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mercredi 3 juin 2020

Indigestes, les poids lourds

Ils sont là, servis par palettes pour sauver la librairie française et faire repartir à la hausse les chiffres d’affaires des éditeurs et des distributeurs. Merci, Guillaume Musso et Joël Dicker, de participer ainsi au sauvetage d’un secteur (parmi d’autres) en crise. On ne se fait pas de souci pour eux. Leurs livres sortis la semaine dernière, La vie est un roman et L’énigme de la chambre 622, sont respectivement en deuxième et première positions dans les meilleures ventes de livres compilées par le réseau datalib, toutes catégories confondues. Est-ce à dire qu’il est inutile de s’en occuper, qu’ils vivent bien sans moi ?
Penser cela, c’est mal me connaître. Après tout, La vie est un roman n’est jamais que le onzième roman de Musso que je lis, ce qui donne quelques points de comparaison. Et L’énigme de la chambre 622, le troisième de Joël Dicker. Soit, pour chacun, plus de la moitié de la production. (Oui, j’ai dit production…) Affirmera-t-on encore sans rire que la critique se détourne en pinçant le nez des livres qui font le bonheur des vraies gens ? (C’est qui, ces vraies gens ?)
Le lecteur populaire, c’est bien connu, en a marre de l’écrivain germanopratin célébré par les élites (c’est qui, les élites ?), qui considère que Gallimard est sa maison naturelle, dans la rue du même nom, mais qui regrette de n’être entendu que par 0,05 % des auditeurs quand il est interrogé avec finesse (et répond avec intelligence) sur France Culture à deux heures du matin (au fait, il y a quoi, comme émission, à cette heure-là, sur France Culture ? je ne sais pas, à cette heure-là, je lis).
D’ailleurs, cet écrivain germanopratin, que nous raconte-t-il, dans ses livres confidentiels ? Des histoires d’écrivains, pardi ! C’est bien la preuve qu’il n’a aucune imagination mais alors, vraiment aucune, incapable de sortir de son quartier pour aller voir ailleurs ce qui s’y passe. (Demandez à Alexandre Jardin qui se frotte, lui, et s’en félicite tant qu’il s’en gargarise, au monde d’en bas – quant au résultat de l’expérience, il est beaucoup moins félicitable et gargarisable, essayez de lire Française, vous verrez par vous-même.)
Et, donc, puisqu’ils sont si différents des écrivains de l’élite, que racontent-ils, ces écrivains populaires ? Vous n’allez pas me croire : des histoires d’écrivains !
Si, si…
La vie est un roman commence comme un thriller, avec la disparition de Carrie, la fille de Flora Conway, trois ans, alors qu’elle jouait à cache-cache avec sa mère dans leur appartement de Williamsburg, New York. Situation impossible : la pièce est restée fermée, et pourtant il faut se rendre à l’évidence, la petite n’est plus là. On n’oubliera pas de signaler au passage que Flora Conway est romancière – elle a reçu le prestigieux prix Franz Kafka en 2009 après son troisième livre, elle n’apparaît pas dans les médias, son éditrice Fantine de Vilatte gère sa carrière pour elle et la représente dans les grandes occasions, comme ce fut le cas à Prague pour la remise de ce prix littéraire.
Guillaume Musso, on le sait (et, si vous ne le saviez pas, apprenez-le), a l’habitude d’appeler à la rescousse les signatures les plus connues et reconnues. Avant qu’il soit question du prix Kafka, Simenon avait déjà pointé le nez avec une citation extraite de Quand j’étais vieux, je vous épargne tout ce qui va suivre comme références mais c’est, dirais-je, digne de la bibliothèque d’un honnête homme soucieux de se cultiver, à moins que cela ressemble à un trompe-l’œil dans le genre d’une collection de la Bibliothèque de la Pléiade affichée derrière la personne qui vous reçoit chez elle et veut paraître cultivée – encore heureux, ce ne sont pas des reliures achetées au mètre courant.
Donc, Flora Conway, dépressive après la disparition de sa fille, on la comprend, vaguement suicidaire, puis de plus en plus précisément et, au moment où elle va commettre le geste fatal, voilà que…
Le suspense est insoutenable (ne riez pas) : voilà qu’elle se révèle être l’héroïne d’un roman qu’écrit, en France, Romain Ozorski, écrivain à succès, vague double de Guillaume Musso himself, voyez comment la création s’éparpille, se reflète dans des miroirs, et pourquoi on en arrivera à « La troisième face du miroir » dans l’avant-dernière partie.
Si vous n’avez pas lâché avant, car rien de tout cela, outre le fait que ce n’est ni écrit ni à écrire, ne tient vraiment debout à moins d’une lecture très inattentive, vous arriverez alors au cœur de la bibliothèque : les quarante sources des citations rencontrées au fil des pages, à quoi il faut ajouter encore la liste des « autres auteurs, artistes et œuvres évoqués », car il insiste avec insistance (c’est assez ?), Guillaume Musso, il ne lit pas n’importe quoi.
Mais pourquoi, alors, pratique-t-il une phrase si plate ?
On pourrait se poser la même question à propos de Joël Dicker, découvert et porté vers le succès par le grand Bernard de Fallois. Celui-ci, disparu il y a deux ans, a notamment été l’éditeur d’inédits de Proust – Jean Santeuil et Contre Sainte-Beuve. C’était il y a longtemps, Joël Dicker n’était pas né mais il s’en souvient si bien que le chauffeur et majordome de Macaire Ebezner, l’un des personnages principaux de son nouveau livre, s’appelle Alfred Agostinelli, comme le secrétaire de Proust…
Donc, le romancier populaire Joël Dicker met en scène, vous l’aurez deviné, un écrivain publié par Bernard de Fallois et qui souffre, outre de la mort de celui-ci, d’une rupture sentimentale. Besoin de changer d’air ? Un hôtel suisse (car j’ai oublié de vous dire que L’énigme de la chambre 622 se déroule en Suisse, il est vrai que cela n’a guère d’importance sinon pour le monde bancaire où se passent les événements) l’accueille, où il est troublé par l’absence de chambre 622 – la 621bis suit la 621 avant la 623. Troublant mystère, de quoi revenir sur un meurtre qui s’est produit là alors que les cadors d’une banque privée y étaient réunis pour choisir leur nouveau mâle alpha.
Un jeu de yoyo plus épuisant qu’hypnotique commence alors, entre notre époque où enquête « l’écrivain », comme on appelle respectueusement le Joël du roman, et celle du meurtre – avec des rappels chronologiques incessants, de peur qu’on s’égare (mais on s’égare quand même) : « 7 jours avant le meurtre », puis « 6 jours avant le meurtre », ou quelques mois avant, ou quelque temps après…
L’affaire est embrouillée et Joël Dicker tient beaucoup à montrer à quel point elle l’est. Il narre (car, dans ces cas-là, on ne raconte pas, on narre) les moindres péripéties avec moult détails superflus, même et surtout quand elles ne présentent pas le moindre intérêt pour le récit, il caricature sans nuance la manière dont parle Arma, l’employée de maison de Macaire et de son épouse Anastasia, pour qui ses patrons sont « Moussieu » et « Médème », il aligne les poncifs du polar sans savoir qu’en faire d’autre que de les placer les uns derrière les autres.
Franchement, je me suis ennuyé. Cela ne me dérange pas de lire un roman de 576 pages, cela me dérange quand j’ai l’impression qu’il aurait eu une meilleure tenue dans un volume deux fois moindre. Mais alors, qui pour l’écrire ? Je vous le demande…
Pas Guillaume Musso ni Joël Dicker, en tout cas !

