La responsabilité de Guillaume Musso est énorme et peut
faire l’objet d’une estimation chiffrée plus précise que les 21 grammes du
poids d’une âme auquel il est fait allusion dans Un appartement à Paris. Les 450.000 exemplaires du premier tirage,
l’an dernier, pesaient plus de 325 tonnes, à quoi il fallait encore ajouter les
chutes de papier. L’enjeu était énorme, ce qui a peut-être poussé le romancier
à soigner sa copie : dans les premières lignes, « le ciel a retrouvé une belle teinte bleu turquin. » A
vos dictionnaires, sauf les marchands de couleurs et apparentés qui sauront de
quoi on parle.
Un marchand de couleurs, on en rencontre un à Paris,
passionné par son activité et fasciné par les recherches que faisait, avant de
mourir, un peintre pour trouver la nuance exacte correspondant à ce qu’il
voulait exprimer sur sa toile. L’inexprimable, comme on le verra à condition
d’aller jusque-là. Mais nul doute que les lectrices et lecteurs de Musso
n’auront aucune difficulté à suivre les tours et détours d’un récit assez lâche
pour ne pas emprisonner, assez précis cependant pour ne pas égarer.
Dans le lieu désigné par le titre, cet appartement à Paris
qui fut l’atelier de Sean Lorenz, le peintre déjà évoqué, deux locataires sont
arrivés presque en même temps, alors que chacun d’eux croyait y trouver la
solitude. Solitude propice au travail pour Gaspard, écrivain à l’univers sombre
qui vit aux Etats-Unis mais se donne chaque année un mois pour écrire une
nouvelle pièce à succès. Solitude propice aux retrouvailles avec soi-même pour
Madeline, qui a été flic, puis dépressive à vouloir en mourir, et se consacre
maintenant à faire un enfant.
Les premiers contacts sont rugueux. Outre qu’ils n’ont pas
le calme dont ils avaient besoin, leurs caractères ne s’accordent pas et chacun
n’a qu’une hâte, être débarrassé de l’autre. Mais, en moins de temps qu’il n’en
a fallu à Guillaume Musso pour l’écrire, ils se passionnent pour le mystère
Lorenz. Les mystères, même. La carrière du peintre, ouverte dans la peinture
urbaine et presque anonyme, s’est achevée dans la gloire et la souffrance
devant son propre niveau d’exigence. En outre, son épouse et son jeune fils ont
été enlevés par une ancienne compagne de galères, et l’enfant a été poignardé
sous les yeux de sa mère. Le drame personnel a brisé l’élan créatif, Lorenz a
fini sa vie, sur une crise cardiaque en rue, comme l’ombre de ce qu’il avait
été.
Sinon qu’il existe quelques indices d’un travail mené dans
ses derniers mois. Si des toiles existent, elles sont introuvables. Premier
défi relevé par Gaspard et Madeline, bien qu’on ait du mal à comprendre comment
l’un et l’autre, simultanément, basculent, de leur envie de tranquillité, dans
une enquête brève et intense. On comprend encore moins bien pourquoi ils se
mettent soudain, sous l’impulsion de Gaspard qui n’a rien d’un flic, au
contraire de sa compagne d’occasion, à rechercher le fils de Lorenz. Qui n’est
peut-être pas mort comme tout le monde le croyait, à l’exception du peintre. Ce
qui pouvait être mis au compte d’un esprit perturbé.
Bref – car nous devons faire court, au contraire de Musso –,
on court, on vole, de Paris à Madrid et de Madrid à New York, avec une étrange
frénésie parfois brutalement calmée lorsqu’une hypothèse se révèle fausse. Le
roman est mené à la va-comme-je-te-pousse. Bianca Sotomayor intervient
brièvement comme narratrice, étrange morceau dont on se demande ce qu’il fait
là, à moins que l’auteur, lui-même un peu perdu dans la pelote de fils qu’il
s’est ingénié à mêler, ait éprouvé le besoin d’une voix supplémentaire pour
éclairer un pan de son histoire. Un bout de sparadrap pour faire tenir
l’ensemble…
L’ensemble reste bancal, on y perd quelques heures qu’on
aurait mieux fait de passer à autre chose.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire