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jeudi 25 juin 2020

L’enquêteur des villes aux champs

Il y faut du culot, à moins que ce soit de l’inconscience. Romain Puértolas ne manque ni de l’un, ni de l’autre. C’est même à ça qu’on le reconnaît depuis les extravagantes aventures de son fakir Ajatashatru Lavash Patel devenu un phénomène six ans plus tôt, en même temps que son créateur qui s’est d’emblée installé dans le paysage.
Culot ou inconscience, disions-nous. Car son dernier roman, La police des fleurs, des arbres et des forêts, s’ouvre sur un dialogue imaginaire (avec son lecteur, vous, nous ?) au cours duquel un narrateur désigne ce qui va suivre : « une histoire policière pas comme les autres », avec « un coup de théâtre final époustouflant qui remet tout le récit en cause. » Pas moins !
On s’y lance donc avec la volonté de ne pas se faire avoir – pas nous, qui sommes prévenu, quand même ! Et on guette le coup de théâtre annoncé avec la certitude qu’il n’aura aucun effet, et surtout pas les conséquences majeures de la prédiction initiale.
Et puis, patatras ! Oui, il faut l’avouer, la surprise en est vraiment une. C’est bluffant. Vous voilà doublement prévenus, lecteurs et lectrices qui, peut-être, aimez aussi les pièges littéraires…
En 1961, dans le paisible village de P., un horrible crime a été découvert : le corps de Joël, que tout le monde aimait, a été retrouvé en morceaux dans une cuve à cuisson de l’usine de confitures locales dont le maire est l’ambitieux propriétaire. Une véritable tragédie, selon l’expression du garde champêtre local, Jean-Charles Provincio. « Il a quelque chose du gendarme de Guignol, brun, grande moustache, des manières que je qualifierais de bourrues, que son accent du terroir n'arrange guère », note dans son premier rapport à « Madame la procureur de la République » le jeune et brillant enquêteur venu de la ville pour identifier et arrêter le coupable. Nous avons de la chance : le téléphone est en panne et toutes les communications se font donc par courrier – le romancier a pensé à tout, il ne manquera pas un mot aux conversations et interrogatoires qu’enregistre l’officier de police. Ni une fleur dans le décor.
Une fleur, d’ailleurs, semble un indice : elle a été retrouvée avec les morceaux du corps, elle est rare et ne pousse pas à l’état sauvage, elle est belle. Aussi belle que la fleuriste à qui l’officier de police conte fleurette, ce qui ne semble pas déplaire à l’intéressée.
Mais restons-en à l’enquête, quoiqu’elle soit sans cesse perturbée par des détails à l’importance variable, quoique la correspondance officielle entre l’officier de police et sa procureure prenne parfois un ton incongrûment familier. Quoique, surtout, la supériorité de l’homme des villes par rapport aux bouseux de la campagne l’empêche de voir ce qui aurait dû lui paraître évident – et qui ne sera évident, pour lui comme pour nous, que tout à la fin.
On s’amuse bien de ce qui, après coup, nous amusera encore, pour d’autres raisons. Romain Puértolas a réussi son pari.