jeudi 26 mars 2020

Guillaume Musso, le grand écrivain et ses secrets

Guillaume Musso est un grand lecteur, personne ne le soupçonne du contraire. Il semble pourtant avoir besoin de le prouver sans cesse en multipliant les citations de haut vol : Umberto Eco, Shakespeare, Dany Laferrière, Margaret Atwood, John Steinbeck, etc. A la fin de son nouveau roman au format de poche, La vie secrète des écrivains, il fournit les références des 23 citations éparpillées dans le livre et la complète d’autres auteurs évoqués par leurs œuvres. Cette manière de faire est chez lui une habitude. Le goût du partage, aime-t-il à dire…
Pour une fois, concédons-lui cela, elle se justifie : le récit tourne autour de la vie secrète d’un écrivain et les références littéraires lui sont naturelles. Même si Nathan Fawles a renoncé à l’écriture après son troisième roman, paru presque vingt ans avant le moment où nous le retrouvons reclus sur l’île Beaumont, lieu fictif près de Porquerolles. Même si, l’exaspération naissant aisément chez lui, Nathan Fawles peut aussi se fendre d’un « Ta gueule ! » bien senti ou de coups de fusil qui en disent plus long qu’une phrase péremptoire quand on essaie d’envahir son territoire.
Une œuvre courte mais qui fascine encore, un prix Pulitzer, des entretiens donnés durant sa vie publique, puis le silence. Nathan Fawles est un mystère, quoi qu’en dise son agent : « Il n’y a pas de secret à percer. Nathan est simplement passé à autre chose. » Le croira qui veut. Pas nous, en tout cas, à envisager les trois cent et quelques pages qu’il reste à lire après cette affirmation. Et moins encore deux autres protagonistes qui cherchent à savoir ce qui se cache derrière les apparences.
Raphaël Bataille écrit mais son premier manuscrit, La timidité des cimes, est refusé par tous les éditeurs à qui il l’a envoyé. Lecteur, il appartient au large public passionné par les romans de Nathan Fawles et envisage de s’approcher de lui, au mépris de tout ce qu’il a entendu dire de sa sauvagerie. Devenu l’assistant du seul libraire de l’île Beaumont, il prend quelques risques pour pénétrer dans la propriété de l’écrivain. Les coups de fusil seront pour lui, avant que Nathan Fawles se dise qu’il aura peut-être besoin de cet intrépide jeune homme.
Mathilde Monney, journaliste suisse et séduisante, entreprend plus crânement l’approche. Que veut-elle ? Trouver matière à un papier retentissant ? Ou son initiative repose-t-elle sur des motivations plus personnelles ? C’est une des choses qu’il faudra découvrir, tâche que Nathan Fawles délègue en partie à Raphaël Bataille.
Au moment où le triangle se forme, l’ombre de la partie immergée de l’iceberg apparaît – là où se trouvent les secrets de l’écrivain, s’il y en a comme nous le pressentons. Le cadavre d’une femme assassinée est retrouvé sur l’île. Il n’y a pas de hasard dans un roman de Guillaume Musso : elle appartient, par la marge, au passé de Nathan Fawles. A partir de là, il ne reste plus qu’à tirer sur le fil du mensonge pour que tout vienne, comme dirait Philippe de Villiers.
Si la construction est d’une imparable logique, ne lui demandons quand même pas d’être vraisemblable. Il est difficile de croire au faisceau de coïncidences qui finiront par lever le voile sur ce que tout le monde ignorait. La mécanique est trop bien huilée, on la regarde fonctionner avec une certaine admiration pour l’architecte qui l’a imaginée – mais sans la moindre émotion.
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un écrivain vend ses romans par palettes qu’il doit se croire dispensé d’une relecture attentive. Personne n’a pourtant, chez son éditeur, jugé bon de lui faire remarquer une phrase comme celle-ci : « Les derniers rayons de soleil patinaient le cuir de ses bottes à talons en cuir moutarde. » Ni l’incongruité qui consiste à reprendre la bouteille de saint-julien pour remplir le verre de Mathilde alors que le vin a été carafé au préalable…

mercredi 20 mars 2019

Le dernier Guillaume Musso en poche, et alors?

On peut penser ce qu’on veut de Guillaume Musso mais certainement pas qu’il est un romancier inconscient du pouvoir de la fiction ou indifférent à ce que ses lecteurs, professionnels ou non, pensent de lui. On en veut pour preuve les mots qu’il place dans la bouche de Stéphane Pianelli, journaliste à Nice-Matin qui se trouvait, au lycée international Saint-Exupéry de Sophia Antipolis, dans les mêmes classes que Thomas Degalais, écrivain à succès que son ancien condisciple interviewe pour chacun de ses livres : « Le roman le plus médiocre a sans doute plus de valeur que la critique qui le dénonce comme tel », formule empruntée au critique gastronomique du film Ratatouille – on a les références qu’on veut, celles de Musso, jamais en manque de citations, sont puisées sur une palette très large.
Il ne répugne même pas à l’autocitation imaginaire (on non ?) quand, à la bibliothèque du lycée où il est venu consulter les archives de 1992-1993, Pauline Delatour, de service à ce moment, lui demande pourquoi il n’a jamais raconté l’histoire de Vinca, la jeune fille disparue cette année-là. Elle ne se laisse pas démonter par sa justification – « c’est une histoire triste » – et lui envoie : « Ecrire des fictions pour défier la réalité. Pas simplement pour la réparer, mais pour aller la combattre sur son propre terrain. L’ausculter pour mieux la nier. La connaître pour, en toute conscience, lui opposer un monde de substitution. » Un emprunt aux entretiens que donne Thomas…
Celui-ci vit à New York, cadre de tant de romans de Guillaume Musso qui, pour la première fois avec une telle détermination, situe celui-ci, La jeune fille et la nuit, en France. On est autour d’Antibes, cette ville, écrit-il en postface, « dans laquelle j’ai tant de souvenirs. ». Il effectue ce basculement au moment où il change d’éditeur, dans un « transfert » (il n’aime pas le mot) qui a fait couler beaucoup d’encre et dont il ne cesse, depuis qu’il a quitté XO, où il a publié 14 romans, pour Calmann-Lévy, de minimiser la portée. Tout en faisant remarquer qu’il rejoint ainsi un catalogue riche de grands écrivains au risque, c’est encore lui qui s’exprime, de quitter sa « zone de confort ». Admettons, bien qu’on voie mal quels risques il prend.
Son nouveau roman est ficelé avec soin, comme les précédents. Situé sur un autre territoire, il utilise les solides recettes du roman à énigme façon Agatha Christie, où les fausses pistes se multiplient à mesure que se révèle la culpabilité des différents protagonistes.
Thomas Degalais est coupable, cela au moins est sûr, et avec lui son ami Maxime Biancardini, candidat d’En Marche à la prochaine élection parlementaire. Ils ne se sont pas vus depuis 25 ans. Ils n’ont rien oublié de cette nuit pendant laquelle, en 1992, ils ont assassiné un professeur de philosophie accusé par Thomas d’avoir violé Vinca, la fille dont il était amoureux. Mais, au-delà de l’acte commis ensemble et de la disparition, en même temps, de Vinca, ils ne savent pas plus que nous combien d’éléments ont convergé pour faire des événements une pelote de nœuds serrés dans laquelle il est presque impossible de trouver quelque innocence.
Bien sûr, et parce que Guillaume Musso n’est pas plus Agatha Christie que La jeune fille et la nuit n’est Le meurtre de l’Orient-Express, une des créatures du roman est plus maléfique que les autres et peut prendre sur elle le poids des fautes qui encombraient les autres. Tant mieux, au moins, pour le confort moral du lecteur que l’écrivain ne bouscule pas trop.
On mentirait en affirmant qu’on n’a pas pris de plaisir à traverser, sur le rythme soutenu qui convient à une lecture calibrée pour accrocher l’attention, et qui empêche en même temps de s’arrêter aux clichés semés comme les cailloux du Petit Poucet, un ouvrage efficace. Après tout, quand on ouvre le Musso annuel, on sait à peu près à quelle littérature s’attendre. De ce point de vue, rassurons ses fans : ils n’auront pas de véritable surprise en dehors de celles ménagées par le récit.

