Catherine Poulain a été révélée avec un premier roman, Le grand marin, paru deux ans et
demi avant celui-ci. Un livre rude dans lequel une femme, Lili, affrontait les éléments et un
univers masculin, celui-ci comme ceux-là capables de blesser – et de rendre
plus fort à condition d’y survivre. On s’interrogeait sur la possibilité d’un
deuxième livre, tant les débuts donnaient l’impression d’avoir condensé tout ce
qu’une vie pouvait avoir fourni comme expérience humaine. La réponse est venue avec Le cœur blanc.
Et les inquiétudes sont levées : Catherine Poulain a plusieurs existences
et les moyens littéraires de les transposer avec la même puissance que dans son
livre d’ouverture.
De la pêche à la cueillette, on pourrait cependant croire
que l’intensité est moindre. Mais le travail de saisonnier – ou de saisonnière,
pour Rosalinde – n’est pas une sinécure, l’héroïne a eu le temps de l’apprendre :
« on a l’habitude, après huit ans à
trimer sur leur terre, dans leurs champs, pour leur fric, pour sa croûte. »
Au quotidien, le travail n’attend pas : il faut du
rendement au moindre coût. On cueille, on charrie des caisses, le dos est
rompu, les muscles noués, et l’attention ne peut faiblir parce que la qualité
des asperges, par exemple, est à ce prix. Sans rien dire, quand on est une
fille ou une femme, du patron qui vient ostensiblement pisser juste à côté,
exhibitionniste sans crainte de représailles.
Rosalinde, comme Lili dans Le grand marin, occupe une place pour laquelle elle s’est battue,
même si elle ne sait pas très bien, au fond, pourquoi elle est là, pourquoi
elle préfère un travail aléatoire – il faut sans cesse chercher l’embauche
quand une exploitation a donné tout ce qu’elle pouvait. Elle a, dit Ahmed, le
cœur blanc, c’est-à-dire le cœur pur. Parfois, elle pleure. De fatigue, de
détresse, allez savoir. Alors, elle fait comme les autres, elle boit. Cherche
un corps qui se frotterait contre le sien, dans une tentative perdue d’avance
pour oublier on ne sait quoi.
« Quelquefois
l’âme est fatiguée. On sent ses soubresauts inquiets, furieux, comme un
tourment qui s’exaspère, une agonie secrète qui vous étonne et vous déchire.
Vous prend le désir d’autre chose, des goûts de départ absolu, de fuite qui
sait, d’océan peut-être. » L’incertitude règne, elle domine le temps,
coupe les envies, et pourtant Rosalinde y revient sans cesse.
Elle n’est pas la seule femme. La solidarité est cependant
un rêve, vite évanoui comme les autres rêves que l’on peut nourrir dans le
brouillard de la fatigue. La violence est plus présente que la douceur, et l’on
se déchire, histoire de trouver là un peu de chaleur humaine.
On se frotte à une existence qui pique, on en ressent les limites et les aspirations. Catherine Poulain écrit à l’os, sans gras, c’est pourquoi elle n’a pas besoin d’ajouter des effets de manche pour nous toucher.
On se frotte à une existence qui pique, on en ressent les limites et les aspirations. Catherine Poulain écrit à l’os, sans gras, c’est pourquoi elle n’a pas besoin d’ajouter des effets de manche pour nous toucher.
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