mardi 17 janvier 2017

Napoléon, un retour haut en couleurs

Romain Puértolas ne s’était pas fait attendre longtemps : après La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel, son deuxième roman paru au début de 2015, le troisième l’avait suivi six mois plus tard. En même temps que le retour de l’auteur de L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, on salue celui de Napoléon, pêché dans les filets de l’écrivain en même temps que dans ceux d’un chalutier norvégien.
On vous explique en deux mots : Napoléon n’était pas mort à Sainte-Hélène, il était seulement dans le coma et les cendres d’un autre se trouvent aux Invalides tandis que le corps du grand homme était, avec son cheval, préservé de la corruption des chairs au fond d’eaux glaciales. Hibernatus-Napoléon dégelé, reconnu, accepté pour ce qu’il est, fait route vers la Corse pour prendre une retraite bien méritée en compagnie d’un natif de l’île prêt à l’accueillir.
Il découvre les changements survenus en son absence, arbore un tee-shirt de Shakira, apprécie le champagne noir (le Coca-Cola Light), considère avec intérêt les progrès de la technique qui lui auraient permis de l’emporter à Waterloo et, comme il est très intelligent (on nous le dira assez souvent pour ne l’oublier jamais), intègre les nouvelles données géopolitiques cachées derrière des mots dont Internet lui fournit le sens : « Daesh, salafiste, charia, fatwa, djihadiste, al-Sham ». Il en a maté d’autres, il se sent capable de redevenir le super-héros qu’il fut en son temps.
Pour proposer ses services de chef de guerre, une seule adresse : le palais de l’Elysée. Il y rencontre, après avoir récupéré son bicorne aux Invalides, un François Hollande pas mécontent de trouver un candidat compétent à la castagne. Mais rapidement refroidi par son responsable de communication qui lui rappelle quel homme de pouvoir a été Napoléon. Pourquoi aurait-il changé ?
Pas d’armée officielle pour mener son nouveau combat, donc. Qu’importe, il recrute une Nouvelle Petite Grande Armée. C’est éclectique : cinq danseuses de french cancan, un contorsionniste, un balayeur noir, un Corse, deux de ses trois descendants vivants – une prostituée fatiguée et l’imam de la Grande Mosquée de Paris. En fin stratège, Napoléon a un plan pour vaincre l’adversaire sans verser de sang. Car il est fatigué des cadavres et des blessés qui ont jalonné la première partie de sa vie.
Re-vive l’Empereur est une succession de moments savoureux qui rebondissent les uns sur les autres en une joyeuse pagaille. On se régale particulièrement du passage de Napoléon chez les fous – car c’est par là que passent tous ceux qui se prennent pour l’empereur. Mais Romain Puértolas tient sa petite troupe avec plus de fermeté que dans ses deux premiers romans. Il n’a pas attendu l’attentat à L’Hebdo des Charlots, comme il l’appelle dans le roman, pour savoir que l’humour est une arme efficace contre les dérives du pouvoir. Et il l’utilise en artiste imaginatif.