mardi 19 juin 2018

La double énigme de Guillaume Musso


La responsabilité de Guillaume Musso est énorme et peut faire l’objet d’une estimation chiffrée plus précise que les 21 grammes du poids d’une âme auquel il est fait allusion dans Un appartement à Paris. Les 450.000 exemplaires du premier tirage, l’an dernier, pesaient plus de 325 tonnes, à quoi il fallait encore ajouter les chutes de papier. L’enjeu était énorme, ce qui a peut-être poussé le romancier à soigner sa copie : dans les premières lignes, « le ciel a retrouvé une belle teinte bleu turquin. » A vos dictionnaires, sauf les marchands de couleurs et apparentés qui sauront de quoi on parle.
Un marchand de couleurs, on en rencontre un à Paris, passionné par son activité et fasciné par les recherches que faisait, avant de mourir, un peintre pour trouver la nuance exacte correspondant à ce qu’il voulait exprimer sur sa toile. L’inexprimable, comme on le verra à condition d’aller jusque-là. Mais nul doute que les lectrices et lecteurs de Musso n’auront aucune difficulté à suivre les tours et détours d’un récit assez lâche pour ne pas emprisonner, assez précis cependant pour ne pas égarer.
Dans le lieu désigné par le titre, cet appartement à Paris qui fut l’atelier de Sean Lorenz, le peintre déjà évoqué, deux locataires sont arrivés presque en même temps, alors que chacun d’eux croyait y trouver la solitude. Solitude propice au travail pour Gaspard, écrivain à l’univers sombre qui vit aux Etats-Unis mais se donne chaque année un mois pour écrire une nouvelle pièce à succès. Solitude propice aux retrouvailles avec soi-même pour Madeline, qui a été flic, puis dépressive à vouloir en mourir, et se consacre maintenant à faire un enfant.
Les premiers contacts sont rugueux. Outre qu’ils n’ont pas le calme dont ils avaient besoin, leurs caractères ne s’accordent pas et chacun n’a qu’une hâte, être débarrassé de l’autre. Mais, en moins de temps qu’il n’en a fallu à Guillaume Musso pour l’écrire, ils se passionnent pour le mystère Lorenz. Les mystères, même. La carrière du peintre, ouverte dans la peinture urbaine et presque anonyme, s’est achevée dans la gloire et la souffrance devant son propre niveau d’exigence. En outre, son épouse et son jeune fils ont été enlevés par une ancienne compagne de galères, et l’enfant a été poignardé sous les yeux de sa mère. Le drame personnel a brisé l’élan créatif, Lorenz a fini sa vie, sur une crise cardiaque en rue, comme l’ombre de ce qu’il avait été.
Sinon qu’il existe quelques indices d’un travail mené dans ses derniers mois. Si des toiles existent, elles sont introuvables. Premier défi relevé par Gaspard et Madeline, bien qu’on ait du mal à comprendre comment l’un et l’autre, simultanément, basculent, de leur envie de tranquillité, dans une enquête brève et intense. On comprend encore moins bien pourquoi ils se mettent soudain, sous l’impulsion de Gaspard qui n’a rien d’un flic, au contraire de sa compagne d’occasion, à rechercher le fils de Lorenz. Qui n’est peut-être pas mort comme tout le monde le croyait, à l’exception du peintre. Ce qui pouvait être mis au compte d’un esprit perturbé.
Bref – car nous devons faire court, au contraire de Musso –, on court, on vole, de Paris à Madrid et de Madrid à New York, avec une étrange frénésie parfois brutalement calmée lorsqu’une hypothèse se révèle fausse. Le roman est mené à la va-comme-je-te-pousse. Bianca Sotomayor intervient brièvement comme narratrice, étrange morceau dont on se demande ce qu’il fait là, à moins que l’auteur, lui-même un peu perdu dans la pelote de fils qu’il s’est ingénié à mêler, ait éprouvé le besoin d’une voix supplémentaire pour éclairer un pan de son histoire. Un bout de sparadrap pour faire tenir l’ensemble…
L’ensemble reste bancal, on y perd quelques heures qu’on aurait mieux fait de passer à autre chose.

