Hier soir, à Paris, Gabriel Tallent a reçu le Prix America pour son premier roman, My Absolute Darling (traduit par Laura Derajinski, Gallmeister). Un choix incontestable... absolument. Je n'en pense que du bien de cet inquiétant premier roman très maîtrisé. Je l'avais écrit dans Le Soir, sous la forme qui suit.
Turtle
a de la chance : son père l’aime comme peu de pères aiment
leur fille de quatorze ans. Turtle n’a pas de chance : son
père l’aime comme peu de pères aiment leur fille de quatorze ans.
Il est pour elle un « esprit immense, imposant, parfois
généreux et parfois si terrifiant. » Le remarquable
premier roman de Gabriel Tallent, My Absolute Darling, est
l’histoire d’un amour excessif et, comme on le constate très
vite, dévoyé. Quand le sentiment paternel devient désir de
possession et fait obstacle à tout ce qui pourrait épanouir une
jeune adolescente, à ce point prisonnière de leur relation qu’elle
s’y sent souvent bien…
A
l’école, malgré l’attention avec laquelle l’observe Anna, une
de ses enseignantes, Julia (son véritable prénom) est une élève
qui semble ne faire aucun effort pour acquérir les bases requises.
Il est vrai qu’elle a des occupations plus excitantes dans la
nature dont elle est proche et en utilisant les armes que son père
laisse à sa disposition à condition qu’elle s’entraîne à
devenir une tireuse précise. Un des nombreux paradoxes de son
éducation tient au fait que Martin, le père, est aussi un grand
lecteur, en particulier de philosophie. Il voudrait que Turtle élève
son esprit en même temps qu’elle forge son corps selon son modèle
idéal.
Daniel,
le grand-père, semble avoir tout compris de ce qui se passe entre
son fils et sa petite-fille. Il tente d’agir, avec autant de
maladresse que le font d’autres personnes. Mais Turtle est sur ses
gardes, elle défend son territoire presque autant que le fait
Martin. Elle se ferme donc devant Papy presque autant que devant
Anna. Seul Jacob, un garçon un peu plus âgé qu’elle, est sur le
point de percer l’armure. En même temps, sans le savoir, il
renforce la colère qui habite en permanence Martin, personnage pour
le moins perturbé, et le pousse à une violence dont il ne sait pas
vraiment si elle est nécessaire – elle s’impose à lui comme
unique remède à des moments où il perd pied, voilà tout.
Voilà
tout est l’expression qui convient. Car, si quelques protagonistes
adoptent une position morale en essayant de sortir Turtle du piège
où elle est prise avec sa propre complicité, le roman contourne la
question du bien et du mal. Il se contente d’exposer les faits et
les attitudes sans les juger. Voilà ce qui fait la force d’un
livre par lequel on est happé comme si le piège se refermait aussi
sur le lecteur. Le lecteur, heureusement pour lui, n’est pas naïf
et fera bien sûr la part des choses : l’apparente acceptation
de sa situation par Turtle est en réalité une soumission engendrée
par une véritable torture mentale dont la gamine, bien que
résistante, ne pourra sortir, si elle en sort, sans en porter
longtemps les marques.
Gabriel
Tallent est aussi fort pour installer un climat délétère que pour
décrire la vie des plantes et des animaux, aussi habile à dessiner
les portraits détaillés de ses personnages qu’à introduire, tout
à coup, de grandes scènes d’action qui laissent pantelant. Les
rythmes sont variés dans un roman où tout est bon.
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