samedi 6 février 2016

Romain Puértolas passe d’une armoire à la tour Eiffel

Avant même la réédition en poche, cette semaine, de son deuxième roman, La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel, l’auteur de L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea en a publié un troisième, Re-vive l’Empereur. Arrêtons-nous sur le format de poche, avec un entretien réalisé il y a un peu plus d’un an.
Dans son premier roman, sous couvert de fantaisie, Romain Puértolas abordait les problèmes des sans-papiers et la question de l’immigration clandestine pour raisons économiques. La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel a les poumons envahis par une sale maladie, qui se soigne encore plus mal à Marrakech qu’en France. Mais Zahera garde une chance de guérir : Providence, qui est factrice, est en route pour venir la chercher et la confier aux meilleurs médecins. Sinon que, le jour de son départ, les avions ne décollent pas. La faute à un foutu volcan islandais.
L’histoire est racontée par un coiffeur à un de ses clients, les niveaux de narration s’imbriquent comme dans un conte oriental et le lecteur plane par-dessus avec un bonheur constant. Comme Providence planera au-dessus des nuages… Mais impossible de raconter en quelques mots comment elle y parviendra. L’écrivain s’amuse à un itinéraire capricieux qui requiert une assistance technique très supérieure à celle de n’importe quelle assurance de voyage.
On rit beaucoup. On tremble un peu. C’est ce que Romain Puértolas appelle sa marque de fabrique, et il s’en sert comme un fildefériste de son balancier.
Quand nous avions parlé du Fakir, vous m’aviez dit que le roman suivant était prêt et que votre éditeur l’aimait beaucoup. C’était celui-ci ?
Oui, il était écrit avant la sortie du Fakir et j’ai eu un an pour modifier quelques petites choses, en ajouter d’autres, pour fignoler.
Vous l’avez donc écrit sans pression, puisque c’était avant le succès ?
En effet. Je sens un peu plus la pression pour le livre que je suis en train d’écrire. Quand on a des lecteurs, on se demande si ça plaira ou non. Mais je fais ce que j’aime et les autres livres ne seront pas le Fakir. A l’exception de la suite du Fakir que je suis en train d’écrire.
Quelle distance y a-t-il entre le premier et le deuxième roman ?
Il y a des ressemblances et des différences. Je voulais une marque de fabrique. Elle tient à l’universalité, parce que j’aime parler de personnages de différentes cultures. C’est un peu le monde Benetton. Moi-même, je parle plusieurs langues et j’ai vécu dans plusieurs pays. Il y a aussi, en toile de fond, un sujet plus sérieux que la forme, celle-ci étant humoristique, décalée. Une troisième constante est l’optimisme. Je suis né heureux et j’ai toujours été heureux malgré les difficultés. Un « happyculteur », comme je dis. Une différence réside dans le fait que, dans ce livre, j’ai été poétique et dans l’émotion.
Vers la fin du roman, on perd les points de repère qu’on croyait bien installés. Est-ce conscient ?
J’avais d’abord écrit le livre sans ce coup de théâtre, et puis je me suis dit que ce serait bien. Dans ce que j’écris maintenant, j’y prends goût. Je trouve que ça redonne vie à l’histoire. C’est un peu comme, en mangeant un plat, un nouveau goût, une nouvelle saveur qui éclate sur le palais à la fin. Retourner l’omelette, comme on dit en Espagne.
Peut-on dire que le premier roman avait été écrit sans se poser de questions sur le fonctionnement du récit, et qu’il y a une évolution sur ce plan dans le deuxième ?
Oui, avant j’écrivais de manière linéaire, une chose en entraînant une autre comme dans le Fakir qui est une chaîne de rebondissements. A présent, j’avance dans le travail de la structure.
Sans crainte de perdre la spontanéité ?
Non. De toute façon, les idées me viennent sans que je les cherche. Et j’écris vite : j’ai mis deux semaines et demie pour celui-ci.
Sous une forme poétique et drôle, vous abordez un sujet grave, la mucoviscidose. Comment est-ce arrivé ?
Je ne sais pas du tout, je me le demande parfois. On pourrait d’ailleurs remplacer la mucoviscidose par n’importe quelle maladie, le cancer par exemple. Je voulais aborder ce thème : quand on est malade, tant qu’on est vivant, il y a toujours de l’espoir. Peut-être que j’ai vu un jour Grégory Lemarchal à la télé. La fin de sa vie m’a beaucoup touché.
Le récit est mené à un rythme soutenu, à travers notamment les dialogues. Est-ce volontaire ?
C’est peut-être mon oreille musicale. J’ai été compositeur pendant des années et les mots me viennent comme une musique et un rythme, ce qui me conduit quelquefois à changer leur ordre.
Savez-vous combien d’exemplaires du Fakir ont été vendus ?
Dans le monde, un demi-million, dont trois cent mille en France.
Avez-vous l’explication de ce succès ?
Non, cela a été une énorme surprise. Je ne me retrouve pas dans la littérature française d’aujourd’hui et je ne croyais pas que le livre pouvait marcher en France.