vendredi 14 avril 2017

Anna n’est pas Anna, la fille de Brooklyn était de Harlem

Le nouveau roman de Guillaume Musso est en librairie depuis peu. Un appartement à Paris a provoqué une fièvre d’achats, digne du tirage de départ, 450 000 exemplaires. Un chiffre à la mesure d’un écrivain qui tient depuis quelques années la tête des meilleures ventes. La réédition en Pocket de La fille de Brooklyn, sorti l’an dernier, accompagnera le millésime 2017.
Guillaume Musso est un écrivain prudent, semblable à un alpiniste qui assure à chaque instant ses arrières et enfonce deux pitons là où un seul serait bien suffisant. Il n’avance donc qu’armé de citations puisées aux meilleures sources. Une en tête de chaque chapitre et d’autres dans le texte, avec références fournies en fin de volume, tous ses personnages ayant, quelle que soit leur profession, la manie des petites phrases. Elles leur servent de béquilles davantage que de pitons car, en matière d’alpinisme, leurs objectifs sont souvent limités à la compréhension de l’instant présent.
On l’accepte volontiers, ceci dit, pour le personnage principal de son nouveau roman, La fille de Brooklyn : Raphaël Barthélémy est lui-même écrivain et les mots, y compris ceux des autres, appartiennent à son domaine. C’est un peu plus étrange quand un flic à la retraite se livre au même exercice. Mais, après tout, les flics ont bien le droit de lire, dans la vie comme dans la fiction. Fiction que Raphaël vit pleinement, héros malheureux (longtemps malheureux, au moins) d’une histoire qui le dépasse complètement, qu’il semble avoir lui-même initiée cependant et dont il tente de comprendre les mécanismes comme s’il était en train de les inventer. Alors qu’il est manipulé dans des situations imprévisibles et que Guillaume Musso, son créateur, semble parfois se moquer de lui.
Raphaël est amoureux d’Anna, ils ne se connaissent que depuis six mois mais ils ont tous deux la certitude d’avoir trouvé le compagnon idéal et comptent se marier bientôt. Sinon que Raphaël, un peu inquiet d’ignorer le passé de sa future épouse, l’interroge avec tant d’insistance qu’après avoir tenté de préserver ses secrets, elle finit par lui mettre devant les yeux une photo de trois cadavres carbonisés en lui disant : « C’est moi qui ai fait ça. »
Le choc est brutal. Raphaël sort pour fuir la vision insupportable et les questions qui l’accompagnent, mais qu’il n’a pas pensé, sur le coup, à poser. Puis il revient. Anna n’est plus là. Ennuyeux, bien sûr, puisqu’il reste certain de leur amour partagé et s’en veut d’avoir mal réagi. Mais après tout, il suffit de retrouver Anna, de s’expliquer, et tout sera comme avant. Mieux qu’avant, même, puisqu’il n’y aura plus entre eux d’inquiétants secrets.
Raphaël va découvrir, et nous en même temps, des tiroirs cachés, des cadavres dans les placards, une autre identité à Anna, un drame qui a fait la une des journaux et où il était question de « la fille de Brooklyn ». Par paresse de journalistes puisqu’en réalité elle était de Harlem.
Guillaume Musso monte un thriller comme on applique le minimum syndical : à côté des pitons (ou des béquilles) ouvrant le chemin, il en pose d’autres pour susciter de fausses pistes et se garde bien de donner aux choses leur apparence réelle avant d’avoir levé quelques leurres. La mécanique est précise. Mais mécanique.
Avouons que La fille de Brooklyn se lirait sans déplaisir s’il ne s’y trouvait une surabondance de détails inutiles, les gestes de chaque protagoniste étant décrits comme s’il n’existait aucun raccourci possible. Après tout, peut-être le lecteur fan de Musso apprécie-t-il d’être pris par la main.
Pour les autres, il est possible d’apprécier, le temps d’un roman situé à une époque très proche de la nôtre, en septembre 2016, l’hypothèse d’un candidat républicain à la présidence des Etats-Unis qui ne serait pas Donald Trump. Et puis, patatras ! Mais vous verrez bien, si cela vous tente.

vendredi 20 janvier 2017

Les romanciers qui vendent sont aussi les plus lus

Depuis 2005, Le Figaro publie, à cette époque de l’année, les résultats d’une enquête sur les romanciers français qui se vendent le plus. Pour la première fois en 2017, l’institut d’études GFK y intègre les romanciers traduits. Assez logiquement, le palmarès qui était de dix noms passe au double. Décryptage.
Une première remarque vient à l’esprit en lisant, en « accroche » de première page du Figaro paru hier : « Le palmarès des romanciers les plus lus en 2016 ». Au sens propre, il ne s’agit pas de cela et le titre de l’article qui commente les résultats est plus précis : « Les vingt romanciers qui vendent le plus », même s’il était question de « Ce que les Français lisent vraiment » en tête de page.
L’enquête porte sur les ventes et non sur la lecture. Certes, les tendances doivent être proches, mais n’oublions pas les livres achetés et abandonnés à la dixième page – ni, dans l’autre sens, ceux qu’on se prête dans une chaîne de lecteurs parfois longue. Nous parlerons donc, plus clairement que Le Figaro, des meilleures ventes de romans en France, à travers vingt auteurs. Qui « pèsent », ensemble, 13,5 millions d’ouvrages en grand format ou au format de poche. En gros, un roman sur quatre sur l’ensemble du marché. Combien d’autres auteurs pour se partager le reste ? L’écart est immense entre le best-seller et la « petite » vente, voire la vente « moyenne ».
Surtout quand Guillaume Musso, à lui seul, premier de classe, affiche au compteur 1 833 300 volumes vendus en 2016. Le chiffre est impressionnant, il ne correspond en rien cependant à la qualité très moyenne de ses romans, qu’il s’           agisse de La fille de Brooklyn, paru en mars dernier, ou de L’instant présent, réédité simultanément en poche. Marc Levy, dont les actions sont en baisse après qu’il avait longtemps côtoyé ces sommets, reste millionnaire en ventes, mais Michel Bussi, le géographe devenu auteur de polars à succès, et Anna Todd, la sado-maso molle, le précèdent. Anna Todd est la première romancière traduite à faire son apparition dans cette liste.
Une intrigue policière ou le sens du suspense qui va bien au thriller sont des arguments puissants. Outre Michel Bussi, on note la présence de Harlan Coben, Mary Higgins Clark, Paula Hawkins, Franck Thilliez, Stephen King, Maxime Chattam, Camilla Läckberg et Michael Connelly. C’est presque la moitié du palmarès.
Le livre « feel good » est lui aussi en vogue. Laurent Gounelle et Gilles Legardinier en ont fait leur cheval de bataille. Et les grands sentiments, jusqu’au dégoulinant, trouvent aussi leur place avec Agnès Martin-Lugand, Danielle Steel ou Agnès Ledig.
On notera la parité presque parfaite entre romancières et romanciers : neuf femmes sont présentes, et onze hommes. Ce qui fait penser à cette réflexion habituelle : la plus grande partie des lecteurs sont des lectrices. Pour qui, suppose-t-on, il n’est pas désagréable de se retrouver dans un univers créé par une femme, sans que cela les empêche d’aller voir du côté des romans écrits par des hommes.
Nous n’avons rien dit encore de trois romanciers (dont deux femmes) qu’il est impossible de ranger dans un tiroir étiqueté : « Recettes du succès ».
Françoise Bourdin, travailleuse de fond (deux romans publiés par an en moyenne), s’attache à la province, comme souvent Michel Bussi, où elle déroule des histoires de famille dans une tradition que l’on pensait morte et dont on constate qu’elle a encore ses partisans.
David Foenkinos, c’est l’éclat des paillettes dans l’écriture, une fausse naïveté qui séduit ou agace, mais retient jusqu’à l’attention des jurys de grands prix littéraires. Sauf erreur, il est d’ailleurs le seul, dans ce palmarès, à cumuler un Renaudot, un Goncourt des Lycéens et une place parmi les romanciers les mieux vendus de 2016.
Enfin, relevons le cas très singulier d’Elena Ferrante, mystérieuse signature derrière laquelle se cache une écrivaine dont la tétralogie de L’amie prodigieuse (le troisième tome vient de paraître en français) possède un souffle rare. L’ampleur du projet littéraire s’impose avec évidence. On accompagne Elena et son amie Lila depuis leur enfance et leur amitié napolitaines. Elles sont inséparables, mais comme deux faces opposées d’une seule entité. Lila est la plus sauvage, elle bénéficie d’une sorte de génie naturel qui lui permet de briller dans tous les domaines qu’elle aborde, serait-ce avec un apparent dilettantisme avant de laisser tomber. Elena, la narratrice, dont on a remarqué le prénom en commun avec le pseudonyme de la romancière, est plus besogneuse, soucieuse de bien faire. Et elle fait bien puisqu’elle passe du dialecte à une langue italienne châtiée pour écrire un livre à succès. Son inspiratrice, son modèle, celle à qui elle veut plaire restant Lila, dont elle sait qu’elle ne possède pas les capacités.
C’est formidable, c’est populaire, c’est littéraire. C’est l’exception.

