présent, réédité simultanément en poche. Marc Levy, dont les actions sont en baisse après qu’il avait longtemps côtoyé ces sommets, reste millionnaire en ventes, mais Michel Bussi, le géographe devenu auteur de polars à succès, et Anna Todd, la sado-maso molle, le précèdent. Anna Todd est la première romancière traduite à faire son apparition dans cette liste.
Une intrigue policière ou le sens du suspense qui va bien au thriller sont des arguments puissants. Outre Michel Bussi, on note la présence de Harlan Coben, Mary Higgins Clark, Paula Hawkins, Franck Thilliez, Stephen King, Maxime Chattam, Camilla Läckberg et Michael Connelly. C’est presque la moitié du palmarès.
Le livre « feel good » est lui aussi en vogue. Laurent Gounelle et Gilles Legardinier en ont fait leur cheval de bataille. Et les grands sentiments, jusqu’au dégoulinant, trouvent aussi leur place avec Agnès Martin-Lugand, Danielle Steel ou Agnès Ledig.
On notera la parité presque parfaite entre romancières et romanciers : neuf femmes sont présentes, et onze hommes. Ce qui fait penser à cette réflexion habituelle : la plus grande partie des lecteurs sont des lectrices. Pour qui, suppose-t-on, il n’est pas désagréable de se retrouver dans un univers créé par une femme, sans que cela les empêche d’aller voir du côté des romans écrits par des hommes.
Nous n’avons rien dit encore de trois romanciers (dont deux femmes) qu’il est impossible de ranger dans un tiroir étiqueté : « Recettes du succès ».
Françoise Bourdin, travailleuse de fond (deux romans publiés par an en moyenne), s’attache à la province, comme souvent Michel Bussi, où elle déroule des histoires de famille dans une tradition que l’on pensait morte et dont on constate qu’elle a encore ses partisans.
David Foenkinos, c’est l’éclat des paillettes dans l’écriture, une fausse naïveté qui séduit ou agace, mais retient jusqu’à l’attention des jurys de grands prix littéraires. Sauf erreur, il est d’ailleurs le seul, dans ce palmarès, à cumuler un Renaudot, un Goncourt des Lycéens et une place parmi les romanciers les mieux vendus de 2016.
Enfin, relevons le cas très singulier d’Elena Ferrante, mystérieuse signature derrière laquelle se cache une écrivaine dont la tétralogie de L’amie prodigieuse (le troisième tome vient de paraître en français) possède un souffle rare. L’ampleur du projet littéraire s’impose avec évidence. On accompagne Elena et son amie Lila depuis leur enfance et leur amitié napolitaines. Elles sont inséparables, mais comme deux faces opposées d’une seule entité. Lila est la plus sauvage, elle bénéficie d’une sorte de génie naturel qui lui permet de briller dans tous les domaines qu’elle aborde, serait-ce avec un apparent dilettantisme avant de laisser tomber. Elena, la narratrice, dont on a remarqué le prénom en commun avec le pseudonyme de la romancière, est plus besogneuse, soucieuse de bien faire. Et elle fait bien puisqu’elle passe du dialecte à une langue italienne châtiée pour écrire un livre à succès. Son inspiratrice, son modèle, celle à qui elle veut plaire restant Lila, dont elle sait qu’elle ne possède pas les capacités.
C’est formidable, c’est populaire, c’est littéraire. C’est l’exception.

P.-S. Livres Hebdo publie aussi, aujourd'hui, son palmarès des meilleures ventes de 2016. Sans surprise, le nouveau volume de Harry Potter surclasse la concurrence.

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