dimanche 29 mars 2015

Le fakir de Romain Puértolas repart en voyage

Ce fut la grande (et belle) surprise de la rentrée littéraire 2013 : un auteur inconnu, Romain Puértolas, publiait un premier roman au titre kilométrique : L’extraordinaire voyage du fakir qui était restécoincé dans une armoire Ikea. Succès immédiat, traductions dans le monde entier et, alors que son deuxième roman vient de paraître, réédition au Livre de poche.
Voici donc l’occasion rêvée pour revenir sur un roman initial qui sera, on peut en être assuré, suivi de beaucoup d’autres. Et déjà de La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel, pour confirmer le goût qui porte Romain Puértolas vers des histoires a priori invraisemblables, nourries autant de poésie presque naïve que de réflexions sur notre monde, la société, ses maux, etc. Dialogue, mené en août 2013, quelques jours avant la parution du roman, avec un homme à l’imaginaire foisonnant…
Les premiers romans sont souvent autobiographiques. Pas le vôtre ?
J’aurais bien aimé. J’ai vécu une aventure avec Ajatashatru, mais pas dans une armoire. Si le livre était autobiographique, je pense que je serais quelque part entre l’embouchure du Nil et Israël, dans le coffre d’une voiture ou enfermé dans une soute de bateau, mais ce n’est pas le cas : je vis à Paris.
Avez-vous eu la tentation d’écrire quelque chose de plus proche de vous ?
En fait, c’est le premier livre publié mais j’ai écrit beaucoup de choses avant. Il y a toujours un peu de moi dans ce que j’écris mais dans des situations et des histoires assez rocambolesques. J’aime beaucoup la surprise qui, dans une aventure, survient en une seconde, dans notre vie à nous, bien ancrée, avec nos portables et tout ça. J’aime bien qu’une personne se trouve d’un seul coup propulsée dans une autre dimension.
Dans son cas, dans de multiples dimensions…
Oui, mais toujours en restant proche de la réalité. En fait, si vous regardez l’histoire du fakir, ce n’est pas de la science-fiction, en soi. C’est très rocambolesque mais ça pourrait exister. D’ailleurs, j’ai appris il n’y a pas très longtemps que Ikea, en 2009, avait sorti un modèle de lit à clous. J’étais cloué, parce que j’avais imaginé ça dans ma folie et ma folie était au-dessous de la réalité.
Ajatashatru est un fakir qui mystifie les gens. Comme un romancier ?
Effectivement, mystifier quelqu’un c’est le tromper en abusant de sa crédulité. C’est ce que fait Ajatashatru au début du livre, c’est un arnaqueur professionnel qui utilise des trucs en faisant croire à ses pouvoirs surnaturels. Et le roman, c’est exactement comme dans la magie : vous avez une espèce de contrat tacite entre le magicien et le spectateur qui fait que celui-ci va se laisser faire pour que le magicien ou l’écrivain l’emmène dans son imaginaire, dans l’impossible. Pour moi, le rôle de l’écrivain est de sortir le lecteur de son quotidien. Vous avez des écrivains qui veulent rester dans la réalité, moi je suis partisan de faire voyager le lecteur.
En fait, vous parlez aussi de choses réelles, vous parlez d’immigration, de sans-papiers, d’inégalités, etc. A ces moments-là, le sérieux passe un peu avant l’humour…
Dans ce roman, les situations sont humoristiques, le style fait référence à des choses de la vie moderne, actuelle, qui sont assez marrantes, ce ne sont pas des références très culturelles. Et j’aime contrebalancer ça avec des choses plus graves, plus tristes, comme la vie en fait. La vie est faite de joies et de pleurs. Il y a donc à la fois de l’humour et du drame, sinon cela aurait été un livre de blagues et ce n’était pas le but recherché.
Les manuscrits précédents dont vous parliez, aviez-vous essayé de les faire publier ?
Oui, j’avais envoyé des manuscrits. Mais celui-ci, je ne l’ai envoyé qu’à une seule maison d’édition, au Dilettante.
Et donc pas aux Editions du Grabuge ?
Les Editions du Grabuge, je les ai inventées et je pourrais peut-être les concrétiser dans l’avenir en les créant…
L’avez-vous fait passer par une célèbre actrice ?
Pas par une actrice, par une factrice ! J’ai envoyé le manuscrit par la poste, tout simplement. Je n’ai pas la chance de connaître Sophie Marceau ou Sophie Morceaux, qui a un beau rôle dans le livre. J’espère qu’elle sera contente. On lui a envoyé un roman, bien sûr, mais je n’ai pas eu d’échos pour l’instant.
Il faut espérer qu’elle ne va pas vous faire un procès.
J’espère, oui. Ce serait dommage…
Entre l’envoi du manuscrit au Dilettante et la publication, comment les choses se sont-elles passées ?
En fait, je l’ai envoyé en septembre de l’année dernière. J’ai reçu, à peu près un mois après, une lettre de l’éditeur, Dominique Gaultier, expliquant que mon manuscrit sortait du lot et qu’il voulait me rencontrer. On a pris rendez-vous, on s’est vu, il m’a dit qu’il avait aimé le manuscrit, qu’il y avait deux ou trois petites choses à approfondir, notamment le côté migrants. Au départ, je n’avais pas trop insisté dessus. Il faut savoir que je travaille à la police des frontières et je pensais que ce n’était pas trop intéressant. Il m’a dit que si et j’ai un peu approfondi cet aspect-là, celui du clandestin. Je lui ai donné ma dernière mouture deux semaines après, il a dit que c’était bon…