P.-S. Livres Hebdo publie aussi, aujourd'hui, son palmarès des meilleures ventes de 2016. Sans surprise, le nouveau volume de Harry Potter surclasse la concurrence.

lundi 23 mai 2016

Inutile de lire ça cet été 2. Guillaume Musso

Guillaume Musso est un écrivain prudent, semblable à un alpiniste qui assure à chaque instant ses arrières et enfonce deux pitons là où un seul serait bien suffisant. Il n’avance donc qu’armé de citations puisées aux meilleures sources. Une en tête de chaque chapitre et d’autres dans le texte, avec références fournies en fin de volume, tous ses personnages ayant, quelle que soit leur profession, la manie des petites phrases. Elles leur servent de béquilles davantage que de pitons car, en matière d’alpinisme, leurs objectifs sont souvent limités à la compréhension de l’instant présent.
On l’accepte volontiers, ceci dit, pour le personnage principal de son nouveau roman, La fille de Brooklyn : Raphaël Barthélémy est lui-même écrivain et les mots, y compris ceux des autres, appartiennent à son domaine. C’est un peu plus étrange quand un flic à la retraite se livre au même exercice. Mais, après tout, les flics ont bien le droit de lire, dans la vie comme dans la fiction. Fiction que Raphaël vit pleinement, héros malheureux (longtemps malheureux, au moins) d’une histoire qui le dépasse complètement, qu’il semble avoir lui-même initiée cependant et dont il tente de comprendre les mécanismes comme s’il était en train de les inventer. Alors qu’il est manipulé dans des situations imprévisibles et que Guillaume Musso, son créateur, semble parfois se moquer de lui.
Raphaël est amoureux d’Anna, ils ne se connaissent que depuis six mois mais ils ont tous deux la certitude d’avoir trouvé le compagnon idéal et comptent se marier bientôt. Sinon que Raphaël, un peu inquiet d’ignorer le passé de sa future épouse, l’interroge avec tant d’insistance qu’après avoir tenté de préserver ses secrets, elle finit par lui mettre devant les yeux une photo de trois cadavres carbonisés en lui disant : « C’est moi qui ai fait ça. »
Le choc est brutal. Raphaël sort pour fuir la vision insupportable et les questions qui l’accompagnent, mais qu’il n’a pas pensé, sur le coup, à poser. Puis il revient. Anna n’est plus là. Ennuyeux, bien sûr, puisqu’il reste certain de leur amour partagé et s’en veut d’avoir mal réagi. Mais après tout, il suffit de retrouver Anna, de s’expliquer, et tout sera comme avant. Mieux qu’avant, même, puisqu’il n’y aura plus entre eux d’inquiétants secrets.
Raphaël va découvrir, et nous en même temps, des tiroirs cachés, des cadavres dans les placards, une autre identité à Anna, un drame qui a fait la une des journaux et où il était question de « la fille de Brooklyn ». Par paresse de journalistes puisqu’en réalité elle était de Harlem.
Guillaume Musso monte un thriller comme on applique le minimum syndical : à côté des pitons (ou des béquilles) ouvrant le chemin, il en pose d’autres pour susciter de fausses pistes et se garde bien de donner aux choses leur apparence réelle avant d’avoir levé quelques leurres. La mécanique est précise. Mais mécanique.
Avouons que La fille de Brooklyn se lirait sans déplaisir s’il ne s’y trouvait une surabondance de détails inutiles, les gestes de chaque protagoniste étant décrits comme s’il n’existait aucun raccourci possible. Après tout, peut-être le lecteur fan de Musso apprécie-t-il d’être pris par la main.
Pour les autres, il est possible d’apprécier, le temps d’un roman situé dans un avenir très proche en septembre 2016, l’hypothèse d’un candidat républicain à la présidence des Etats-Unis qui ne serait pas Donald Trump. Et puis, patatras ! Mais vous verrez bien, si cela vous tente.

samedi 27 décembre 2014

Bilan 2014 : bof ! ou presque

© Frankie Fouganthin
Avouons-le : quand on lit en français, on se sent plus proche d’un écrivain qui utilise la même langue et le sacre d’un Patrick Modiano (notre photo) par le Nobel, comme celui d’un Le Clézio il y a huit ans, a tout pour nous réjouir. Surtout quand l’œuvre est à la hauteur de la récompense, comme c’est le cas pour l’un et l’autre. Modiano, c’est un univers romanesque construit dans le brouillard, dans lequel on se perd parfois, mais avec délices. De nombreux détails concrets rendent le Paris des années d’occupation aussi proche que si nous y avions vécu, en même temps que les pistes ouvertes dans les fausses enquêtes constituant souvent la trame romanesque se dissolvent. Toute l’ambiguïté de son art est dans la distance qu’il place entre des narrateurs, qui lui ressemblent sans être vraiment lui-même, et d’autres personnages dont les silhouettes se précisent et s’estompent dans un seul mouvement. L’écriture est souveraine, elle est la valeur suprême sans laquelle il n’y a pas de création littéraire. Le succès public du nouveau roman de Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, est donc très réjouissant.
Pourtant, les fausses valeurs dominent, et de loin, les classements des meilleures ventes. L’année a commencé avec un élan d’enthousiasme, dont on se demande encore ce qui le justifiait, pour le premier roman d’Edouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule. Ou comment réussir à affirmer son homosexualité dans un milieu provincial qui n’est pas prêt à l’accepter. Le sujet et les prises de position fracassantes de l’auteur ont fait oublier la facture médiocre de l’ouvrage, porté aux nues et devenu emblématique. Un sujet d’étonnement, au moins.
Moins étonnant est le succès, devenu habituel, des auteurs qui publient, comme des métronomes, un nouveau livre au printemps, leur assurant une vie confortable jusqu’aux migrations d’été vers les plages. Il s’agit de Guillaume Musso (Central Park) et de Marc Levy (Une autre idée du bonheur), abonnés aux gros tirages. Mais ils ont été, cette année, rejoints, parfois même dépassés, par les trois volumes dans lesquels Katherine Pancol a étiré Muchachas, roman dont nous aurions pu nous passer aussi facilement que ceux de Musso ou Levy.
L’été septentrional passé, nous allions, pensions-nous, renouer avec des ouvrages plus proches de l’idéal littéraire que chacun nourrit, plus ou moins consciemment, au plus profond de soi. D’ailleurs, la rentrée avait bien commencé, avec le volumineux et ambitieux roman d’Emmanuel Carrère, Le Royaume, où la fondation du christianisme était évoquée de manière bien plus fine et intelligente que dans des productions à grand spectacle dont Hollywood a le secret.
Mais personne, ou presque, n’avait vu venir Valérie Trierweiler et son livre en forme de règlement de comptes avec un président infidèle. Merci pour ce moment est devenu un incompréhensible phénomène de société. Quoique, en réfléchissant un peu, il est aisé de constater que le livre prolonge, selon la même logique du voyeurisme à succès, la ruée vers Closer quand ce magazine à la réputation construite sur les « paparazzades » avait publié, en janvier, les premières photos de François Hollande et de Julie Gayet.
On n’avait pas trop vu venir non plus l’emballement autour du nouvel essai d’Eric Zemmour, Le suicide français. Quoique, même sans réfléchir, il est aisé de voir quelle direction l’opinion publique a prise dans ce pays.
Faut-il pour autant désespérer ? Non. La littérature, à laquelle n’appartiennent pas les derniers livres cités, n’est pas morte. Le Goncourt à Lydie Salvayre pour Pas pleurer redonne foi dans la lecture de qualité.

