samedi 28 janvier 2017

Patrick Grainville entre Rubens et un tigre

Un éclair de feu, bref, incompréhensible, a marqué Louise et Luc pour la vie. Ils l’ont aperçu entre deux pierres d’une muraille, ils voudront comprendre. Les rayures fauves d’un tigre conduisent leur destin, leur fournissant au passage quelque chose de la sauvagerie de l’animal, de son appétit de vivre, peut-être même de sa férocité.
Patrick Grainville ouvre son nouveau roman sur une image fugitive mais elle marque personnages et lecteurs comme au fer rouge. Comme le symbole, aussi, de ce qui va suivre, et où on retrouve chez l’écrivain le plaisir du surgissement bestial de la nature, y compris la nature humaine. Louise et Luc, jeunes amants, sont armés, pour leur défense, de ce qu’ils savent de leurs parents où la légitimité des couples est ébranlée par les lois du désir – le père de Louise, qui surprend les adolescents de quatorze ans dans la frénésie de leur étreinte, a lui-même été vu par ceux-ci avec la mère de Luc.
Les sens exacerbés resplendissent comme resplendit le corps d’Hélène, fille de la gardienne du domaine où rôde le tigre et dont le propriétaire, « le vieux Paul », cultive son goût des chairs opulentes. Hélène, la jeune fille dont Louise et Luc ne savent pas encore s’ils la trouvent moche ou belle, a quelque chose d’Hélène Fourment, épouse et modèle de Rubens. Les deux Hélène se confondent de plus en plus dans un imaginaire enrichi de comparaisons.
Les rapports intimes entre l’œuvre romanesque de Patrick Grainville et la peinture fournissent à l’auteur de solides points d’appui à partir desquels se déploie avec verve un univers où l’intensité est la règle. Hokusai, dans Le baiser de la pieuvre, George Catlin, dans Bison, pour citer deux exemples récents, avaient emporté les personnages au-delà d’eux-mêmes. Rubens, dont on apprendra en cours de lecture qu’il a peint des tigres, n’est pas placé à l’avant-plan de la même manière. Mais sa présence est une clé pour nous, comme pour Louise et Luc.
Les emportements de leurs découvertes se transformeront, bien entendu, avec l’âge, en même temps qu’ils s’ouvriront à d’autres relations et à des cultures nouvelles. Les lettres d’Asie que Louise envoie à ses amis sont des merveilles, malgré la fragilité qu’elles traduisent. Mais toute vie est fragile, même celle d’un tigre nommé Nabucco dont on se souviendra longtemps.

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