C'est donc pour l'ensemble de son oeuvre, mais à l'occasion de la traduction, par
Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, de Girl...
Là où passe Boko Haram, les écolières perdent non seulement
tout espoir de poursuivre leurs études mais aussi d’être considérées comme des
êtres humains. Elles ne sont plus que des outils de soulagement pour le repos
des guerriers ou des organes reproducteurs, priées de fournir des remplaçants
mâles aux combattants abattus. Dans les remerciements qui suivent son nouveau
roman, Girl, la romancière irlandaise
Edna O’Brien n’explique pas pourquoi elle s’est intéressée à ce drame ni
pourquoi elle s’est rendue au Nigeria afin de le comprendre. Elle dévoile
cependant comment elle en est arrivée à choisir le moyen d’en parler dans une
fiction : « mon unique méthode était de faire entendre leur
imagination et leur voix par le truchement d’une seule fille particulièrement
visionnaire. »
Voici donc Maryam, qui nous avertit d’emblée :
« J’étais une fille autrefois, c’est fini. » Avec ses amies, elle a
été arrachée au dortoir de l’école, elle a voyagé en camion, elle a espéré être
retrouvée, puis elle a perdu cet espoir mais elle a survécu.
Sans pathos, sans rien masquer non plus des conditions dans
lesquelles la jeune fille est détenue et exploitée, la romancière raconte un
parcours qui, on l’imagine, peut se confondre, à quelques détails près, avec
beaucoup d’autres.
Il y a là tous les sévices qu’on imaginait, et dont la
presse nous avait déjà longuement entretenus, dans les détails. Il y a en
outre, et c’est pourquoi la fiction se révèle supérieure au reportage dans la
capacité à ouvrir les yeux, l’incarnation de Maryam qui subit ces sévices. Sa
chair et son esprit souffrent, nous souffrons avec elle puisque nous
l’accompagnons sur ce chemin qu’elle n’a pas choisi et où chaque pas semble
plus atroce que le précédent.
Edna O’Brien se garde bien cependant de peindre le tableau
en noir et blanc, sans nuances. Maryam peut estimer qu’elle a de la chance, un
temps, d’avoir été choisie comme épouse d’un homme qui n’est pas le pire. Le
pire, de toute manière, elle l’a déjà connu.
Edna O’Brien n’entonne pas non plus un chant désespéré. Elle
laisse une chance à Maryam, même s’il s’agit de passer par une porte très
étroite et que la jeune femme ne pourra jamais oublier ce qu’elle a subi. Nous
non plus qui, à chaque fois que nous entendrons à nouveau parler de cette
région du monde et de ce qui s’y passe, aurons à l’esprit une personne plutôt
qu’une abstraction.
On sort de là secoué comme
rarement, partagé entre le soulagement et la tentation de gratter les
cicatrices désormais en commun avec l’héroïne.
J'ajoute que le Prix Femina essai va à Emmanuelle Lambert pour Giono, furioso (Stock)
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