vendredi 2 mai 2014

Ça fait mal...

Comme chaque semaine, Livres Hebdo met à jour ses listes de meilleures ventes. Cette semaine, rien ne change puisque tout change. Les cinq livres en tête de liste sont signés 1. Marc Levy; 2. Guillaume Musso; 3. Marc Levy; 4. Guillaume Musso; 5. Katherine Pancol.
Mais qu'avons-nous fait pour mériter ça?
Car, si je n'ai pas lu les nouveautés nouvelles de ces producteurs à la chaîne (dans l'ordre, Une autre idée du bonheur, Central Park et Muchachas 2), je me suis quand même appuyé, de la première à la dernière ligne (et je me demande un peu pourquoi, mais je renonce à chercher une autre explication que le facile: on ne se refait pas), leurs nouveautés anciennes. Soit les rééditions au format de poche des romans de Marc Levy (Un sentiment plus fort que la peur - si vous vous demandez quel est ce sentiment, voici la réponse: le courage) et de Guillaume Musso, Demain (de quoi sera-t-il fait?) et le premier volume affligeant de la trilogie romanesque de la dame Pancol.
Bien sûr, les gens lisent ce qu'ils veulent et achètent de même.
Malgré tout, je m'inquiète: plus c'est pareil aux livres précédents, mieux ça marche?
Il serait donc là, le secret?

mercredi 15 janvier 2014

Des livres par camions : les meilleures ventes de 2013

Si cela a un intérêt, je m'arrête un instant sur les chiffres que GfK a communiqués hier dans son Top 50 des meilleures ventes de livres en 2013. Sébastien Rouault, chef du groupe livres chez GfK, semble admirer le dynamisme du secteur - par "secteur", il faut entendre les cinquante meilleures ventes et rien d'autre. Elles représentent 14,2 millions d'exemplaires en 2013 contre 12 l'année précédente et la hausse du chiffre d'affaires est comparable: 183 millions d'euros contre 162.
Mais que la vie est belle et comme tout va bien! Le livre reste donc un créneau porteur et sa santé est loin d'être chancelante, comme s'en inquiètent quelques alarmistes!
Le livre? Non: le best-seller, espèce transgénique poussée au gigantisme et à l'enflure, où les spécialistes du "marché" ne se préoccupent en rien du goût et ne s'intéressent qu'à la quantité. Si cela vous rappelle d'autres pans du commerce, vous ne vous êtes pas trompé. Pendant ce temps, personne ne nous dira comment se portent de plus humbles artisans appliqués à donner le meilleur d'eux-mêmes.
Car enfin, que nous sert-on, dans cette mirifique liste?
Un énorme Astérix chez les Pictes, vendu à.... (Non, je n'ose même pas le dire, allez voir les chiffres dans le document original.) Une honnête suite des aventures gauloises dont on se demande s'il était nécessaire de s'écraser les pieds dans les boutiques (je n'ose pas trop non plus parler de librairies) pour en acheter, parfois en pièces détachées comme aux pires moments des soldes quand on s'arrache les bonnes affaires, 1.634.490 exemplaires. Bon, je l'ai lâché. J'avais même parlé de l'album, pour ne pas en dire de mal, d'ailleurs, mais je concluais sur ce que représentait vraiment cette publication: une extraordinaire machine à cash. Et cela sans boule de cristal, admirez l'artiste!
On trouve ensuite, mon dieu! mon dieu! les trois inoubliables volumes de Cinquante nuances de Grey et ses suites. Ne reculant devant aucun sacrifice, j'avais lu le premier. Ne comptez pas sur moi pour les autres. Maso un peu mais pas trop. Je ne comprends pas ce qu'on peut trouver d'émoustillant dans la construction ou l'écriture telles que les pratique l'inénarrable E.L. James, que l'on croirait sortie d'une émission de variétés genre Nouvelle Star, ou appelez-la comme vous voulez, dans laquelle on aurait accepté, probablement suite à une erreur de casting, une... euh... une... bon, disons écrivaine. (On ne dit dans l'oreillette que le côté émoustillant n'était pas à chercher dans l'écriture mais dans les scènes érotiques - désolé, je n'ai pas été émoustillé non plus.)
Et puis, et puis... le Dan Brown de l'année, Inferno, que j'avais commencé à lire en anglais, plutôt séduit, et que j'ai terminé en français, beaucoup moins convaincu.
J'ajoute, en 7e, 9e, 13e et 14e place de ce classement qui commence à me sortir par les oreilles, les quatre romans annuels (deux en grand format, deux rééditions en poche) des frères ennemis du best-seller français fabriqué sur mesure au printemps pour être emporté sur les plages l'été, j'ai nommé, vous les avez reconnus, Guillaume Musso et Marc Levy, que j'avais malicieusement (puisqu'il faut bien un peu de légèreté dans ce monde du pavé) associés lors de la sortie presque commune de leur annuelle nouveauté sans rien de neuf en 2012, ce qu'il n'est pas insolite de rappeler maintenant puisque ces deux originaux sans rien d'original sont les poches parus en 2013, ceux qui se retrouvent donc dans la superbe liste de GfK.
Rien à sauver, donc, au royaume du best-seller? Mais si, mais si...
Le prix Goncourt de Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut, n'est sans doute pas le roman qui va révolutionner la littérature, mais ce n'était pas le but et c'est une lecture solide (10e dans le classement), quoi qu'en pensent d'autres commentateurs - les mêmes, généralement, qui ont dit le plus grand mal du roman de Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, encore 18e en 2013 alors qu'il est sorti l'année précédente. Je vous renvoie à la note que j'avais publié le jour où il a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie française.
La longue durée, c'est un peu la spécialité du format de poche qui redonne vie à des titres de Gilles Legardinier, Michel Bussi, Grégoire Delacourt, Jonas Jonasson, Delphine de Vigan, Victoria Hislop ou Hélène Grémillon. Voire Boris Vian, grâce au film, ou David Foenkinos, grâce au film aussi, hélas!
Je note quand même, car il ne faut pas jeter les 50 best-sellers de 2013 avec l'eau du bain de la prochaine rentrée littéraire, que Michel Serres et Antoine Compagnon se sont introduits (par effraction?) dans cette liste, le premier avec Petite Poucette, le second avec Un été avec Montaigne - ce qui fait beaucoup d'avec en une seule phrase, mais je ne suis pas responsable de tous.
Et je termine sur une note optimiste, avec grâce à la 25e place de Romain Puèrtolas, dont L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea a été une des belles révélations de l'automne dernier, même s'il est sorti en août, le jour où je vous proposais un entretien avec son auteur.
Je n'ai pas cité tous les titres, ceux-ci suffisent, me semble-t-il, à donner un aperçu du paysage rarement réjouissant, à quelques exceptions près, du monde du best-seller.