mercredi 15 janvier 2014

Des livres par camions : les meilleures ventes de 2013

Si cela a un intérêt, je m'arrête un instant sur les chiffres que GfK a communiqués hier dans son Top 50 des meilleures ventes de livres en 2013. Sébastien Rouault, chef du groupe livres chez GfK, semble admirer le dynamisme du secteur - par "secteur", il faut entendre les cinquante meilleures ventes et rien d'autre. Elles représentent 14,2 millions d'exemplaires en 2013 contre 12 l'année précédente et la hausse du chiffre d'affaires est comparable: 183 millions d'euros contre 162.
Mais que la vie est belle et comme tout va bien! Le livre reste donc un créneau porteur et sa santé est loin d'être chancelante, comme s'en inquiètent quelques alarmistes!
Le livre? Non: le best-seller, espèce transgénique poussée au gigantisme et à l'enflure, où les spécialistes du "marché" ne se préoccupent en rien du goût et ne s'intéressent qu'à la quantité. Si cela vous rappelle d'autres pans du commerce, vous ne vous êtes pas trompé. Pendant ce temps, personne ne nous dira comment se portent de plus humbles artisans appliqués à donner le meilleur d'eux-mêmes.
Car enfin, que nous sert-on, dans cette mirifique liste?
Un énorme Astérix chez les Pictes, vendu à.... (Non, je n'ose même pas le dire, allez voir les chiffres dans le document original.) Une honnête suite des aventures gauloises dont on se demande s'il était nécessaire de s'écraser les pieds dans les boutiques (je n'ose pas trop non plus parler de librairies) pour en acheter, parfois en pièces détachées comme aux pires moments des soldes quand on s'arrache les bonnes affaires, 1.634.490 exemplaires. Bon, je l'ai lâché. J'avais même parlé de l'album, pour ne pas en dire de mal, d'ailleurs, mais je concluais sur ce que représentait vraiment cette publication: une extraordinaire machine à cash. Et cela sans boule de cristal, admirez l'artiste!
On trouve ensuite, mon dieu! mon dieu! les trois inoubliables volumes de Cinquante nuances de Grey et ses suites. Ne reculant devant aucun sacrifice, j'avais lu le premier. Ne comptez pas sur moi pour les autres. Maso un peu mais pas trop. Je ne comprends pas ce qu'on peut trouver d'émoustillant dans la construction ou l'écriture telles que les pratique l'inénarrable E.L. James, que l'on croirait sortie d'une émission de variétés genre Nouvelle Star, ou appelez-la comme vous voulez, dans laquelle on aurait accepté, probablement suite à une erreur de casting, une... euh... une... bon, disons écrivaine. (On ne dit dans l'oreillette que le côté émoustillant n'était pas à chercher dans l'écriture mais dans les scènes érotiques - désolé, je n'ai pas été émoustillé non plus.)
Et puis, et puis... le Dan Brown de l'année, Inferno, que j'avais commencé à lire en anglais, plutôt séduit, et que j'ai terminé en français, beaucoup moins convaincu.
J'ajoute, en 7e, 9e, 13e et 14e place de ce classement qui commence à me sortir par les oreilles, les quatre romans annuels (deux en grand format, deux rééditions en poche) des frères ennemis du best-seller français fabriqué sur mesure au printemps pour être emporté sur les plages l'été, j'ai nommé, vous les avez reconnus, Guillaume Musso et Marc Levy, que j'avais malicieusement (puisqu'il faut bien un peu de légèreté dans ce monde du pavé) associés lors de la sortie presque commune de leur annuelle nouveauté sans rien de neuf en 2012, ce qu'il n'est pas insolite de rappeler maintenant puisque ces deux originaux sans rien d'original sont les poches parus en 2013, ceux qui se retrouvent donc dans la superbe liste de GfK.
Rien à sauver, donc, au royaume du best-seller? Mais si, mais si...
Le prix Goncourt de Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut, n'est sans doute pas le roman qui va révolutionner la littérature, mais ce n'était pas le but et c'est une lecture solide (10e dans le classement), quoi qu'en pensent d'autres commentateurs - les mêmes, généralement, qui ont dit le plus grand mal du roman de Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, encore 18e en 2013 alors qu'il est sorti l'année précédente. Je vous renvoie à la note que j'avais publié le jour où il a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie française.
La longue durée, c'est un peu la spécialité du format de poche qui redonne vie à des titres de Gilles Legardinier, Michel Bussi, Grégoire Delacourt, Jonas Jonasson, Delphine de Vigan, Victoria Hislop ou Hélène Grémillon. Voire Boris Vian, grâce au film, ou David Foenkinos, grâce au film aussi, hélas!
Je note quand même, car il ne faut pas jeter les 50 best-sellers de 2013 avec l'eau du bain de la prochaine rentrée littéraire, que Michel Serres et Antoine Compagnon se sont introduits (par effraction?) dans cette liste, le premier avec Petite Poucette, le second avec Un été avec Montaigne - ce qui fait beaucoup d'avec en une seule phrase, mais je ne suis pas responsable de tous.
Et je termine sur une note optimiste, avec grâce à la 25e place de Romain Puèrtolas, dont L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea a été une des belles révélations de l'automne dernier, même s'il est sorti en août, le jour où je vous proposais un entretien avec son auteur.
Je n'ai pas cité tous les titres, ceux-ci suffisent, me semble-t-il, à donner un aperçu du paysage rarement réjouissant, à quelques exceptions près, du monde du best-seller.

