La littérature fait la Une du Figaro. Et le sujet de l'éditorial. Et occupe deux pages à l'intérieur du journal, en ce beau samedi. Que se passe-t-il? Jean d'Ormesson serait-il mort? Ah! non, c'était déjà fait. Pourtant, l'urgence est grande et l'alerte est rouge. Rouge, au Figaro? Bon, ne nous emballons pas.
Il est question de nouvelle censure, ou plutôt de nouveaux censeurs, des minorités agissantes traquant dans les œuvres littéraires passées et présentes ce qu'il est devenu inacceptable de dire ou même d'évoquer aujourd'hui, au moins pour certains qui se sentent blessés dans leur identité, leur culture, leur âme, que sais-je...
Pourquoi ce dossier paraît-il maintenant? A cause du loto du patrimoine, ou grâce à lui, allez savoir, qui va ou devrait servir, entre autres projets portés par Stéphane Bern, fou du Roy, à réhabiliter la maison de Pierre Loti. Pierre Loti? Vous n'y pensez pas! Il n'aimait ni les Juifs ni les Arméniens, il l'a écrit, pourquoi devrait-on le replacer dans la lumière, se demandent, et demandent aux autorités, les défenseurs des Juifs et des Arméniens, ceux qui du moins estiment qu'il n'est plus permis, aujourd'hui, de lire de tels propos, quand bien même ils auraient été perçus, à l'époque de leur publication, comme inscrits dans l'air du temps.
A dire vrai, je me trouve aussi sceptique devant les propos des indignés que devant ceux que leur indignation indigne.
Bien sûr qu'il y a de l'excès dans la volonté d'interdire, ou au moins de faire obstacle à des rééditions qui nous confrontent à une pensée... euh... contrariante (Maurras, Céline, même combat!). Moi qui passe une partie de mon temps dans la presse coloniale et dans des écrits aujourd'hui fort peu recommandables, je peux vous confirmer les effets salutaires d'une bonne colère chaque fois que rencontre, c'est souvent, d'intolérables jugements à l'emporte-pièce, les manifestations imbéciles d'un racisme obtus, un mépris généralisé pour tout ce qui ne ressemble pas à ce que sont les auteurs de ces propos.
La capacité à s'indigner tient à la possibilité de rencontrer ses adversaires. Thomas Clerc l'expliquait très clairement dans une chronique de Libération qui m'avait décidé à rééditer Les Déracinés, de Maurice Barrès: "Lire ses ennemis".
Je retrouve avec un plaisir comparable le même genre de raisonnement dans la chronique que François Forestier publiait hier sur le site Bibliobs: "Le Belge qui n'avait rien compris à la Révolution russe", où il parle d'un livre de Jules Destrée, Les Fondeurs de neige: Notes sur la Révolution bolchévique à Pétrograd pendant l'hiver 1917-1918. Outre qu'il ne voit rien de ce qui est en train de se jouer, Jules Destrée ne manque pas de rappeler que "Trotztky" est juif - donc rusé - et qu'il s'appelle en réalité Bronstein.
J'aime beaucoup la conclusion de François Forestier: "Son livre, complètement oublié, mérite qu'on le redécouvre: un aveuglement ausi total a quelque chose de vivifiant. Voire de grandiose." Je crois que je vais le rééditer - ce serait la deuxième fois que la Boîte à bouquins de F.F. serait à l'origine d'une publication de la Bibliothèque malgache, puisqu'il avait déjà suscité celle du récit d'Edmond About, De Pontoise à Stamboul.
Donc, bien sûr, je m'insurge contre la censure, explicite ou non.
Mais on voit trop bien où va Le Figaro dans son dossier. Je vous en recommande la lecture, surtout si vous n'êtes pas un habitué, et pour les mêmes raisons que je viens de développer. Vous vous ferez votre propre opinion, pourquoi vous imposer la mienne?
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