jeudi 17 janvier 2013

Erratum : Marc Levy avant Guillaume Musso

Hier, je m'étais avancé en supposant que le nouveau roman de Marc Levy paraîtrait un peu après celui de Guillaume Musso. Comment puis-je commettre des erreurs de cette dimension? Je sais qu'on ne me pardonnera pas mais je vais quand même essayer de remettre les pendules à l'heure.
Donc, disais-je, Demain, de Guillaume Musso, sort le 28 février. Et, ajouté-je aujourd'hui, Un sentiment plus fort que la peur, de Marc Levy, le précédera de deux semaines dans les librairies.
J'ajouterai même, puisque la maison ne recule devant aucun sacrifice, que le nouveau roman de Dan Brown, Inferno, sortira le 15 mai. Ce qui nous donne, avec ceux-là, quelques titres dont l'horoscope de la librairie prédit qu'ils se retrouveront en tête des meilleures ventes, accompagnant les trois fois cinquante nuances de quoi vous savez...
A propos de ces cinquante machins (riquiqui, quand on pense qu'Apollinaire avait recensé onze mille verges), je ne résiste pas non plus à signaler la sortie, le 28 janvier, de l'ouvrage collectif et prometteur Cinquante nuances de cul aux Editions Incultes, qui porteront bien leur nom.
Mais, mais... Savez-vous ce qui paraît en même temps que le nouveau, l'immense, l'incontournable Marc Levy? Un roman de Marie Ndiaye (Ladivine), le tome 2 des Oeuvres de Claude Simon en Pléiade et une enquête de Haruki Murakami sur l'attaque du métro de Tokyo au gaz sarin (Underground). Entre autres.
En même temps que Guillaume Musso, un autre poids lourd de la fiction internationale, Stephen King et son très attendu (en français) 22/11/63.
Bon, bon, et alors?
Choisissez vos lectures.
(Je n'ai pas toujours la possibilité de le faire, si vous saviez comme je vous envie parfois!)

vendredi 13 avril 2012

Le match du printemps : Marc Levy - Guillaume Musso

Au premier tour de l’élection de printemps, Marc Levy et Guillaume Musso n’ont qu’à faire une apparition dans les librairies pour emporter tous les suffrages. Sorti le 29 mars, Si c’était à refaire, du premier, s’est immédiatement porté en tête des meilleures ventes, remplacé la semaine suivante à cette place par 7 ans après…, du second, paru le 5 avril. Avec des tirages de départ comparables : 370.000 exemplaires pour Marc Levy (d’après Livres Hebdo), 400.000 pour Guillaume Musso (Le Parisien). Les volumes sont assez semblables, eux aussi : 421 et 400 pages. En revanche, pour la brièveté des chapitres, Musso est le maître : 65 et un épilogue, contre 24 « seulement » chez Levy.
C’est une des caractéristiques des auteurs populaires : ils ne laissent pas au lecteur le temps de souffler. Marc Levy pousse la technique à l’extrême. Phrases courtes à la construction incomplète, rythme haché, dialogues serrés. Guillaume Musso est plus classique, dans un balancement régulier presque hypnotique.
Encore faut-il, première condition pour retenir un lecteur qui cherche à l’évidence une distraction plutôt qu’une littérature exigeante, construire un récit à rebondissements.
Si c’était à refaire fonctionne sur un unique ressort principal : assassiné pendant qu’il fait son jogging, Andrew Stilman, journaliste au New York Times, se trouve projeté soixante-deux jours en arrière. Avant son deuxième voyage en Argentine sur la piste d’un tueur de la dictature. Avant son mariage qu’il a fait foirer le soir même de la cérémonie. Et, forcément, avant sa mort. « Andrew ne croyait pas à la réincarnation et encore moins en une résurrection qui lui aurait permis de revenir sur terre un quart d'heure avant sa mort. » Si lui-même n’y croit pas et qu’il est pourtant obligé d’admettre que sa vie s’est rembobinée, que voulez-vous que fasse le lecteur, sinon l’accepter aussi, au mépris de toute logique ? Le romancier utilise une arme imparable. Mais presque la même que dans des livres précédents, ce qui réduit son efficacité.
7 ans après… est un peu plus sournois, parce que tout ce qu’on croit savoir se démonte au fur et à mesure pour laisser la place à une réalité bien différente. Le scénario, dont je ne dirai rien pour laisser quand même un peu de plaisir à ceux qui aiment ça, pourrait se résumer en quatre lignes. Sur lesquelles le romancier plaque des fausses pistes désignées avec trop de complaisance pour être crédibles. Les personnages sont à la limite de la caricature : le père autoritaire, à ce point désireux de préparer un bel avenir à sa fille qu’il ne lui laisse aucun espace de liberté ; la mère volage, dont le fils – ils sont jumeaux – semble sur une mauvaise pente. Puis on voyage, autant pour résoudre une énigme que pour en arriver à une conclusion prévisible.
Il y a du mouvement dans les deux livres, mais chaque fois au départ de New York – fantasme du romancier français à succès qui se pose sur le terrain de la concurrence principale, le best-seller américain ? Le mouvement est cependant un peu vain et ne parvient pas à occuper l’espace.
Ceci dit, si les fans de ces écrivains m'exilaient, par mesure de rétorsion, sur une île déserte en me sommant de choisir l’un ou l’autre de leurs nouveaux romans, je pencherais quand même du côté de Marc Levy plutôt que de Guillaume Musso. Mais pas avant d’avoir envisagé le suicide.

lundi 12 avril 2010

Zapculture, le retour

Me revoici. Avec un numéro de Zapcultures que j'ai eu bien du mal à faire parvenir jusqu'à vous - connexion paresseuse - mais dans lequel les curieux devraient trouver quelques sujets d'intérêt, du côté de la musique et de la littérature. Une bonne journée après son montage, cette "émission" datée d'hier vous appartiendra en suivant le lien du caque audio...

