(De
l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front français, 1er juin.
Et tandis
qu’hier, en l’espace d’une demi-journée, le temps de monter et de descendre,
j’ai vu sur la Marne s’asseoir la défense, aujourd’hui, sur les routes de l’Oise,
sous Soissons, j’ai vu passer le nouveau flot qui, dans ces plaines, va porter
sa sainte colère à la rencontre de l’ennemi.
Un arrêt
semble se dessiner sur la Marne. Depuis trois jours, sur tous les chemins qui y
tombent ou la longent, hommes des deux uniformes, kaki et bleu, canons,
matériel, chevaux, tout marchait. Hier, au petit jour, rien n’était arrêté.
Nous repassons l’après-midi : plus de mouvement ! Plus rien en
marche ! Où est l’immense figuration de la France en armes qui grouillait
si puissamment ? Elle est en place. Et là, près de Dormans, sur la berge,
à deux mètres du lit de la rivière glorieuse, voilà le premier trou d’obus. Il
est tout frais. Il ne date pas d’une heure. Mais un sifflement : un autre
obus arrive, il troue la berge encore, ses éclats, comme une pluie, tombent
dans la Marne. Elle n’avait plus frémi depuis 1914.
Et les deux
canons, français et allemand, par-dessus la Marne, commencent à échanger leurs
coups.
Cela, c’était
hier. Aujourd’hui, ce que nous allons voir, c’est sur l’Oise. Les Boches,
depuis trente-six heures, tentent de la franchir. C’est le chemin le plus court
pour Paris. Leur pression est formidable. Alors que sur la Marne ils semblent
faire étape, sur l’Oise, ils foncent de toutes leurs cornes. À cette extrémité
du champ de bataille, impérieuse, s’est transportée l’angoisse. Ce matin, c’est
là qu’est le spectacle de la France tragique et debout.
C’est le même,
en plus puissant. Hommes, canons, matériel, chevaux, sans repos, montent,
montent. Pareillement, les évacués descendent, descendent. Il n’est pas de
drame sans une note qui, un instant, le secoue d’un sourire. Ce sont nos
travailleurs indigènes, cette fois, qui la donnent. Il fait un soleil pur et
ils sont bien un sur trois à porter un parapluie. Il vient des troupes dans
toutes les directions. Hâtivement, notre pieuvre se forme.
— Bonne
chance, amis ! Bonne chance à tous ! C’est Mme la
sous-préfète de Soissons qui crie cela aux nôtres en leur distribuant des
bouteilles au passage. Mme la sous-préfète de Soissons est la
fille de Clovis Hugues. Elle est là, brune et belle, sur la route. La poussière
et la fièvre entourent son geste quand aux guerriers elle tend la boisson. Elle
a tout l’air de continuer un des poèmes de son père.
L’œuvre qui
doit nous sauver, vibrante, s’accomplit. Si nous manœuvrons, l’Allemand
manœuvre aussi. Sa tactique apparaît claire : chaque fois qu’il sent une
résistance, il ne continue pas, il évite de se buter à nous, il glisse à droite
ou à gauche. Sa manière est de s’infiltrer, non de foncer. Il vise
continuellement à nous encercler. Son nombre lui facilite la tâche. Ce n’est
pas de front, c’est par le sud ou par le nord qu’il essayera d’avoir raison de
la forêt de Villers-Cotterets.
Une auto,
c’est un général. Il descend. Pas d’inquiétude sur son visage. Il tape sur
l’épaule d’un divisionnaire, souriant, il lui dit : « Voilà la guerre
de mouvement, eh bien ! néanmoins il faut tenir ! »
Il le faut.
Le Petit Journal, 2 juin 1918.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
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