D’abord, j’ai râlé. Parce que je n’avais pas le roman de
Bill Clinton et James Patterson, Le président a disparu, le jour où il est paru. J’ai dû attendre le lendemain
– hier, donc – pour le lire. Pas très grave, direz-vous, les livres en attente
ne manquent pas vraiment. Et il n’était pas écrit d’avance que ce thriller-là
était indispensable à ma survie intellectuelle. Mais, que voulez-vous ? On
ne se refait pas, et il est des jours où la curiosité engendre une impatience presque
fébrile.
Il est venu, j’ai lu, je suis déçu.
Le scénario est, dans le genre, plutôt bien ficelé – bien que
les ficelles soient grosses. C’est dans les détails que ça coince.
Jonathan Lincoln Duncan, président des Etats-Unis d’une
époque non déterminée (ce pourrait être maintenant puisqu’Obama est déjà passé
par le poste, apprend-on au détour d’une phrase), est veuf depuis la mort de
Rachel, il a une fille, Lilly, qui étudie à la Sorbonne. Et il souffre d’une
maladie du sang qui, réduisant le nombre des plaquettes, peut avoir de graves
conséquences. Jonathan la fait souvent passer à l’arrière-plan, car le
traitement que lui donne son médecin lui embrouille les idées et ce n’est pas
le moment. « Après tout, je ne suis
pas un patient comme les autres. La plupart des gens obéissent aux instructions
de leur médecin. Mais ils ne sont pas à la tête du monde libre. » C’est
dit sans rire, bien entendu. Boum ! les responsabilités sont là.
Et, re-boum ! l’heure est grave. Non seulement il doit
se défendre d’une accusation grave de collusion avec un terroriste
international – et l’opposition, rangée derrière la tête obtuse de Lester
Rhodes, le président de la Chambre des représentants, est bien décidée à ne pas
lui faire de cadeau. Mais aussi et surtout il fait face à la pire menace qu’ont
connue les Etats-Unis depuis la crise des missiles à Cuba : une cyberattaque
susceptible de paralyser le pays et de le renvoyer aux temps anciens d’un monde
sans Internet, sans électricité, sans rien de ce qui organise notre quotidien
sans que nous en ayons encore conscience tant cela semble être devenu naturel.
Un virus informatique est en cause, plus pervers que tout ce
qu’on a connu depuis que l’informatique est en usage, introuvable et donc
impossible à arrêter.
Sinon que rien n’est impossible aux deux génies qui l’ont
conçu et diffusé avant d’éprouver les remords suffisants pour prévenir les
Américains et leur laisser une chance d’éviter le pire. Brrr ! le suspens
est terrible, il ira crescendo jusqu’à la demi-heure fatidique où tout se joue
dans un compte à rebours terrifiant.
Bien. Mais il n’y a pas là d’éléments inédits par rapport
aux dizaines de thrillers qui posent le même genre de questions. Ce qui est
inédit, en revanche, c’est qu’un ancien président des Etats-Unis soit à la
conception du livre en même temps qu’un professionnel du genre – le plus grand,
s’il faut en croire les chiffres de ses ventes.
Donc, a priori favorable : peut-être Bill Clinton
va-t-il nous introduire dans les mécanismes profonds du pouvoir, dans l’esprit
de celui qui l’exerce, pendant que se déroule une chasse aux informations sur
les véritables responsables de l’attaque. Ceux qui appartiennent à « cet axe du mal », écrivent
les auteurs sans crainte de piller la formule, pas très heureuse d’ailleurs, d’un
autre président.
Mais, mais, mais… Bill, les réflexions que tu veux bien
partager avec tes lecteurs sont-elles vraiment celles qui t’occupaient le
cerveau quand tu étais au pouvoir ?
Allons-y de quelques exemples, consternants de banalité.
Les technologies modernes nous renvoient à nos instincts primaires. Les médias savent ce qui est vendeur : le conflit et la division. Simple et efficace. Trop souvent, la colère et le ressentiment l’emportent sur la réflexion. Nos émotions trompent notre vigilance. Un discours enflammé et moralisateur, même sans fondements, aura plus d’impact qu’une allocution réfléchie et argumentée.
[…]
Aux États-Unis, le racisme est notre fléau le plus ancien. Mais il existe d’autres motifs de division – la religion, l’immigration, l’identité sexuelle. Parfois, ce rejet de la différence est une simple drogue pour alimenter le monstre en chacun de nous. Trop souvent, la peur et le mépris de « l’autre » nous font oublier ce que nous sommes capables d’accomplir tous ensemble. C’est ainsi depuis très longtemps, et cela ne changera peut-être jamais. Malgré tout, nous devons poursuivre nos efforts. Telle est la mission que nous ont transmise les Pères fondateurs : œuvrer à créer « une union plus parfaite », pour reprendre les termes de la Constitution des États-Unis.
[…]
Une guerre nucléaire, c’est perdant-perdant. On ne lance un missile qu’en dernier recours, parce que le camp d’en face a lancé le sien. C’est pour cette raison que personne n’appuie sur le bouton. Voilà l’utilité de la force de dissuasion !
Le dernier jour d’un récit qui commence le jeudi 10 mai
et se termine le lundi suivant, Jonathan Lincoln Duncan se présente devant le
Congrès pour un discours solennel (il aime ça) où il résume les événements (et
le roman) pour les élus qui n’avaient pas tout compris (forcément, il fallait
éviter de leur donner des informations trop sensibles). Et où il dessine, à
coups redoublés de clichés éculés, les grandes lignes d’un avenir rayonnant
dans une sécurité renforcée.
On pouvait espérer mieux. Il reste un habile thriller plutôt
plaisant, mais il n’était pas nécessaire de convoquer un ancien président des
Etats-Unis devant une commission d’enquête des lecteurs.
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