mercredi 21 août 2013

Le premier premier roman : Romain Puértolas

Dans la chasse aux premiers romans, sport traditionnel qui se pratique à l'ouverture de la rentrée littéraire, j'épingle L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, de Romain Puértolas. Une petite bombe bourré d'humour, dont je parlais la semaine dernière avec lui - trois heures et demie avant que, comme il me l'écrivait le lendemain matin, "ma petite fille sortait du ventre de sa maman pour découvrir notre monde"... Un événement digne de ceux qui sont racontés sur un rythme irrésistible dans son livre.
Une partie de cet entretien est paru dans un article du Soir, publié samedi. Mais en voici l'intégralité, rien que pour vous...

Les premiers romans sont souvent autobiographiques. Le vôtre aussi ?
Ce serait difficile qu’il soit autobiographique – vous avez lu le livre. J’aurais bien aimé. J’ai vécu une aventure avec Ajatashatru, mais pas dans une armoire. Si le livre était autobiographique, je pense que je serais quelque part entre l’embouchure du Nil et Israël, dans le coffre d’une voiture ou enfermé dans une soute de bateau, mais ce n’est pas le cas : je vis à Paris.
Avez-vous eu la tentation d’écrire quelque chose de plus proche de vous ?
En fait, c’est le premier livre publié mais j’ai écrit beaucoup de choses avant. Il y a toujours un peu de moi dans ce que j’écris mais dans des situations et des histoires assez rocambolesques. J’aime beaucoup la surprise qui, dans une aventure, survient en une seconde, dans notre vie à nous, bien ancrée, avec nos portables et tout ça. J’aime bien qu’une personne se trouve d’un seul coup propulsée dans une autre dimension.
Dans son cas, dans de multiples dimensions…
Oui, mais toujours en restant proche de la réalité. En fait, si vous regardez l’histoire du fakir, ce n’est pas de la science-fiction, en soi. C’est très rocambolesque mais ça pourrait exister. D’ailleurs, j’ai appris il n’y a pas très longtemps que Ikea, en 2009, avait sorti un modèle de lit à clous. J’étais cloué, parce que j’avais imaginé ça dans ma folie et ma folie était au-dessous de la réalité.
Ajatashatru est un fakir qui mystifie les gens. Comme un romancier ?
Effectivement, mystifier quelqu’un c’est le tromper en abusant de sa crédulité. C’est ce que fait Ajatashatru au début du livre, c’est un arnaqueur professionnel qui utilise des trucs en faisant croire à ses pouvoirs surnaturels. Et le roman, c’est exactement comme dans la magie : vous avez une espèce de contrat tacite entre le magicien et le spectateur qui fait que celui-ci va se laisser faire pour que le magicien ou l’écrivain l’emmène dans son imaginaire, dans l’impossible. Pour moi, le rôle de l’écrivain est de sortir le lecteur de son quotidien. Vous avez des écrivains qui veulent rester dans la réalité, moi je suis partisan de faire voyager le lecteur.
En fait, vous parlez aussi de choses réelles, vous parlez d’immigration, de sans-papiers, d’inégalités, etc. A ces moments-là, le sérieux passe un peu avant l’humour…
Dans ce roman, les situations sont humoristiques, le style fait référence à des choses de la vie moderne, actuelle, qui sont assez marrantes, ce ne sont pas des références très culturelles. Et j’aime contrebalancer ça avec des choses plus graves, plus tristes, comme la vie en fait. La vie est faite de joies et de pleurs. Il y a donc à la fois de l’humour et du drame, sinon cela aurait été un livre de blagues et ce n’était pas le but recherché.
Les manuscrits précédents dont vous parliez, aviez-vous essayé de les faire publier ?
Oui, j’avais envoyé des manuscrits. Mais celui-ci, je ne l’ai envoyé qu’à une seule maison d’édition, au Dilettante.
Et donc pas aux Editions du Grabuge ?
Les Editions du Grabuge, je les ai inventées et je pourrais peut-être les concrétiser dans l’avenir en les créant…
L’avez-vous fait passer par une célèbre actrice ?