On ouvre avec Arno, le chanteur belge à l'accent flamand à couper au couteau, à la voix chargée d'alcool et de fumée, pour son nouveau disque, Brussld, titre sobre (oui!) et incompréhensible, sauf si l'on se souvient que ce Bruxellois, originaire d'Ostende, revendiquait son appartenance à l'Europe il y a longtemps déjà et que les barrières de langue ne lui ont jamais fait peur.
Je n'ai pas écouté le disque en entier - une chanson par-ci, par-là, couleur sombre et rythmes paresseux - et les critiques rassemblés par Télérama n'ont pas aimé. Ils ont peut-être raison. A moins que le journaliste de Tout arrive (France Culture) qui a, lui, apprécié, soit dans le bon...
Sous sa diction... particulière, vous comprendrez peut-être comment Arno écrit ses chansons, en puisant autour de lui et sans trop bosser, puisqu'il n'aime pas ça. (00'25"-02'34")

Place à la littérature, trois sujets aujourd'hui, avec de mon côté un faible pour le premier: le nouveau roman de William Boyd, Orages ordinaires. Comme l'annonce l'émission, Tout arrive, "la discussion porte d’abord sur sa méthode de travail avant d’entrer plus précisément dans les questions que posent le roman: «Que reste t-il quand on a tout perdu?» «A-t-on encore une identité?». Adam Kindred, personnage principal de ce thriller humaniste, n’a plus rien et doit «se réinventer pour survivre» comme le précise l’auteur."
Boyd, c'est - les moins jeunes s'en souviennent peut-être - cet écrivain britannique dont Bernard Pivot proposa un jour de rembourser lui-même le livre aux acheteurs qui auraient été déçus. Je ne sais pas s'ils furent nombreux à venir trouver l'animateur d'Apostrophes dans ce but. En tout cas, il n'y a rien de décevant, bien au contraire, dans ce roman londonien à l'atmosphère de thriller auquel j'ai consacré, la semaine dernière, un article dans Le Soir. (02'34"-05'06")

Je n'ai pas lu, en revanche, le nouveau roman de Guillaume Musso, La fille de papier. Et - pardonnez-moi - je ne crois pas que je le ferai. Ou alors, plus tard, quand il sortira au format de poche. Je n'ai pourtant aucun mépris pour le succès, j'aime des livres qui se trouvent placés très haut dans les listes de meilleures ventes - pas tous, quand même, faut pas exagérer. Dans ce cas-ci (comme dans d'autres), je suis quand même légèrement irrité par l'argument commercial qui repose presque exclusivement sur le tirage - énorme, je vous l'accorde, bien que j'aie oublié le chiffre exact.
En ce qui me concerne, je préfère les arguments littéraires pour juger de la qualité d'un livre.
Dans Les livres ont la parole (RTL), ce que j'ai entendu à ce sujet ne me rassure pas complètement. Il paraît que Guillaume Musso a un culot monstre, qu'il ose tout. Pensez donc! Il introduit un personnage de fiction dans la fiction! Quelle audace!
Et je me trompe probablement en ayant la vague impression que cela a déjà été fait quelque part, et souvent... (05'06"-06'02")

J'ai davantage de sympathie pour Katherine Pancol dont le troisième (et dernier?) volet de l'énorme feuilleton commencé avec Les yeux jaunes des crocodiles est l'autre énorme succès du moment. Je ne vous donnerai pas non plus les chiffres du tirage, de la mise en place chez les libraires, des réimpressions, etc. Mais j'ai lu Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi, comme j'avais lu les deux volumes précédents (celui-ci est le plus épais). Et je peux donc vous en dire un mot. (Pour le détail, il faudra se reporter à cet article.)
On ne s'ennuie pas chez Pancol. Pas souvent. Je me suis parfois dit qu'elle aurait pu couper deux ou trois cents pages (enfin, c'est peut-être parce que je me devais d'aller jusqu'au bout avant d'en parler, et que cela m'aurait permis de lire autre chose). Mais l'histoire tient la route, les personnages sont bien campés - surtout si on a pris le temps de s'habituer à eux depuis le début et Joséphine, l'héroïne, est attachante.
D'ailleurs, écoutez comment la romancière raconte, dans Regarde les hommes changer (Europe 1), la naissance de Joséphine. (06'02"-09'01")

On va finir comme on avait commencé, en musique - mais pas du même genre -, avec Patricia Petibon qui chante des airs baroques italiens sur Rosso. Elle était invitée au Rendez-vous (France Culture) et la présentation de l'album est si enthousiaste que je vous la livre telle quelle.
"Une chanteuse dont la seule apparition suffit à vous mettre de bonne humeur – même si vous savez que ce qu’elle va chanter sera grave, émouvant ou pathétique, et que l’orchestre déjà vous le fait entrevoir. On prend du plaisir même à la tristesse: n’est-ce pas étrange ? Et il augmente encore dès qu’elle ouvre la bouche. Les difficultés de la vie se sont effacées. Déjà vous les avez oubliées.
Patricia Petibon réussit ce prodige: elle vous rend heureux alors que ce qu’elle chante vous fait venir les larmes aux yeux... Mais le plus étonnant dans le programme qu’elle nous propose sur cet album est que ses qualités particulières correspondent si bien à la musique qu’elle nous offre. Elle chante toutes sortes de musiques, de Lully et Haendel à Bernstein, en passant par Mozart et Debussy, avec une affection particulière pour la musique baroque. Pourtant, ce n’est pas par elle qu’elle a commencé. «Quand je suis arrivée au Conservatoire de Paris, dit-elle, et que j’ai étudié avec Rachel Yakar, j’ai travaillé avec elle toutes sortes de musiques. Je chantais alors Zerbinetta dans Ariane à Naxos de Richard Strauss. Je continue à aimer toutes les musiques ensemble: chanter le rôle d’une religieuse dans les Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc, c’est aussi émouvant que donner sa voix à toutes les amoureuses que j’ai enregistrées.» Quant à la musique baroque, c’est la rencontre avec William Christie qui l’a, reconnaît-elle «orientée dans ce sens».
La musique qu’elle nous propose dans cet enregistrement constitue comme un concentré de ce que fut l’opéra, né en Italie et répandu à travers l’Europe. La sensibilité baroque, le goût, le plaisir en ce temps-là, ne pouvaient se satisfaire d’une déclamation musicale spianata (simple et naturelle). Il leur fallait la surprise, l’émotion, l’émerveillement. Les compositeurs, comme leur public – et les chanteurs plus encore – désiraient une sorte de merveilleux, une féérie, et même un peu de folie, par la voix: un style fiorito. La poésie, devenue serva de la musique, cherche à caractériser les affetti et donne naissance à une forme close, l’aria con da capo, permettant la transcription lyrique, dramatique ou légère, du sentiment et donnant au chanteur la possibilité de le développer par la virtuosité. Il doublait ainsi l’émotion par l’émerveillement. L’univers baroque se situe délibérément dans l’irréel, et le merveilleux vocal répond à ce qu’était alors la mise en scène pleine d’apparitions, de vols et de nuages. Il répond par les sons à l’émotion lyrique de la Sainte Thérèse du Bernin, tout comme la virtuosité architecturale de Borromini accompagne celle des chanteurs." (09'01"-11'32")

Générique, fin, et à la semaine prochaine si tout va bien.