« Le
monde se divise en deux catégories. Ceux qui partent. Et ceux qui
restent. » C’est clair. Ou presque. Dans Par les routes, Sylvain
Prudhomme pose face à face, ou côte à côte, deux hommes qui ont été, ensemble,
de grands voyageurs. Puis ils se sont séparés. Le narrateur, écrivain, n’a plus
pensé que de loin en loin à celui qu’il appelle l’autostoppeur. Il n’est
retombé sur lui que quinze ans après, par hasard, à condition de croire au
hasard, à V., une petite ville où il vient chercher la solitude et le dépouillement
qui conviennent à son prochain travail.
Il
est arrivé avec peu de bagages. Des livres, surtout. Il loue un deux pièces à
l’ameublement sommaire. « J’ai pensé : on voit mieux dans le peu. On
vit mieux. On se déplace mieux, on conçoit mieux, on décide mieux. » Mais
il y a, dans le même lieu, l’autostoppeur, qu’il retrouve bientôt, qui donne
l’impression de s’être posé aussi : il a une femme, Marie, un fils, Agustín.
Pas vraiment posé pour autant : à intervalles irréguliers, il reprend la
route, incapable de rester sur place.
Il a
limité ses voyages au territoire de la France – avant, ils partaient ensemble
pour des destinations bien plus lointaines. Il collectionne les rencontres, les
portraits de ses « autostoppés » qui l’ont emmené ailleurs pour un
parcours plus ou moins long. Il trace ses parcours sur une carte, voit ce qui
lui manque, les régions qu’il a peu explorées. Repartira peut-être dans ces
directions-là. Quittera les autoroutes qui ont longtemps été ses axes de
prédilection – il sait tout des aires de repos, celles qui sont favorables à un
départ rapides, celles où on traîne, les plaisantes, les autres…
Il
explique cette vie à celui qui fut son ami, et peut-être le redevient petit à
petit, à moins qu’il soit en train de prendre sa place. Pendant que
l’autostoppeur voyage, le narrateur s’occupe d’Agustín, tient compagnie à
Marie, occupe le terrain dans un glissement insensible mais irrésistible vers
une situation quasi familiale. Avec une question qui le taraude : et si
l’autostoppeur, en réalité, ne partait pas ? S’il se contentait de rester
dans le coin pour observer ce qui se passe ? « J’ai pensé à
Jean-Claude Romand, à tous les imposteurs qui plutôt que d’avouer qu’ils n’ont
plus de travail passent leurs journées à faire mine d’être occupés, zonent du
matin au soir sur les parkings, dorment et mangent dans leur voiture – jusqu’au
jour où ils craquent, s’effondrent, ne supportent plus de mentir à tout leur
entourage. »
Par les routes est un voyage par étapes et par procuration, un beau voyage dont ne parviennent, à V., que des échos lointains – téléphone, photos, cartes postales. Ils sont suffisants pour décrire un ailleurs flou tandis que le narrateur s’ancre. Et peut-être l’autostoppeur a-t-il besoin que quelqu’un le fasse à sa place, puisque ce n’est pas dans sa nature. Même la scène finale, magnifique et surprenante, se jouera sans lui.
Par les routes est un voyage par étapes et par procuration, un beau voyage dont ne parviennent, à V., que des échos lointains – téléphone, photos, cartes postales. Ils sont suffisants pour décrire un ailleurs flou tandis que le narrateur s’ancre. Et peut-être l’autostoppeur a-t-il besoin que quelqu’un le fasse à sa place, puisque ce n’est pas dans sa nature. Même la scène finale, magnifique et surprenante, se jouera sans lui.
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