Pas par une actrice, par une factrice ! J’ai envoyé le manuscrit par la poste, tout simplement. Je n’ai pas la chance de connaître Sophie Marceau ou Sophie Morceaux, qui a un beau rôle dans le livre. J’espère qu’elle sera contente. On lui a envoyé un roman, bien sûr, mais je n’ai pas eu d’échos pour l’instant.
Il faut espérer qu’elle ne va pas vous faire un procès.
J’espère, oui. Ce serait dommage…
Entre l’envoi du manuscrit au Dilettante et la publication, comment les choses se sont-elles passées ?
En fait, je l’ai envoyé en septembre de l’année dernière. J’ai reçu, à peu près un mois après, une lettre de l’éditeur, Dominique Gaultier, expliquant que mon manuscrit sortait du lot et qu’il voulait me rencontrer. On a pris rendez-vous, on s’est vu, il m’a dit qu’il avait aimé le manuscrit, qu’il y avait deux ou trois petites choses à approfondir, notamment le côté migrants. Au départ, je n’avais pas trop insisté dessus. Il faut savoir que je travaille à la police des frontières et je pensais que ce n’était pas trop intéressant. Il m’a dit que si et j’ai un peu approfondi cet aspect-là, celui du clandestin. Je lui ai donné ma dernière mouture deux semaines après, il a dit que c’était bon. J’ai signé le contrat en décembre, pour une sortie à la rentrée littéraire – la semaine prochaine. C’est très long : il y a presque un an que j’attends ça, qu’on travaille sur la couverture la mise en page, les relectures des correcteurs. Je ne vous cache pas que j’attends mercredi prochain avec impatience !
Le titre est-il de vous ou de l’éditeur ?
C’est le mien.
Aviez-vous noué des contacts dans l’édition après vos premiers envois de manuscrits ?
Non, pas du tout. Je ne connais personne dans l’édition. J’ai ma profession et j’écris vraiment pour le plaisir. C’est un besoin, j’écris comme je respire. Ce livre-là a été écrit en deux mois, dans les transports en commun. Je l’ai écrit sur mon portable et sur des post-it, à l’aller et au retour de mon travail, une heure de RER chaque fois. Il a été écrit aussi dans des avions et dans beaucoup de transports. Je prends beaucoup l’avion, j’ai travaillé dans un aéroport et j’adore le monde des aéroports, du voyage. Le taxi aussi, d’ailleurs, et c’est pourquoi ça se passe, au début, dans un taxi. J’ai l’impression que, quand vous êtes dans un taxi, tout peut arriver, c’est déjà une aventure…
Quelle serait la meilleure chose qui pourrait arriver, dans vos rêves les plus fous, à ce premier roman ?
En fait, c’est exactement ce qui est en train de m’arriver en ce moment. Le livre connaît déjà un grand succès à l’étranger,il va être traduit dans beaucoup de langues – alors qu’il n’est même pas sorti en France ! Apparemment, il a touché des pays comme Taïwan, la Corée, l’Albanie, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie… On a été pris par ce qu’on peut appeler la fakirmania. Les gens ont été fakirisés. Je n’imaginais pas du tout ça en écrivant ce livre, surtout pas l’accueil qu’il allait recevoir. J’espère qu’il va y avoir un grand accueil français, bien que nul ne soit prophète en son pays. Ce qui m’arrive là, c’est un conte de fées, plus que ce qui arrive à Ajatashatru.
Le pire n’est plus possible, maintenant ?
Le pire n’est plus possible, à moins de me réveiller, peut-être…
Ce qui se produit avec votre roman pour les traductions ressemble à ce qui s’est passé avec celui de Joël Dicker l’an dernier…
On est peut-être sur les traces. En plus, dans certains pays, c’est le même traducteur. Il devrait sortir dans plusieurs langues l’année prochaine et en 2015 dans les pays anglo-saxons.
Vous disiez écrire comme vous respirez. Cela veut dire que ce premier roman sera suivi d’autres ?
Oui. Mon éditeur a déjà le prochain livre et il a adoré. On ne va pas parler du deuxième, puisque le premier n’est pas encore paru, mais le premier est là.
Vous en avez le titre ?
Oui, mais je ne vous le dirai pas. Et ça ne parle pas d’immigration illégale. C’est quelque chose d’humoristique, de très léger, avec, sous-jacent, un sujet plus grave.

