lundi 1 octobre 2018

14-18, Albert Londres : «Les ailes de l’aigle charognard commencent à flamber.»




Vers le Catelet

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 29 septembre.
Avant-hier c’était Byng, hier c’était Plumer, aujourd’hui c’est Rawlinson. Avant-hier c’était vers Cambrai, hier c’était vers Roulers, aujourd’hui c’est vers le Catelet. Avant-hier Byng, d’un bond, franchissait une formidable tranchée, le canal du Nord ; hier Plumer s’emparait en un jour de ce que, jadis, on n’avait pas pu prendre en trois mois d’inouïs efforts ; aujourd’hui Rawlinson, dédaignant Saint-Quentin, part pour le dépasser. Et les Belges enlèvent tranchées et forêts, et la flotte anglaise bombarde à pleines gueules Ostende et la côte, et la danse redescend vers les Français et elle redescend vers les Américains et elle tournoie en Orient. C’est le grand tam-tam de la libération.
Partout c’est joyeux. Je viens de poser trois questions par téléphone. J’ai demandé :
— Comment ça va chez Plumer ?
— Parfaitement bien.
— Et chez Byng ?
— Parfaitement bien.
— Et chez Rawlinson ?
— Parfaitement bien.
On découvre comme ce matin chez Rawlinson des Américains où on n’en avait jamais vus ; on se heurte à de la cavalerie le nez au vent et qui hennit. L’ennemi n’a fait sauter un pont que quatre heures après ; sur un nouveau pont, vous franchissez les canaux ; si vous êtes une journée sans revenir au même endroit, vous ne retrouvez plus l’artillerie qui ne fait que bondir. Partout le bûcheron frappe ou ébranche, entame et déracine l’armée allemande.

Le point fort allemand est touché

Le nouveau coup de ce matin est celui qui doit l’ébranler le plus. Rawlinson l’a donné au nord de Saint-Quentin et c’est justement ici que se trouve l’un des points les plus forts du front d’Occident. S’il est bien touché à cet endroit, ce n’est pas une dent seulement que perdra l’Allemand, c’est toute sa mâchoire qui chancellera. Sa mâchoire est bien malade, elle l’est depuis ce matin 5 h. 50.
Le Boche ne peut pas se plaindre de notre monotonie : nous lui varions les effets. Toutes les affaires de ces derniers jours n’avaient pas eu de préparation d’artillerie. Pendant quarante-huit heures, sur ce front, on lui en a fait une pour le remonter, elle était même au gaz moutarde. Comme devant Cambrai, l’obstacle était, là aussi, un canal, le canal de Saint-Quentin. Donc départ. Les Américains vont d’abord supporter le gros poids : l’attaque. Derrière un barrage d’artillerie tellement intense qu’il semble bafouiller, ils s’élancent ; plus au sud s’élancent les Anglais ; le canal a 30 mètres de large, il est plein d’eau : ils le traversent à la nage. Les Allemands savent ce qu’on veut leur prendre, les Allemands ne renâclent pas devant l’indispensable. Notre attaque réussit. Nous laissons le canal derrière nous, nous prenons Bellenglise. À 9 heures du matin, notre premier effort fut couronné, mais à 9 heures du matin, sur le champ de bataille où depuis tant de jours arrivent tant de choses, arrive encore du nouveau ; on voit les Australiens passer pour prendre tout frais la place de combat. Et derrière eux on construit déjà des routes pour faire avancer les canons et Saint-Quentin, dont ne se tourmente pas Rawlinson, est tenaillé. Et tout va, tout réussit ; rien que pour notre compte, les deux tiers du front anglais sont en flammes. Et nos flammes montent, montent, et les ailes de l’aigle charognard commencent à flamber.
Le Petit Journal, 30 septembre 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

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