lundi 19 août 2013

Premiers échos de rentrée

C'est parti pour la grande vague de nouveautés. Cette semaine, je ne sais combien de nouveaux romans vont entrer dans les librairies - ils sont déjà quelques-uns à l'avoir fait la semaine dernière - mais ils sont nombreux. Trop nombreux pour s'en faire une idée précise, car il faudrait avoir lu jour et nuit depuis deux ou trois mois afin d'y arriver (peut-être).
Il n'empêche: beaucoup de journaux et de magazines ont déjà fait leurs choix. En commençant par Les Inrockuptibles, qui affichaient la semaine dernière deux romanciers en couverture. Marie Darrieussecq et Jean-Philippe Toussaint sont les heureux élus, sans grands risques. Ils représentent des valeurs sûres. De la première, j'ai lu Il faut beaucoup aimer les hommes, excellent en effet, et je ne suis pas inquiet pour Nue, du second - Jean-Philippe Toussaint ne m'a jamais déçu.
Dans le domaine français, L'Express plaque six photos en ouverture de son panorama de la rentrée: Nancy Huston, Pierre Mérot, Eric-Emmanuel Schmitt, Brigitte Giraud, Karine Tuil et... Jean-Philippe Toussaint (deux votes, si on décide de compter ainsi). J'ai envie de lire tous leurs livres, sauf un qui ne me tente pas du tout (vous devinerez, ou non). Et celui de Karine Tuil, L'invention de nos vies, est tout simplement formidable. C'est mon premier coup de cœur de la saison, et aussi le premier entretien de rentrée que j'ai publié samedi dans Le Soir. Les abonnés de ce quotidien belge auront constaté que la rentrée y avait en effet été traitée en avant-première, au moins pour une partie.
Les premiers romans y ont trouvé une petite place, en particulier celui de Romain Puértolas, L'extraordinaire histoire du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea. Il sort après-demain, vous pourrez lire ici, ce jour-là, l'entretien que nous avons réalisé la semaine dernière et dont seuls quelques extraits sont parus dans Le Soir.
Côté traductions, Richard Ford semble avoir les faveurs de la presse avec Canada. Libération a d'ailleurs choisi cet écrivain comme sujet de son portrait de dernière page ce matin. Il est aussi dans mon programme de lectures...
Et bien d'autres encore, j'y reviendrai au fil des jours et des semaines, sans oublier les rééditions au format de poche, annoncées elles aussi en abondance.